Lettre ouverte : réponse aux critiques de Mme Benhabib envers le CPQ

Chère Mme Benhabib,

Il m’a semblé qu’il était opportun que je réponde, au nom du Conseil de presse du Québec que je préside, à certaines des affirmations que vous faites dans la lettre que vous nous avez adressée publiquement, sur le réseau Facebook, plusieurs d’entre elles n’étant pas tout à fait justes.

Je dois cependant vous dire d’emblée que je ne commenterai pas le fond de la décision comme tel, pour la simple et bonne raison que je n’y ai d’aucune façon participé et que de toute manière les tribunaux, même d’honneur, n’ont pas à justifier leurs décisions. On juge qu’elles parlent d’elles-mêmes. Ce que je peux commenter, par contre, ce sont les accusations, certaines assez graves, que vous portez à l’endroit du Conseil de presse.

1) En rendant sa décision, le Conseil aurait participé à une vulgaire « job de bras »

Cette accusation est pour le moins étonnante, car elle sous-entend que le comité des plaintes du Conseil de presse aurait plutôt dû juger de cette affaire en tenant compte de l’identité de la plaignante, de son passé et de ses motivations profondes. Ainsi, chaque fois qu’une plainte lui parvient, le Conseil devrait donc, selon cette logique, procéder à une analyse préalable des motivations de la partie plaignante, et rejeter d’office toute plainte qui pourrait procéder d’une inimitié. Ou encore les juger en fonction de ces mêmes motivations : une plainte fondée d’un point de vue déontologique, mais mal intentionnée devrait ainsi être rejetée. Mais que faire d’une plainte infondée, mais « bien » intentionnée?

La vérité c’est que le Conseil de presse existe d’abord et avant tout pour défendre le droit du public à une information de qualité, et non pour défendre des intérêts privés. Ce n’est pas un hasard si le Conseil n’étudie pas les griefs pour diffamation.

Finalement, le Conseil n’a pas non plus à moduler ses décisions en fonction de leur éventuelle appropriation par des courants politiques. Il se trouvera toujours quelqu’un, quelque part, pour se réjouir d’une décision et quelqu’un d’autre pour s’en désoler, bien souvent en raison d’intérêts uniquement personnels. Si ceux qui s’opposent à vos vues sur la laïcité pensent aujourd’hui que le Conseil de presse vient par cette décision de prendre partie en leur faveur, ils se trompent parfaitement. Comme ceux qui croient l’inverse, d’ailleurs.

À titre de tribunal d’honneur, notre mission se résume à ceci : rendre les décisions les plus justes possibles.

En tout respect, tout le reste n’est que « bruit et fureur », pour parler comme Shakespeare ou Faulkner.

2) Les accusations seraient mal fondées

Dans un article publié le 27 février dernier dans le Devoir, par Marie-Michèle Sioui, on apprend que vous reconnaissez avoir « manqué de prudence » : « Je n’ai pas fait le travail comme je devais le faire. J’ai manqué totalement de vigilance ». Vous réitérez cette reconnaissance dans votre lettre. Mais du même souffle, vous déplorez que le comité se soit uniquement basé sur un corpus de cinq textes parmi la centaine que vous auriez rédigés pour sympatico.ca. Je vous pose donc la question : à partir de combien de cas de plagiats jugez-vous que le Conseil devrait sévir?

Vous critiquez également la décision sous prétexte que le « Conseil de presse a notamment erré lamentablement en ce qui a trait à certains passages fournis par la plaignante », et pour appuyer vos dires, vous donnez un exemple selon lequel le comité vous aurait notamment reproché d’avoir plagié La Presse dans un texte, alors que la phrase de l’article en question se terminait justement par « […] dit La Presse ».

Or nulle part la décision ne fait mention de ce passage. Autrement dit, vous reprochez au comité d’avoir fait quelque chose… qu’il n’a jamais fait. De fait, c’est pour avoir emprunté, sans l’indiquer d’une quelconque manière, différents passages à un article signé par Jean-Philippe Daoust dans Le Journal de Montréal que le comité a jugé que vous aviez, dans ce cas-ci, fait du plagiat.

Pour ce qui est des hyperliens, dont vous dites que le Conseil n’a pas tenu compte, je vous cite ici une partie du texte de la décision :

« Il est à noter qu’en raison de la fermeture de la section « Opinion » du site Sympatico.ca et du retrait des articles qui s’y trouvaient, incluant ceux de Mme Benhabib, le Conseil a utilisé des versions électroniques des articles, sauvegardées par la plaignante. Les liens hypertextes étaient toujours visibles et fonctionnels dans ces versions des articles.

[…]

Dans tous les cas, les passages n’étaient pas entre guillemets, les sources n’étaient pas identifiées, et aucun lien ne menait à ces sources. » (mes soulignements)

Ainsi, au-delà du fait que la convention veut qu’un hyperlien ne remplace pas des guillemets, mais sert tout simplement à remplacer une référence, un fait demeure : aucun des hyperliens dans ce texte ne renvoie à l’article de M. Daoust, publié dans le Journal de Montréal, dont vous empruntez pourtant plusieurs extraits.

Est-il besoin de rappeler que ce qui précède n’est qu’un exemple parmi la vingtaine de cas de plagiat relevés par le comité des plaintes dans les cinq articles qu’il a analysés?

Finalement il est peut-être également nécessaire et utile ici de préciser qu’il y a une bonne raison qui explique que le Conseil n’ait pas, dans sa décision, pris le soin de préciser que les « approches journalistiques différentes que constituent le bloque [sic], la chronique et l’information » ne s’accompagnent pas des mêmes exigences en matière de citation des sources : une telle distinction n’existe pas, l’exigence est la même. Si le ton peut effectivement y être « libre », rien n’autorise les journalistes qui éditent un blogue à prendre des raccourcis qu’ils ne se permettraient pas dans un contexte de journalisme plus traditionnel. D’ailleurs, les normes du CPQ (autant les Droits et responsabilités de la presse que notre récent Guide de déontologie journalistique) sont sans équivoques à cet égard, tout comme celles de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

3) La partialité du Conseil de presse

Il est également tout à fait erroné de laisser entendre comme vous le faites que le Conseil aurait communiqué la décision à certains médias (La Presse et Radio-Canada) avant de vous la communiquer. Rien n’est plus faux. Comment ces deux médias l’ont-ils obtenue? Je ne saurais répondre à leur place, mais je sais ceci : la décision a été envoyée à trois personnes avant la parution des articles auxquels vous référez. À vous, à votre patron chez sympatico.ca et à la plaignante.

Suggérer que c’est en raison d’« accointances inavouables » avec ces deux médias que le Conseil leur aurait volontairement coulé de l’information manque sérieusement de crédibilité, et vous le mettez vous-même en évidence en référant plus loin dans votre texte à deux décisions défavorables rendues récemment à l’égard de ces deux médias.

Alors non, le Conseil n’est à la solde de personne, sinon du public et il ne défend aucun parti, sinon celui de la justice.

Prétendre le contraire est soit malhonnête, soit mal avisé.

On vous sait capable de mieux.

Paule Beaugrand-Champagne
Présidente