Conflits d’intérêts et information économique et financière : une nécessaire prévention (Extrait du Rapport annuel 1988-1989)

Préambule

Les conflits d’intérêts :

Le Conseil de presse du Québec a toujours insisté pour que les entreprises de presse et les journalistes évitent non seulement les conflits d’intérêts, mais aussi toute situation qui risque de les faire paraître en de tels conflits. Il en va de l’intégrité même de l’information et de la crédibilité de ceux et celles qui la font et la transmettent au public, lequel doit en tout temps être convaincu du travail irréprochable des médias et des journalistes : autrement, la presse trahirait sa vocation première qui est de servir le droit qu’a ce même public à une information libre et honnête.

Malgré tout, il peut arriver que des journalistes soient mis dans une situation où ils ont à choisir entre leur devoir professionnel et leur intérêt personnel. D’où l’importance de prévenir pareilles éventualités et d’établir des mécanismes à cette fin, de façon à ce qu’aucun doute ne vienne ternir le professionnalisme des médias et des journalistes dans l’esprit du public.

Pourquoi l’information économique et financière?

Les principes s’appliquent à tous les journalistes, dans tous les médias, et pour tous les secteurs et les types d’information. En effet, le conflit d’intérêts a un caractère d’universalité qui transcende les frontières des genres, statuts et spécialités journalistiques. Il peut être tout à la fois politique, économique, culturel, sportif, scientifique. Il touche aussi bien l’éditorialiste que le reporter, l’analyste que le chroniqueur, l’éditeur que le journaliste, le permanent que le contractuel ou le pigiste.

Pourquoi alors traiter spécifiquement de déontologie en matière d’information économique et financière?

Essentiellement à cause de l’impact incontestable qu’a ce type d’information à la fois sur le cours de certains titres [notamment dans le cas de petites entreprises à liquidité réduite] et sur les décisions que sont appelés à prendre, tous les jours, des citoyens souvent peu au fait des méandres d’un système économique complexe et en constante et rapide évolution.

Les prémisses

Les journalistes et les entreprises de presse ne sauraient être soumis à un régime d’exception imposé de l’extérieur en matière d’information économique et financière.
Ceux-ci restent bien entendu soumis à l’ensemble des lois et règlements qui régissent ces domaines, notamment en ce qui a trait au commerce des valeurs mobilières, mais les prémisses sur lesquelles sont fondées les règles de conduite du Conseil concernant les conflits d’intérêts sont :

  1. La responsabilité des journalistes et des médias face à la publication d’informations dans les domaines économiques et financiers.
  2. La capacité d’autodiscipline de l’ensemble de la profession.

 
Et c’est en ce sens que le Conseil suggère l’adoption des quelques mécanismes qui suivent. 

MÉCANISMES DE PRÉVENTION ET DE CONTRÔLE

  1. DIVULGATION DES INTÉRÊTS FINANCIERS, TRANSACTIONS ET ACTIVITÉS ADMINISTRATIVES ET COMMERCIALES DES JOURNALISTES
  1. Journalistes réguliers [permanents ou contractuels], cadres de la rédaction et direction des médias

Le Conseil recommande que les journalistes, cadres et dirigeants d’une entreprise de presse divulguent à un tiers, choisi de préférence à l’extérieur de l’entreprise et désigné selon des modalités à être définies par eux et l’entreprise, la nature de leurs intérêts financiers directs ou indirects(1) [valeurs mobilières, biens immobiliers, propriété d’entreprises], des transactions effectuées à l’égard desdits intérêts, ainsi que de leurs activités administratives et commerciales extérieures [directorats, conseils d’administration].

Ce tiers serait chargé de prévenir les situations de conflits d’intérêts en fonction des responsabilités professionnelles et des affectations du journaliste.

N.B. Le Conseil de presse ne saurait être ce tiers, compte tenu de son mandat de tribunal d’honneur appelé à trancher, à posteriori, les litiges de toutes sortes qui lui sont soumis concernant la conduite des journalistes et des médias.

  1. Journalistes autonomes [pigistes]

Le cas des journalistes autonomes [pigistes] qui collaborent avec une ou plusieurs entreprises de presse est différente, dans la mesure où leurs services sont normalement retenus à des fins précises et dans le cadre de mandats limités et définis à l’avance. Dans ce contexte, le Conseil recommande que ces journalistes divulguent à un représentant de l’entreprise [ou des entreprises] la nature de leurs intérêts financiers directs ou indirects dans les secteurs qui sont l’objet de leur prestation.

À l’inverse, une entreprise de presse qui fait appel aux services d’un journaliste pigiste devrait s’assurer du fait que le mandat qu’elle lui confie n’entre pas en conflit avec ses intérêts personnels.

  1. INFORMATION SUR LES AFFILIATIONS CORPORATIVES DES ENTREPRISES DE PRESSE

Dans le cas d’éditoriaux, de commentaires ou d’analyses sur des entreprises, le Conseil recommande que les médias fassent état de l’existence et de la nature des liens de propriétés ou des associations d’affaires entre ces entreprises et les médias eux-mêmes.

  1. TRANSACTIONS FINANCIÈRES ET COMMERCIALES / DIFFUSION DE L’INFORMATION

 

  1. Titres boursiers

Dans le cadre de son travail, un journaliste peut obtenir une information significative et importante, susceptible d’influer sur le cours d’un titre boursier, sans pour autant qu’il soit un  » initié  » au sens de la Loi sur les valeurs mobilières(2).

Afin d’éviter tout conflit d’intérêts et toute apparence d’un tel conflit, le journaliste ne devra alors effectuer aucune transaction [achat, vente, prise de position] de ce titre avant que l’information obtenue n’ait été publiée ou diffusée et que le public ait pu en prendre connaissance.

  1. Intérêts divers

Le même principe s’applique dans le cas d’informations dont l’incidence pourrait se faire sentir sur le prix de certains biens [immeubles par exemple] ou services, ou encore sur un secteur précis de l’économie.

Le journaliste devra alors attendre que les informations qu’il a obtenues aient été portées à la connaissance du public avant d’effectuer quelque transaction que ce soit concernant ces biens et services.

En conclusion

Afin de contrer les conflits d’intérêts et les apparences de tels conflits, le Conseil recommande fortement l’élaboration et l’adoption de tels mécanismes de prévention et de contrôle, notamment en ce qui a trait à la divulgation des intérêts, transactions et activités administratives et commerciales.

Advenant l’impossibilité, pour les entreprises et les journalistes, de s’entendre sur la mise au point de ces mécanismes, il est impératif que les professionnels de l’information fassent en sorte de prévenir et d’éviter d’eux-mêmes conflits et apparences de conflits en :

  • renonçant aux transactions reliées aux titres, parts et biens possédés dans ces entreprises ou des secteurs de l’économie qui font l’objet de commentaires ou de recommandations de leur part dans le cadre de leur travail journalistique;
  • refusant tout directorat, contrat ou poste dans des entreprises faisant l’objet d’une couverture journalistique de leur part;
  • informant clairement leurs supérieurs des potentialités de conflits d’intérêts reliées à une affectation ou à un mandat particulier.

 

  1. Le qualificatif  » indirect  » utilisé dans le présent texte réfère à l’utilisation d’un prête-nom ou aux transferts plus ou moins artificiels de titres ou de biens entre proches.
  2. LRQ, chap. V-1.1, 1987, art. 89 et 187.