Journalisme d’embuscade : une pratique inéquitable pour les victimes de drames

Montréal, lundi 5 décembre 2011 – Le comité des plaintes (CP) du Conseil de presse du Québec a rendu publiques aujourd’hui huit nouvelles décisions. Parmi celles-ci, quatre méritent qu’on s’y attarde; les voici.

Une intrusion injustifiée de la vie privée
D2011-03-075 : Paul Larocque c. Patrick Bégin, journaliste; François Paradis, animateur et Serge Fortin, vice-président, Information, Groupe TVA

Le 30 mars 2011, suite à la mise en accusation d’un jeune homme pour conduite avec faculté affaiblie ayant causé la mort, le journaliste Patrick Bégin se présente à la maison familiale de l’accusé afin d’obtenir, à chaud, les réactions de sa mère devant une vidéo qui circule sur le net, montrant son fils buvant une bière au volant.

Le comité des plaintes a jugé qu’en se présentant au domicile du jeune homme, sans s’annoncer et sans avertir la mère du jeune homme qu’elle était enregistrée et filmée, le journaliste s’est adonné à ce qu’on appelle du journalisme d’embuscade, où « l’objectif apparaît davantage de piéger les personnes ou les instances mises en cause dans l’enquête que de servir l’intérêt public » (Droits et responsabilités de la presse, p. 27). Cette pratique relevait selon le comité d’un abus de pouvoir, jugé inéquitable pour la mère, d’autant plus que les médias et les journalistes sont invités à faire preuve de circonspection pour les victimes de drames. Le reportage ne laisse d’ailleurs aucun doute quant à la fragilité évidente de celle-ci, visiblement perturbée par les événements survenus quelques jours plus tôt.

Dans les circonstances, la décision de diffuser l’entrevue est d’autant plus condamnable que celle-ci n’était pas réalisée en direct, laissant amplement de temps aux responsables pour juger qu’elle n’était d’aucun intérêt public et ne faisait qu’exploiter le désarroi d’une personne touchée par un drame.

Le Conseil a donc retenu la plainte de M. Larocque et blâmé MM. Bégin, Paradis et Fortin, pour atteinte à la vie privée et utilisation de procédés inéquitables et sensationnalisme. Pour leur refus de collaborer, le Conseil blâme également le Groupe TVA.

Publireportages : l’identification, une règle d’or
D2011-03-074 : Gilles Beauchamp c. Lucie Masse, éditrice, et l’hebdomadaire Le Courrier du Sud

La plainte déposée par M. Beauchamp visait trois articles publiés en mars et avril 2011 dans Le Courrier du Sud qu’il estimait être en fait des publireportages déguisés en produits journalistiques.

Les règles déontologiques sont, à cet égard, on ne peut plus claires. À cet effet, le Guide déontologique du Conseil stipule que « Les médias doivent établir une distinction nette entre l’information et la publicité sur tous les plans : contenu, présentation, illustration. Tout manquement à cet égard est porteur de confusion auprès du public quant à la nature de l’information qu’il croit recevoir » (DERP, p. 31).

Pour le comité des plaintes, il ne fait aucun doute que les trois textes étaient en fait du matériel promotionnel, sans aucun traitement journalistique, servant à promouvoir des intérêts commerciaux. Ainsi, la plainte contre Le Courrier du Sud a été retenue, et un blâme, prononcé, pour refus de collaboration.

Une violation gratuite de la vie privée
D2011-04-78 : Marie-Michelle Poisson et Mohamed Lotfi Laraki c. Carl Monette, animateur; Patrick Demers, directeur général; l’émission « Le Show du matin » et KYK Radio-Saguenay 95,7 FM

Une question d’intérêt public, comme l’est celle de la laïcité des institutions publiques québécoise, ne peut en elle-même venir justifier toute forme d’intrusion dans la vie privée de ceux qui prennent part aux débats que soulève ce genre de questions. C’est ce qu’a réaffirmé le comité des plaintes dans cette affaire, dans laquelle les plaignants reprochaient aux mis en cause d’avoir diffusé, à tort, le message de leur répondeur téléphonique résidentiel et d’avoir fait en outre des insinuations racistes à l’endroit de M. Lotfi.

Lors de l’émission en question (11 mars 2011) l’animateur Carl Monette, alors accompagné du maire de Saguenay, M. Tremblay, téléphone à la résidence de Mme Poisson, présidente du Mouvement laïque québécois, qui s’oppose justement au maire Tremblay pour les positions qu’il défend. L’animateur, qui campe manifestement du côté du maire dans les débats entourant le maintien de la prière à l’hôtel de ville de Saguenay, décide alors de diffuser en ondes le message du répondeur de Mme Poisson et de M. Lotfi. Le comité a jugé qu’il s’agissait d’une violation de la vie privée qui n’était pas justifiée.

Bien que l’animateur ait insisté sur les origines ethniques et religieuses de M. Lotfi, le comité des plaintes juge qu’il n’a pas, dans le cas présent, dépassé les limites déontologiques de l’acceptable. En revanche, il a jugé qu’il n’y avait aucun intérêt à diffuser le message de répondeur, et qu’en agissant ainsi l’animateur et la station de radio violaient le droit à la vie privée des plaignants.

La plainte a donc été partiellement retenue, mais pour son refus de collaborer, le Conseil blâme KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM.

Sur l’usage du terme « expert »
D2011-03-68 : Benoit Lacoursière c. Le portail Cyberpresse et Mario Girard, directeur de l’information

Une section relativement nouvelle du site web cyberpresse.ca, propriété de Gesca, s’intitulant « La Presse Débats », propose aux internautes le point de vue d’une douzaine de personnes provenant de divers milieux sur de grandes questions faisant l’actualité.

Dans le cas présent, le plaignant dénonçait le manque d’équilibre des opinions énoncées en réponse à la question du jour, qui portait sur la nécessité ou non de hausser les frais de scolarité. Il estime que le média, sans nécessairement avoir à promouvoir une égalité arithmétique, aurait pu faire place à davantage de voix s’opposant à cette hausse – ce qui était le cas pour seulement deux des douze « experts », un terme qu’utilise le site web et dont il conteste également la légitimité.

Le comité des plaintes a jugé que la section « La Presse Débats » doit être comparée à une forme de tribune téléphonique. À cet effet, le Guide n’énonce pas une obligation formelle d’équilibre, bien qu’il invite expressément les journalistes et les médias à y être « attentifs ». Dans les circonstances, étant donné que dans l’ensemble, Cyberpresse a présenté une variété de points de vue et d’opinions autour de la question du dégel des frais de scolarité, le grief pour déséquilibre a été rejeté.

Quant à l’utilisation du terme « experts », sans y voir une faute déontologique à proprement parler, le comité a jugé qu’elle pouvait potentiellement entretenir une certaine confusion, puisque tous les intervenants ne sont pas forcément des experts de la question qui leur est soumise. Il invite donc Cyberpresse à clarifier ce point, mais rejette le grief.

La plainte a donc été rejetée.

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Ces décisions sont toutes susceptibles d’être portées en appel dans les 30 jours de leur réception par les parties.

Le Conseil rappelle que « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8.2)

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SOURCE :           
Julien Acosta, directeur des communications
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818

RENSEIGNEMENTS :    
Guy Amyot, secrétaire général
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818