Médias c. média en Belgique

Crédit photo : eliduke CC
Crédit photo : eliduke CC

Un litige opposant des médias, c’est surprenant? Il s’agit d’une première pour le Conseil de déontologie journalistique de Belgique, qui a publié un avis le 14 janvier dans un dossier opposant RTL-TVI et RTBF à SudPresse, mettant en doute l’indépendance d’une dizaine de journalistes. Conclusion : atteinte injustifiée à la vie privée et la crédibilité des journalistes, sur la base de rumeurs et dans un esprit contraire à la confraternité.

Le 13 mars 2014, SudPresse publiait les accroches, en une : « Enquête » ; « La vraie couleur politique des stars de la télé ». Dans ce dossier, Sudpresse accolait à 12 membres du personnel de RTL-TVI et de la RTBF — dont neuf journalistes en fonction — des étiquettes politiques, sans toujours citer des faits. Les dirigeants de ces deux médias concurrents ont déposé une plainte commune auprès du Conseil de déontologie journalistique le 11 avril 2014. Selon l’organe d’autorégulation des médias francophones et germanophones de Belgique, ce type de plainte opposant des médias est un « fait assez exceptionnel ».

Atteinte à la vie privée 

L’article 25 du code de déontologie journalistique du CDJ rappelle que « les journalistes respectent la vie privée des personnes et ne révèlent aucune donnée personnelle qui ne soit pas pertinente au regard de l’intérêt général ». Lenquête de SudPresse est d’intérêt général dans la mesure où elle a été publiée après l’annonce de l’engagement en politique du journaliste vedette de la RTBF, Olivier Maroy.

« L’opinion publique peut à bon droit se poser la question de savoir si ceux qui lui fournissent l’information politique le font de manière indépendante », rappelle le CDJ dans son avis. « Cet intérêt général peut justifier de porter atteinte à cet aspect de la vie privée que constitue l’opinion politique de journalistes, dans le cadre d’une enquête qui révélerait des liens entre cette opinion et le traitemement de l’information. »

Le CDJ a retenu un manquement à la déontologie sous forme d’atteinte injustifiée à la vie privée de huit journalistes et d’un administrateur de RTL. Selon l’organisme, « l’atteinte à la vie privée n’est pas justifiée ici par des informations factuelles les concernant qui indiqueraient une influence de leurs opinions personnelles sur leur travail journalistique ».

En ce qui concerne l’ancien journaliste de la RTBF engagé en politique, Olivier Maroy, de l’administrateur général de la RTBF Jean-Paul Philippot et de l’ancien journaliste vedette de RTL-TVI Pascal Vrebos, le CDJ estime que leurs liens avec des partis politiques sont avérés et que ces informations ne relèvent pas de la vie privée. Le grief pour atteinte à la vie privée est donc rejeté.

Atteinte à la crédibilité

Le CDJ a établi que le travail des journalistes de SudPresse ne reposait sur aucun fait avéré de lien entre l’opinion supposée de ces journalistes et de l’administrateur et leur activité professionnelle. En mentionnant leurs couleurs politiques, SudPresse accrédite dans l’opinion publique « l’idée que ces journalistes sont influencés ou influençables, même sans le dire explicitement ».

Une vraie démarche journalistique, note le CDJ, aurait mis en évidence « des cas précis de manque d’indépendance de la part des rédactions politiques de RTL-TV1 et de la RTBF, et aurait abordé les relations de pouvoir, les rapports de forces, les questions d’indépendance économique en se basant sur des faits avérés ».

Recours à des rumeurs et des informations non vérifiées

Sous le titre « Les étiquettes politiques qu’on leur colle », Sudpresse présente des informations qui ne sont le reflet, selon le CDJ, que de « l’opinion des auteurs de l’article, et pas de la vérité des faits ».

« Lorsque des journalistes évoquent des rumeurs, ils leur en revient de les confirmer par des faits ou de les contredire afin de s’approcher au plus près de la vérité », note le CDJ, avant de conclure qu’il y a un manquement à l’article 1 qui stipule que « les journalistes recherchent et respectent la vérité en raison du droit du public à connaître celle-ci. Ils ne diffusent que des informations dont l’origine leur est connue. Ils en vérifient la véracité et les rapportent avec honnêteté. Dans la mesure du possible et pour autant que ce soit pertinent, ils font connaître les sources de leurs informations sauf s’il est justifié de protéger leur anonymat. »

Absence de droit de réplique

Selon le CDJ, la majorité des journalistes et gestionnaires mentionnés ont fait valoir leur point de vue, à l’exception du directeur de l’information de la RTBF, qui n’a pas été sollicité. Dans son cas, SudPresse a repris une citation tirée d’un article sur le même sujet publié en 2011 par le Soir magazine sans en aviser son public. « Or, en trois ans, les opinions des personnes peuvent évoluer. Reproduire des propos anciens ne constitue pas un droit de réplique à une accusation actuelle », estime le CDJ.

Confraternité

Les journalistes sont libres de critiquer leurs confrères, mais cela doit être fait de manière loyale, souligne le CDJ. En reprenant une citation de Soir Magazine de 2011 sans date ni source et en remettant en question l’intégrité des journalistes de RTL et RTBF sans fondement, SudPresse a agi à l’encontre de l’esprit de la confraternité, dit en somme le Conseil.

La confraternité n’est pas synonyme de complaisance

Qu’entend-on, en invoquant la notion de confraternité? Alors que les références en déontologie journalistique du Québec n’abordent pas de front cette notion, elle est érigée en principe déontologique dans le code de déontologie du CDJ, en Belgique, à

l’article 20 : « Les journalistes font preuve entre eux de confraternité et de loyauté, sans renoncer pour autant à leur liberté d’investigation, d’information, de commentaire, de critique, de satire et de choix éditoriaux ».

Également citée dans le code des journalistes sportifs en France, la confraternité peut être vue comme un moyen de préserver le rôle des journalistes, en soustrayant la profession à des luttes intestines qui seraient dommageables à sa crédibilité.

L’auteur et journaliste français Arnould Frémy abordait ce principe dès 1866, dans son livre La révolution du journalisme : « Ainsi les journaux ont-ils seulement songé jusqu’à présent qu’il serait plus convenable et utile pour tous d’apprendre au moins à se respecter les uns les autres, à établir dans leur camp particulier des liens de convenances, d’écart et de bonne confraternité qui pourraient tant contribuer à changer leur position à l’égard du public et aussi du pouvoir. […] Ces combats à la fois de famille et de métier ne sont-ils pas de nature, pour peu qu’ils soient mal conçus et mal dirigés à jeter perpétuellement le trouble, la confusion et aussi la déconsidération dans l’intérieur du journalisme? Il en résulte que parmi les calamités, les causes de destruction qui pèsent sur la presse, il faut compter en première ligne les armes dont les journaux se servent habituellement pour s’attaquer et se faire mutuellement la guerre. »

 Avec la collaboration de Nathalie Villeneuve