France : Vers une déontologie pour tous?

Crédit photo : Parti socialiste CC

Lors de l’atelier intitulé Médias : quelle déontologie pour quelle information? présenté dans le cadre de l’université d’été du Parti socialiste qui se déroulait du 23 au 25 août, à La Rochelle, les participants ont plaidé pour la création d’un cadre déontologique applicable à tous les journalistes français. 

Cette table ronde réunissait Philippe Buisson, secrétaire national aux Médias, Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ), Martine Martinel, députée socialiste et Sabine Chevrier, membre du collectif Les indignés du PAF.

D’entrée de jeu, Dominique Pradalié, dont l’organisme appuie la création d’un conseil de presse, n’a pas caché l’impasse dans laquelle se trouvent la profession et le public. D’une part, elle note que les journalistes s’adressent aux élus parce que le milieu n’a pas réussi à régler certains problèmes; d’autre part, elle constate les demandes « des citoyens qui n’arrivent plus à comprendre ou à suivre ce que font les journalistes qui ne travaillent pas toujours bien parce qu’ils ont des conditions de pire en pire ».

Sabine Chevrier, représentante des Indignés du PAF, a souligné que l’association s’est formée en réaction au « bidouillage » d’un reportage diffusé sur TF1. À l’époque, une chaîne concurrente avait immédiatement relevé la manipulation. En constatant que cette dénonciation n’avait pas eu d’échos, des citoyens ont créé Les Indignés du PAF afin de pouvoir déposer une plainte au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), puisque seuls les associations et le « citoyen éclairé » peuvent l’interpeller. 

La démarche a fait réaliser à Mme Chevrier que dans la situation actuelle, un manquement déontologique ne prête pas à conséquence. Malgré une mise en garde sévère du CSA à l’endroit de TF1, les téléspectateurs de l’émission ayant diffusé le reportage en cause n’ont pas été informés de cette décision, a-t-elle rapporté.

« À un moment, il faut légiférer pour que la déontologie prenne une place prépondérante », a soutenu Sabine Chevrier. En attendant, Les Indignés du PAF encourage les citoyens à dénoncer les manquements déontologiques sur Facebook et à appeler les médiateurs afin que l’information soit rectifiée. 

« À partir du moment où on exige la rectification de l’information, forcément, il va peut-être y avoir une amélioration parce qu’actuellement c’est pas vu, pas pris. Et même quand c’est vu, de toute manière ça ne porte pas à conséquence, on peut continuer. Donc, il n’y a pas de différence entre un journaliste qui va réellement passer des mois à mener l’enquête et quelqu’un qui, pour plein de raisons, va avoir peu de temps et ne pas vérifier l’information. »

Dissensions

Interrogé par un membre du public sur la volonté du gouvernement d’intervenir en matière de déontologie journalistique, M. Buisson a fait une distinction entre les positions du Parti socialiste, celles du gouvernement et du parlement. « Le Parti socialiste a pris position pour la création d’un conseil de presse, y compris la conditionnalité des aides à la presse. Le gouvernement est plus réservé sur la création d’un tel conseil. C’est pourquoi je continue de plaider auprès d’Aurélie Filippetti [ministre de la Culture et de la Communication] et de ses conseillers, ceux du premier ministre et du président pour qu’il y ait manifestation du gouvernement pour cet outil déontologique. »

Si on en croit un compte-rendu publié sur le site du Syndicat de la presse professionnelle (SP PRO), Philippe Buisson devra également persuader son collègue Patrick Bloche, président de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale. En juillet dernier, lors d’une intervention à l’assemblée générale du SP PRO, il a signifié son opposition à la création d’un conseil de presse. 

Au cours du débat, Sabine Chevrier et Dominique Pradalié ont également rappelé les résistances des employeurs. « Les employeurs disent : “Nous, on veut rester le patron chez nous”. Ils mélangent déontologie et ligne éditoriale exprès pour enfumer. Il n’y a aucune raison pour qu’un journaliste change de déontologie sous prétexte qu’il change [de média]. Il n’y a aucune raison pour qu’un citoyen ait une exigence différente en fonction du fait qu’il écoute, qu’il regarde ou qu’il lit », a argumenté Mme Pradalié en insistant sur l’importance d’une charte commune, une solution également préconisée par Les Indignés du PAF.

Martine Martinel a pour sa part demandé du temps. Tout en rappelant que le gouvernement n’est au pouvoir que depuis un an, elle a souligné que le parlement est en train de modifier le processus de nomination des patrons des entreprises publiques, tels que Radio France et France Télévision. « Je crois que 2014 sera une grande année pour les médias, mais il faut du temps », a-t-elle répété. 

Démocratie 

Martine Martinel a insisté sur le rôle démocratique de la presse. Elle croit que les citoyens doivent être plus exigeants envers les médias sur la qualité de ce qui leur est proposé. Selon elle, ils doivent se mêler du débat qui a cours.

De son côté, Sabine Chevrier fait remarquer : « Un citoyen, pour qu’il puisse faire des choix, doit être informé correctement, avoir accès à une information fiable, vérifiée, multiperspective. Après il fait ses choix en toute connaissance de cause. C’est sur ce sujet qu’on se bat aux Indignés du PAF ».

Mme Chevrier a cependant précisé que c’est aux journalistes de fixer les règles de déontologie de leur profession. « On n’a pas à dicter le programme », a-t-elle ajouté.

Tout en déplorant cette absence « d’interface entre le citoyen et le journaliste », Philippe Buisson considère comme un signe de santé démocratique d’avoir « une profession qui accepte de s’autoréguler et de faire de la médiation sur des sujets aussi sensibles » à travers un conseil de presse.

Pour l’instant, aucun échéancier n’a été dévoilé. Cependant, en juin, dans une allocution au Club de la presse de Bordeaux, Philippe Buisson avait indiqué que la ministre de la Culture annoncerait en septembre, lors du congrès du SNJ, la création d’un conseil de presse. L’organisme déontologique devrait voir le jour d’ici un an, avançait-il. 

Rappelons qu’en avril,  Philippe Buisson avait annoncé en conférence de presse que le Parti socialiste était favorable à l’idée de conditionner les aides publiques à la presse à l’adhésion à un organe de déontologie et à un respect de notion des règles de déontologie. Une position soutenue par le SNJ. Au début de l’atelier, il a précisé que les aides à la presse seront étudiées par le parlement, cet automne.

Le SNJ demande également aux parlementaires d’ajouter un droit collectif à la clause de conscience qui protège un journaliste qui refuse de poser un acte jugé contraire à la déontologie. « Si un journaliste quitte du jour au lendemain, sa conscience sera intégrale, mais la rédaction n’est pas améliorée, au contraire, a affirmé Mme Pradalié. Il faut ajouter la reconnaissance juridique d’une équipe rédactionnelle dans chaque rédaction. Seul ce droit collectif permettra de rééquilibrer les pouvoirs. »

Tout comme le Conseil de presse du Québec, l’organisme français serait tripartite (public, entreprises de presse et journalistes). Dans le cas de la France, on propose qu’il soit rattaché au comité qui émet la carte.

Précision apportée concernant la position des Indignés du PAF au sujet de la charte commune le 9 septembre 2013.