Priorité à l’éducation aux médias

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Ils passent beaucoup, beaucoup de temps devant leurs écrans de cellulaire, de tablette numérique et d’ordinateur. Les jeunes sont à l’ère numérique, mais disposent-ils de compétences adaptées pour bien naviguer dans une mer d’information et devenir eux-mêmes des producteurs de contenu avertis? Qu’en est-il de leurs enseignants?

Le colloque « Éduquer aux médias : une priorité collective », qui se tiendra à Montréal le 23 octobre, propose une réflexion à multiples facettes sur ce thème.

L’événement, initié par la TÉLUQ (Université du Québec) et présenté conjointement avec le Conseil de presse du Québec, réunira enseignants, conseillers pédagogiques, groupes de parents, directions d’écoles et de commissions scolaires, chercheurs universitaires, professionnels des médias et divers intervenants des milieux concernés à la Maison du développement durable, rue Sainte-Catherine.

Pendant une journée, divers panels éclaireront sous un angle particulier la question de l’éducation aux médias, qui embrasse un espace beaucoup plus large que le seul univers des médias traditionnels d’information. Toutes les activités portant sur le développement des capacités à utiliser les technologies médiatiques et à s’exprimer à travers elles font partie de ce champ d’éducation. L’acquisition d’un jugement critique et de réflexes moraux et éthiques fait également partie des préoccupations dans ce domaine.

Certains enjeux de l’éducation aux médias sont éminemment actuels : cyberintimidation; accès et distribution de contenus violents et explicites; atteintes à la vie privée, à l’honneur et à la réputation; agressions sexuelles; distribution illégale de contenus sous droits d’auteur, etc.

Confusion dans l’information

Dans le monde des médias traditionnels, les mutations profondes des dernières années ont révolutionné la façon de produire et de consommer nouvelles, reportages, chroniques et autres contenus d’information réalisés par des journalistes professionnels.

Mais un bouleversement plus important encore provient de la cohabitation croissante, rendue possible par les technologies numériques, des contenus journalistiques et de contenus produits par d’autres sources : simples citoyens, groupes de pression, experts des relations publiques, annonceurs publicitaires, institutions gouvernementales, etc.

Les contenus en provenance de ces origines très diverses s’entremêlent et se confondent en une masse de plus en plus indistincte, ce qui crée une confusion pour le public, observe Guy Amyot, secrétaire général du Conseil de presse du Québec (CPQ).

Plus que jamais auparavant, il devient essentiel de se demander : « Qui parle? » et « Pourquoi? », afin de s’assurer de l’indépendance et de la crédibilité de l’information. Dire que les médias de masse ne sont plus les seuls à avoir les moyens de se faire entendre est un euphémisme. Cette démocratisation des modes de communication est à la fois un remarquable progrès et une indéniable source de cacophonie, pour le public qui essaie de distinguer l’information fiable dans le bruit ambiant. « Le jeune public, qui n’a pas vécu une époque où les distinctions étaient plus claires, est particulièrement mal outillé pour faire face à aux amalgames actuels », affirme M. Amyot.

Le mouvement de convergence des divers types d’information se cristallise de différentes façons. À titre d’exemple, dans l’univers des médias traditionnels, « l’émergence de contenus hybrides tels que la publicité indigène, qui se camouflent dans la matière éditoriale des médias, tend à effacer la distinction, pourtant essentielle, entre la publicité, la promotion, le marketing et les produits journalistiques, illustre Guy Amyot. D’autre part, de plus en plus de journalistes désirent s’exprimer sur les médias sociaux de la même manière que le ferait un simple individu. Cela brouille les frontières entre la parole citoyenne et l’intervention empreinte de réserve qui devrait être associée à un professionnel de l’information. »

D’autre part, des blogueurs autonomes et une nouvelle génération de médias numériques indépendants parviennent à faire entendre leur voix à travers les canaux des nouvelles technologies. Mûs par un idéal d’indépendance, mais confrontés à la dure réalité du financement, ils tentent tant bien que mal de remettre l’intérêt public au centre de l’information.

Autrefois confiné à un rôle passif de récepteur, le citoyen est lui aussi devenu un émetteur d’information et augmente la portée de son message par les médias sociaux, les sites de microblogage, les applications de partage de photos et de vidéos, etc. Certains, de plus en plus nombreux, rivalisent en popularité avec les personnalités médiatiques.

Les mêmes outils numériques sont empruntés par les communicateurs professionnels, qui jouent d’astuce pour créer un impact puissant à travers des contenus viraux, parfois calqués sur le contenu journalistique ou, dans certains cas, frauduleusement associés à des mouvements citoyens…

M. Amyot, de concert avec Matthieu Dugal, animateur et chroniqueur à Radio-Canada, ARTV et TV5 Monde, et Sophie Boulay, Ph. D., chercheuse associée au Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRISIS), présentera le nouvel écosystème médiatique, ainsi que les défis techniques, déontologiques, éthiques et éducatifs à relever afin de faire face à la confusion des genres qui y règne.

Maintenant plus que jamais

Ces défis s’ajoutent à de nombreux autres qui se posent maintenant plus que jamais à tous les intervenants qui gravitent autour des jeunes, souligne Normand Landry, membre de l’équipe organisatrice du colloque, professeur à la TÉLUQ et chercheur au CRICIS. « Comme jamais auparavant, l’école est mise sous pressions par les médias », dit-il.

Cette pression est exercée par l’omniprésence des médias dans la vie des jeunes, fait valoir M. Landry. Immergés quotidiennement dans un monde virtuel et ses contenus innombrables et multiformes, ils se doivent, par contraste, d’évoluer dans un milieu éducatif qui peine à s’adapter.

Si cette déferlante médiatique n’est pas canalisée, elle peut entrer en collision frontale avec le travail de l’enseignant et les objectifs du milieu éducatif. D’un strict point de vue utilitaire, les technologies médiatiques sont des outils tout indiqués pour la tricherie, illustre le professeur. Dans une perspective plus fondamentale, ils offrent un accès déconcertant à des contenus à teneur sexiste, violent, pornographique. Mais ce sont également de puissants outils de création, d’expression et de communication qui favorisent le développement du potentiel des élèves, note M. Landry.

« En réaction aux risques perçus, les écoles installent des barrières, des coupe-feu. Elles adoptent fréquemment une approche protectionniste, préventive, plutôt que de former les enfants et les adolescents à devenir des utilisateurs responsables de ces technologies, des consommateurs et des producteurs de contenus éclairés », observe Normand Landry.

Il faut que les médias tels qu’on les connaît aujourd’hui soient également considérés comme une opportunité formidable, ajoute le professeur. « Chercher, analyser, diffuser l’information n’a jamais été aussi aisé. Il y a 20 ans à peine, ce qui est à notre portée aujourd’hui était impensable : la technologie était lourde, la mobilité n’existait pas ou peu. Les médias n’ont jamais été aussi pertinents pour préparer les jeunes à jouer leur rôle de citoyen responsable. »

Cependant, un minimum de compétences est désormais essentiel pour trier les contenus, les aborder de façon critique, les produire avec conscience et discernement. À cet égard, les enjeux ne sont pas nouveaux, souligne M. Landry. « C’est l’intensité des enjeux, qui est nouvelle. »

À l’heure qu’il est, un nouveau paradigme n’a toujours pas vu le jour, pour faire face aux nouveaux visages des médias. S’il faut dès à présent prendre à bras-le-corps le paysage médiatique actuel et faire face aux changements rapides et soutenus qui le caractérisent, la réalité est toute autre, admet le chercheur. « Les enseignants vivent dans leur chair ces enjeux, mais se sentent démunis et laissés à eux-mêmes. On assiste à un état de confusion et de crainte, face à l’évolution en accéléré de la donne médiatique. »

Ce contexte compose un maelstrom qui peut en effet être étourdissant, mais qui peut également être vu comme une occasion à saisir, pour donner à l’éducation aux médias la place qui lui revient à l’école. Le colloque du 23 octobre est un pas dans cette direction.