Cyborg-journalistes

Nul ne doute que le monde ait besoin du journalisme. Mais des journalistes? À lire les prédictions de Kris Hammond, directeur technique de la firme Narrative Science, leur pertinence sera forcément remise en question, car d’ici 15 ans, selon lui, 90 % de l’information pourra être produite par des ordinateurs.

Partant du constat qu’une quantité sans cesse croissante d’information peut être stockée sous forme de données numériques interprétables par des ordinateurs, et que des logiciels avancés permettent dorénavant à ceux-ci de rédiger des textes dont les qualités syntaxiques et narratives les rapprochent sans cesse des journalistes-humains, Kris Hammond croit qu’il est désormais non seulement possible, mais inévitable, qu’une portion significative du journalisme factuel soit le fruit d’ordinateurs.

Selon Kris Hammond, d’ici cinq ans, une machine devrait être en mesure de remporter un prix Pullitzer… (Crédit photo: dottavi, Flickr, CC)

Il y a quelques mois, le New York Times publiait un reportage sur la firme pour laquelle il travaille, Narrative Science, relatant les avancées phénoménales en matière de sémantique numérique : les résultats étaient, en effet, très impressionnants.

Jusqu’à présent, les expériences de la firme semblent se concentrer surtout sur la couverture d’événements sportifs et financiers, où les données brutes abondent.

Le hic – s’il s’agit bien d’un hic – c’est que les dirigeants de Narrative Science s’attendent à bien plus, dans l’avenir, de la technologie qu’ils continuent de développer : en termes de quantité, d’abord, mais également de qualité. Car l’autre prédiction de Kris Hammond est peut-être plus terrifiante encore que la première pour les journalistes en chair et en os de ce monde, à savoir que d’ici cinq ans, une machine devrait être en mesure de remporter un prix Pullitzer… 

Une évolution… souhaitable?

Aussi effarantes soient-elles, ces prophéties pratiquement orwelliennes cachent peut-être, au fond, une grande avancée pour le journalisme. On peut supposer, en effet, qu’une telle technologie ne permettrait pas de remplacer le journalisme d’opinion, mais uniquement, au mieux, une partie du journalisme factuel, dont une bonne partie du travail consiste à cueillir machinalement des données qu’il s’agit ensuite de traiter en cherchant la plus grande neutralité possible. 

En même temps, il est difficilement concevable qu’une machine ait l’intelligence requise pour rapporter les finesses et les subtilités des événements moindrement complexes. Comment un ordinateur décrirait l’ambiance qui règne dans une manifestation? La passion qui se dégage du discours d’un politicien? L’insécurité qui se lit sur le visage de sinistrés?

Qu’à cela ne tienne, si les résultats sont aussi probants que ne le laissent croire les dirigeants de Narrative Science, les journalistes ont toutes les raisons de craindre pour leur emploi, car à 10 $ par tranche de 500 mots (le tarif qu’il en coûte actuellement), il y a fort à parier que plus d’un éditeur sera tenté par l’expérience…

La question qui tue : si une plainte était déposée au Conseil de presse du Québec contre un article rédigé par de tels robots, qui devrait-on blâmer en cas de faute? Le programmeur informatique?

MISE À JOUR: à lire sur le même sujet, cet excellent texte paru ce matin dans The Atlantic