Jusqu’où peut-on polémiquer?

chat

Le tribunal d’honneur du Conseil de presse du Québec a rendu et publié onze (11) nouvelles décisions reliées à des plaintes qu’on lui avait soumises. Sept d’entre elles ont été retenues, les quatre autres ayant été rejetées. Quatre d’entre elles sont ici résumées.

Gendron et les chats errants : des propos choquants, mais néanmoins admissibles

Dans cette affaire, deux plaignantes reprochaient à Stéphane Gendron toute une série de griefs visant des propos qui, selon elles, heurtaient la sensibilité du public en incitant à la cruauté envers les animaux et en valorisant celle-ci. Lors d’une émission diffusée à Radio X, M. Gendron avait affirmé : « Moi, quand je vois un chat dans la rue, j’accélère pour pas le manquer. […] L’autre jour, chu reculé sur un, y venait de venir au monde, chu sûr qu’y a rien senti. […] Le pick-up est passé dessus comme si de rien n’était, j’étais assez content! Yes! Un de moins! »

Dans son étude de la plainte, le comité des plaintes a dû se questionner sérieusement sur la tension qui existe entre la nécessité de tenir compte de la sensibilité du public, d’une part, et le droit à la liberté d’expression, d’autre part.

Après avoir rejeté le premier grief, pour incitation à la cruauté, le comité s’est ensuite attardé à la question, plus délicate, visant à déterminer si Stéphane Gendron, par ses propos, valorisait la cruauté envers les animaux et heurtait ainsi inutilement le large consensus social et moral qui existe sur cette question. Le comité a jugé qu’en dépit du fait que l’animateur ait choisi un ton résolument polémiste pour aborder le problème des chats errants – un problème qui est par ailleurs assurément d’intérêt public –, et qu’en conséquence ses propos pouvaient sans aucun doute heurter la sensibilité morale ou éthique d’une large frange de la population, « force est de reconnaître du même souffle que la liberté d’expression serait de bien peu d’utilité si elle ne servait pas à protéger des opinions qui, justement, ne font pas l’objet d’un consens social, moral, politique ou idéologique. »

En conséquence, la plainte a été rejetée.

Titre partial pour un article qui ne l’est pas

Un titre partial peut-il coiffer un article de journalisme factuel? À cette question, le comité des plaintes a répondu par la négative, et a donc retenu la plainte déposée dans le cas présent par Mme Geneviève Côté à l’encontre du Journal de Montréal.

L’article en question, intitulé « Noël pour 120 000 étudiants », traitait de la bonification du régime d’aide financière aux études. De l’avis du Conseil, ce titre traduisait un parti pris, en ce qu’il laissait entendre que cette bonification « était ni plus ni moins qu’un “cadeau” de l’État », contrevenant ainsi au principe voulant que les titres et manchettes ne doivent pas servir de véhicules aux partis pris.

La plainte a donc été retenue, bien qu’un membre du comité ait exprimé une dissidence.

Tentative de censure par des moyens économique : la Ville de Hudson fautive

Le Guide des droits et responsabilités de la presse du Conseil de presse du Québec reconnaît que « chacun est libre de faire de la réclame publicitaire dans les médias de son choix. » Cependant, pour les institutions publiques, un tel choix ne doit pas viser à « à récompenser ou à punir les médias en leur accordant ou non de la publicité pour des motifs d’ordre idéologique ou politique, ou encore parce que ces médias serviraient ou desserviraient leurs intérêts ». Utiliser la publicité comme arme économique pour sanctionner les médias constitue, aux yeux du Conseil, une violation importante de la liberté de presse.

C’est pourquoi le comité des plaintes a retenu la plainte déposée par la Gazette de Vaudreuil-Soulanges, reprochant à l’administration de la Ville d’Hudson d’avoir refusé de placer un avis d’appel public en guise de protestation contre un éditorial paru dans le journal, comme l’avouait le maire lors d’une assemblée du Conseil municipal. Le Conseil dénonce vivement le recours à de telles pratiques.

Fait à noter, la nouvelle administration municipale est revenue sur cette décision, et a rétabli ses liens avec la Gazette de Vaudreuil-Soulanges.

Un AR-15 n’est pas une « arme d’épaule » : utilisation inadéquate d’une photo

M. Jacques Langevin reproche au quotidien La Presse, dans sa plainte, d’avoir induit le public en erreur en illustrant un article portant sur le projet de loi visant l’abolition du registre des armes d’épaule par une arme qui, de fait, n’était pas visée par celui-ci – à savoir, une « arme à autorisation restreinte », soit un AR-15.

De l’avis de La Presse, la photo visait avant tout à rappeler que l’article s’inscrivait dans le débat, plus large, entourant le contrôle des armes à feu – un argument qui n’a pas convaincu le comité des plaintes, qui a jugé que l’utilisation d’une photographie d’une arme à autorisation restreinte, dont l’allure est autrement plus menaçante que celle d’une « simple » arme de chasse, était de nature à tromper le public. La plainte pour publication de photographie trompeuse a ainsi été retenue.

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En vrac

Port du turban en soccer québécois : chronologie d’une affaire délicate

Le Conseil a donné raison à une plaignante qui reprochait au réseau CTV d’avoir mal rapporté le débat entourant la position adoptée par la Fédération de soccer du Québec (FSQ) au sujet du port du turban. En effet, un article paru sur le site web ctvnews.ca laissait entendre que la FSQ avait décidé, contre l’avis de la FIFA, d’interdire le port de couvre-chefs, alors qu’en fait celle-ci n’avait pas encore statué sur cette question.

Inexactitude grossière dans le titre d’un article

Dans cette affaire, un plaignant dénonçait la publication d’un titre inexact – « Ivre et sans permis, il se fait prendre à courser » – paru sur le site Internet de TVA. Après vérification, le Conseil lui a donné raison : comme le signale correctement l’article coiffé du titre en question, le jeune homme en question n’était pas accusé de conduite en état d’ébriété, mais seulement d’avoir conduit sans permis valide.

Une identification ethnique injustifiée

Le Conseil a retenu une autre plainte déposée à l’encontre du site Internet de TVA, portant cette fois-ci sur la publication de propos pouvant alimenter les préjugés. L’article en question, qui relatait une agression armée, rappelait indûment, aux yeux des membres du comité des plaintes, l’origine ethnique de l’accusé. De l’avis du comité, celle-ci n’était pas « essentielle » à la compréhension et la cohérence de l’information.

Méthode d’enseignement Waldorf : plainte retenue sur un seul point

Dans cette affaire, les plaignants adressaient toute une série de reproches à la journaliste Pascale Breton, de La Presse, pour une série d’articles portant sur la méthode d’enseignement dite Waldorf. Rejetant les griefs pour manque d’équilibre, titres biaisés, atteinte au droit à l’image et photo tendancieuse, le comité des plaintes a tout de même retenu l’un des multiples griefs pour information inexacte.