Une enquête pour clarifier le complexe système de régulation de la presse britannique

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Crédit photo : Enzo Varriale CC

Deux ans après la publication du rapport Leveson, après des mois de cheminement tortueux vers une nouvelle ère de régulation de la presse britannique, la situation est si nébuleuse qu’un comité de la Chambre des lords a institué une commission d’enquête pour y voir plus clair.

Tel que rapporté par le quotidien The Guardian, le président du comité des communications de la Chambre des lords, Lord Best, cherche à savoir si le public sait quoi faire lorsqu’il veut porter plainte contre un média et, de façon plus générale, veut dresser un portrait de l’autorégulation de la presse au Royaume-Uni. Le comité documentera par ailleurs les différences entre les divers organes de régulation ayant vu le jour dans la foulée du rapport Leveson.

L’étendue et la portée de cette nouvelle commission d’enquête seront modestes. Contrairement à l’exercice mené par Lord Brian Leveson, de juillet 2011 à décembre 2012, qui consistait à analyser la culture, les pratiques et l’éthique de la presse après le scandale des écoutes électroniques illégales, l’enquête à venir se limitera à décrire la situation actuelle et aucune recommandation n’en découlera.

L’IPSO déjà critiqué

Le jour de la cessation des activités du Press Complaints Commission (PCC), le 8 septembre 2014, une nouvelle instance d’autorégulation prenait le relais : l’Independent Press Standards Organisation (IPSO).

Le nouvel organisme, mis sur pied et financé par l’industrie de la presse écrite, a rallié quelque 90 % des journaux et magazines britanniques. Cependant, des titres influents comme les quotidiens The Guardian, le Financial Times et The Independent et les magazines The Economist, New Statesman et Private Eye n’y adhèrent pas.

The Guardian dit adopter une attitude d’ouverture et d’attente, dans cette période transitoire de l’histoire de la régulation de la presse britannique. Afin de pallier en partie la disparition du PCC auquel le quotidien adhérait dans le passé, il a mis sur pied un processus d’appel indépendant à l’intention des lecteurs mécontents des décisions rendues par son ombudsman (reader’s editor). Dans le même esprit, le Financial Times a récemment comblé un nouveau poste de commissaire aux plaintes. Cette personne est indépendante du rédacteur en chef, précise le FT.

L’IPSO constitue néanmoins, pour l’heure, le guichet principal pour adresser une plainte contre un journaliste et/ou un média de la presse écrite (la presse électronique est régulée par Ofcom, l’équivalent britannique du CRTC au Canada).

La critique la plus répandue chez les détracteurs de l’IPSO est son manque d’indépendance relativement à l’industrie, malgré la présence majoritaire de membres du public sur son conseil d’administration. Alors que le nouveau régulateur n’a que quelques mois d’activité à son actif, on lui reproche déjà le laxisme du défunt PCC.

Le président de l’IPSO, Sir Alan Moses, admettait lui-même, dans un discours prononcé en novembre, qu’il est difficile de mettre en pratique les sanctions prévues (jusqu’à 1 M£) à l’encontre des membres, en raison de règles trop compliquées. Critique envers son propre organisme, il proposait alors de clarifier ces règles, afin que l’IPSO soit à la hauteur de ses prétentions d’équité et d’indépendance.

Hacked Off, regroupement de victimes d’abus de la presse et des tenants d’une régulation des médias conforme aux recommandations de Lord Leveson, constitue la voix la plus critique à l’endroit de l’IPSO. Ses sympathisants citent volontiers un rapport d’évaluation d’IPSO, réalisée par le Media Standards Trust en novembre 2013 (alors que l’IPSO était encore à l’état de projet), qui établissait que seules 12 des 38 recommandations de Lord Leveson étaient clairement satisfaites par le nouvel organe de régulation des médias[1].

L’IPSO ne désire d’ailleurs pas être accrédité par le Press Recognition Panel (PRP), une instance de reconnaissance et de supervision des systèmes de régulation de la presse. La mise sur pied du PRP, constitué en novembre 2014 en vertu d’une charte royale, faisait partie des recommandations de Lord Leveson.

Fait à noter, The Guardian, le Financial Times et The Independant ne comptent pas adhérer non plus à un organisme de régulation encadré par le PRP et la charte royale.

L’IMPRESS effectif en janvier

Un second système d’autorégulation, l’Independent Monitor for the Press (IMPRESS), débutera ses activités en janvier 2015. L’IMPRESS Project a été initié en décembre 2013 par d’ex-journalistes et des membres du public.

Le 11 décembre 2014, l’IMPRESS dévoilait les membres de son conseil d’administration, présidé par Walter Merricks, ex-ombudsman en chef du Financial Ombudsman Service. Les membres de ce conseil sont en grande majorité d’ex-journalistes ou issus de divers domaines de la société civile.

L’indépendance est au coeur de cette initiative, qui compte parmi ses sympathisants des figures connues comme Sir Harold Evans, ex-rédacteur en chef du Sunday Times. L’IMPRESS comptera, pour son fonctionnement et sa survie, sur les dons et le mécénat. Déjà, des donnateurs de renom se sont manifestés, notamment les auteurs JK Rowling, Michael Frayn, Ian McEwan et l’acteur Terry Gilliam.

Son fondateur, Jonathan Haewood, admet que la question du financement et du maintien de l’indépendance est une difficulté pour un tel projet. L’IMPRESS Project a essuyé, en octobre, un refus de la part de la Charity commission, auprès de laquelle il sollicitait une reconnaissance à titre d’organisme de charité.

Quant au recrutement de futurs membres, tout reste à faire, dit en somme Alex Cisneros, chargé de projet pour IMPRESS Project. « Nous approcherons des éditeurs au début de la nouvelle année, afin de voir qui est prêt à adhérer », écrit-il dans un échange de courriel avec le Magazine du CPQ.

Une différence notoire de l’IMPRESS par rapport à l’IPSO est la mise sur pied d’un service d’arbitrage pour les causes civiles accessible autant pour les membres de l’organismes que pour les non-membres. Ce système d’arbitrage offrira une solution moins coûteuse pour les parties que les procédures judiciaires devant les tribunaux, dans le cas de recours en diffamation, par exemple. L’IPSO compte également offrir un tel service, mais à ses membres seulement et son projet est moins étoffé que celui de son concurrent.

Malgré le fait que l’IMPRESS ait la volonté de répondre en tous points aux recommandations du rapport Leveson, la question de sa reconnaissance par le PRP est laissée en suspend, jusqu’à ce que les membres du conseil d’administration se prononcent sur ce sujet délicat.

De façon générale, les médias ont une réaction épidermique face à un système de régulation encadré par une charte royale, comme celle instituant le PRP. Bien que la possibilité que le Parlement puisse modifier la Charte soit théorique, elle est suffisante pour alimenter les doutes des éditeurs de journaux et magazines au sujet de l’indépendance politique d’un tel système de régulation.

30 octobre 2013 : la Reine donne son assentiment à la Charte royale qui encadre le Press Recognition Panel (PRP), organe de reconnaissance et de supervision des organisme d’autorégulation au Royaume-Uni. La création d’un PRP faisait partie des recommandations du rapport Leveson, publié un an plus tôt.

Décembre 2013 : création de « IMPRESS Project » (Independent Monitor for the Press).

Avril 2014 : le Financial Times crée son propre système d’autorégulation, par la nomination d’un commissaire aux plaintes indépendant.

8 septembre 2014 : le PCC cesse ses activités.

8 septembre 2014 : l’organe d’autorégulation IPSO entre en fonction.

3 novembre 2014 : le PRP entre en fonction.

Janvier 2015 : début des activités de l’IMPRESS.

Une chronologie antérieure au 30 octobre 2013 de la saga de la régulation de la presse au Royaume-Uni, est disponible ici.

[1]« Selon l’analyse effectuée, 12 des 38 recommandations du rapport Leveson sont satisfaites par l’IPSO, alors que 20 ne le sont pas. Il est impossible d’établir, étant donné les information disponibles actuellement, si l’IPSO rencontre les 6 recommandations restantes », peut-on lire dans le rapport du Media Standards Trust.