Mémoire du Conseil de presse du Québec à la Commission de la culture concernant le projet de loi 86 modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et d’autres dispositions législatives

1.    Introduction

La mission du Conseil de presse s’articule essentiellement autour de deux grands axes : protéger la liberté de presse et le droit du public à une information de qualité. C’est principalement en vertu de ce dernier axe de sa mission que le Conseil se préoccupe, depuis plusieurs années, du droit d’accès à l’information détenue par des organismes publics et, plus particulièrement du projet de loi déposé le 16 décembre 2004.
Vu ce rôle, le Conseil porte un intérêt marqué à l’accès à l’information gouvernementale. D’ailleurs, le guide de principes du Conseil intitulé Droits et responsabilités de la presse prévoit, à son article 1.1.2 :

« L’État doit témoigner d’une volonté politique ferme de rendre son administration aussi transparente que possible. Les institutions et les pouvoirs publics ont l’obligation de respecter cet objectif de transparence et de faciliter l’accès aux documents publics. (…) les citoyens ont le droit inaliénable d’être pleinement et adéquatement renseignés sur les faits, les gestes et les décisions des responsables de l’administration publique. (…). Il est essentiel que la presse ait accès à l’information concernant l’appareil administratif de l’État ainsi que des institutions et organismes qui en relèvent ou qui en sont une extension. Toute entrave d’ordre juridique ou administratif en la matière constitue une atteinte à la liberté de la presse et à la fonction sociale qui lui est dévolue, ainsi qu’au droit légitime de la population d’être informée des faits et gestes de son administration publique. »

Bien que des progrès importants aient été observés depuis l’adoption de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, des efforts supplémentaires doivent être consentis par les organismes publics afin de faciliter le recours à l’information de nature publique. Les commentaires du Conseil de presse à l’égard du projet de loi 86 vont dans le même sens que ceux qu’il formulait dans son mémoire produit en août 2003 à l’endroit du projet de réforme de la Commission d’accès à l’information.

2.    Qui sommes-nous?

Le Conseil de presse est un organisme à but non lucratif qui œuvre depuis plus de trente ans pour la protection de la liberté de presse et le droit du public à une information de qualité. En ce sens, il agit comme tribunal d’honneur de la presse québécoise, il émet des avis sur diverses questions ou pratiques en lien avec sa mission.
Le conseil d’administration du Conseil est composé de 22 personnes dont sept représentants provenant des entreprises de presse, sept journalistes choisis par l’assemblée générale de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et sept représentants du public. Le 22e membre est le président, M. Raymond Corriveau, représentant du public. Depuis sa fondation, en 1973, le Conseil a été appelé à se pencher, à titre de tribunal d’honneur, sur plus de 2 000 plaintes. Les décisions rendues par le Conseil, de même que l’ensemble des avis publics qu’il a publiés, font jurisprudence en matière d’éthique de l’information.
Le Conseil de presse agit, en somme, comme protecteur du citoyen en matière d’information et le service qu’il dispense à cet égard à la population possède un caractère fondamentalement public.

3. Un constat

Dans une récente enquête (juin 2005) menée à travers le Canada par l’Association canadienne des journaux, une série de demandes d’accès à l’information ont été formulées par des journalistes ciblés à chacun des gouvernement provinciaux et au gouvernement fédéral.
À la suite de cette enquête, le gouvernement du Québec arrive à des résultats sous la moyenne des provinces quant au ratio de demandes d’accès à l’information accordées. En effet, selon cette enquête, seulement 50 % des demandes ont trouvé réponse contrairement à plus de 70 % en Ontario et en Colombie-Britannique, plus de 80 % à Terre-Neuve et au Manitoba et 93 % en Alberta. Ces résultats semblent significatifs d’une culture du secret encore trop présente au sein des organismes publics québécois et qui mérite d’être considérée. Trop souvent, on interprète la Loi d’accès par le prisme de la restriction plutôt que par celui de l’ouverture.
Il faut aussi rappeler que la Commission d’accès à l’information affirmait, dans le Rapport sur la mise en œuvre de la Loi sur l’accès et de la Loi sur le secteur privé (ci-après nommé Rapport sur la mise en œuvre de la Loi) : « […] les organismes publics doivent revoir leur façon de gérer leurs documents, avec l’objectif premier de les rendre plus facilement accessibles et de minimiser les démarches que doivent entreprendre les demandeurs d’accès pour les obtenir. L’équation est évidente : moins il y aura de procédures pour obtenir un document et mieux sera respecté le droit à l’information ». En ce sens, le Conseil de presse appuie la position de la Commission.
Il est clair que l’information de nature publique gagne à être publiée à plus grande échelle, ainsi, les citoyens seront davantage en mesure de connaître le fondement des décisions gouvernementales et d’autres informations qui leur permettent de faire des choix éclairés. En bout de ligne, les institutions publiques, les journalistes et le public ressortiront tous gagnants d’une large diffusion des documents publics.

4.    La publication automatique

L’article 8 du projet de loi 86 prévoit l’insertion d’un nouvel article dans la Loi d’accès soit l’article 16.1 qui se lirait comme suit :
« Un ministère ou organisme gouvernemental visé par l’article 3 ou un organisme public visé par règlement doit mettre en œuvre la politique de diffusion de l’information établie par règlement du gouvernement. Cette politique prévoit des mesures favorisant l’accès à l’information et identifie les types de documents ou renseignements accessibles en vertu de la loi qui doivent être diffusés systématiquement, notamment dans un site Internet. »
Cette disposition permettrait un accès automatique, sans nécessité de procéder par une demande d’accès, à diverses informations publiques détenues par les ministères et organismes visés par la loi. Avec l’introduction de politiques de divulgation automatique, un certain nombre de ces demandes qui peuvent nécessiter un traitement de plusieurs semaines pour les journalistes et le public, ne seraient plus nécessaires. Cette disposition peut donc faciliter l’accès à l’information et le Conseil de presse ne peut que s’en réjouir.

5.    Un règlement qui doit refléter un esprit d’ouverture

Le Conseil insiste toutefois sur l’importance que le règlement, qui sera adopté par le gouvernement sans intervention de l’Assemblée nationale, afin de préciser la portée de la loi, soit large et ce, de manière à favoriser la plus grande transparence possible pour le public et les journalistes. Les politiques qui seront adoptées devront clairement favoriser l’ouverture à la diffusion et éliminer le plus possible les exceptions pointues qui pourraient rendre presque inapplicable le principe de diffusion automatique préconisé par le projet de loi 86. En ce sens, le Conseil de presse appuie le commentaire de la Commission d’accès dans le Rapport sur la mise en oeuvre de la Loi stipulant : « […] la Commission estime que le Plan devrait prévoir la publication d’une information variée et abondante ne se limitant pas à de simples renseignements sur les services offerts par l’organisme ».

Le 5 avril dernier, lors de l’adoption du principe du projet de loi, le ministre responsable de l’accès à l’information disait, à l’égard du futur règlement précisant la portée de la divulgation automatique, compter « rendre publique une ébauche de ce règlement à temps pour la consultation en commission parlementaire afin que l’on puisse échanger en toute connaissance de cause sur la portée de ce principe ». Au moment de la rédaction du présent mémoire, nous n’avions pas pu prendre connaissance de cette ébauche et croyons que l’initiative proposée par le ministre le 5 avril est incontournable.

L’absence de précisions concrètes à l’égard du règlement nous amène à soulever des questions importantes, par exemple :

  • Le public sera-t-il informé lorsqu’un ministère ou tout autre organisme assujetti à la loi rendra publics de nouveaux documents? Si oui, de quelle façon?
  • Y aura-t-il une période de temps prescrite pour que les documents soient rendus publics et pendant combien de temps seront-ils disponibles?
  • La Commission d’accès effectuera-t-elle une veille afin de s’assurer que tous les ministères et organismes se conforment réellement à l’article 8 du projet de loi et au règlement en découlant?
  • La Commission pourra-t-elle servir de médiateur entre le citoyen ou le journaliste et un ministère ou organisme public lorsque des litiges naîtront entre eux à l’égard de la divulgation automatique?

6.    Conclusion

Bref, l’article 8 du projet de loi 86 conjugué à un plan efficace visant une réelle transparence permettront que soit diffusée de l’information importante en évitant des délais et des coûts. Dans la perspective du droit du public à de l’information de qualité, cette disposition ne peut être que positive. Toutefois, le Conseil de presse considère qu’il est impératif que les grandes lignes du contenu du règlement soient rendues publiques avant l’adoption du projet de loi.