Nouveau modèle d’autorégulation de la presse au Royaume-Uni?

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La charte royale définissant un nouveau système d’autorégulation de la presse britannique, approuvée par la Reine le 30 octobre, pourrait ne servir à rien. Le gouvernement délaisse le ton intransigeant et entrouvre la porte à une autorégulation sans charte, alors que les travaillistes promettent de ne pas légiférer sur la presse s’ils prennent le pouvoir.

Après des mois de négociation entre les deux partis de la coalition gouvernementale (conservateurs et démocrates) et les travaillistes; après les amendements consentis pourque la presse adhère à la charte et le durcissement de ton du gouvernement envers les éditeurs ces dernières semaines, les regards sont maintenant tournés vers l’IPSO : l’Independent Press Standards Organisation.

Un consortium de journaux et de magazines, l’Industry Implementation Group (IIG), a mis de l’avant ce projet d’autorégulation il y a quelques mois. L’IIG n’a pas l’intention de faire reconnaître l’IPSO par l’organe de reconnaissance créé par la charte royale.

Changement de ton

Dans un contexte évoluant rapidement, le changement de ton des conservateurs et des travaillistes envers la presse est notable. Quelques jours après l’assentiment royal de la charte, lors d’une entrevue accordée à la BBC, la ministre de la Culture, Maria Miler, entrouvrait la porte à une autorégulation parallèle de l’industrie, en admettant que la charte royale puisse devenir redondante, si le projet de l’IPSO fonctionnait.

Un discours conciliant, si on le compare à la mise en garde qu’elle servait à la presse le 11 octobre. Refuser d’adhérer au système d’autorégulation de la charte pourrait conduire à une régulation obligatoire, prévenait-elle. Selon la ministre, les partis travailliste et démocrate auraient pu durcir le ton et demander des modifications législatives en ce sens, advenant le refus des éditeurs de journaux et magazines d’emboîter le pas.

Il semble que les travaillistes n’envisagent plus de s’engager dans cette voie. Harriet Harman, chef de cette formation politique, promet que son parti ne présentera pas de projet de loi restreignant la liberté de presse, s’il est porté au pouvoir en 2015, rapportait Press Gazette le 11 novembre. Mme Harman a fait savoir qu’un gouvernement travailliste serait satisfait si l’IPSO fonctionnait bien et était compatible avec les recommandations de Lord Brian Leveson.

Ce que dit Leveson

Lors de son passage devant un comité parlementaire, en octobre, Lord Brian Leveson a noté que le recours à une charte royale n’était pas son idée. Le recours à une charte royale est le moyen choisi par le gouvernement pour ne pas recourir à une loi. Une telle charte constitue une forme d’assise formelle (historiquement utilisée pour créer des villes et des universités, par exemple) pour l’organe de reconnaissance d’un futur système d’autorégulation. Ce futur système serait, lui, établi par l’industrie de la presse.

Dans son rapport (p. 1757 et 1758), le juge Leveson recommande la création d’un organisme d’autorégulation « volontaire et indépendant ». Il recommande également qu’un tel organisme soit reconnu ou certifié par un organe de reconnaissance. Le juge suggérait que Ofcom (organisme de régulation des radiodiffuseurs du Royaume-Uni) joue ce rôle. Cet organe « ne serait pas impliqué dans la régulation » des entreprises de presse, précise-t-il.

Lord Leveson souligne son appui à une « dernière chance » pour l’autorégulation de l’industrie. Mais dans l’éventualité où la presse ne mettrait pas de l’avant un système plus conséquent que l’actuel PCC (Press Complaints Commission), le gouvernement pourrait instituer un système de régulation obligatoire, assorti d’un encadrement législatif, suggère-t-il à contrecoeur.

Cité dans un article de The Guardian du 12 novembre, Lord Hunt, président du PCC et l’un des instigateurs de l’IPSO, interprète les recommandations de Lord Leveson. Il avance qu’un organe de reconnaissance pour un nouveau chien de garde de l’industrie ne serait pas nécessaire « à moins que ou jusqu’à ce que l’industrie manque à son devoir de fournir une autorégulation indépendante et efficace ».

Dans cette optique, l’important est de « mettre sur pied l’IPSO et veiller à ce que tout le monde adhère », dit Lord Hunt. L’éventualité des dommages exemplaires ne l’inquiète pas. Rappelons qu’à la suite d’un amendement récent du Crime and Courts Act, les tribunaux britanniques peuvent exiger une compensation de dommages exemplaires à une entreprise de presse qui fait l’objet d’une poursuite et qui n’adhère pas à un système d’arbitrage tel que prévu dans la charte royale. Ce service d’arbitrage serait fourni par l’organisme d’autorégulation.

« La charte n’a pas à être nécessairement mise en application, fait valoir Lord Hunt. Je le vois comme un enjeu complètement à part. » Parallèlement, le Press Standards Board of Finance (PressBoF, un regroupement d’entreprises de presse qui finance le PCC) poursuit sa bataille juridique pour mettre en échec la charte mise de l’avant par le gouvernement. Cette charte pose pour la presse le risque d’une éventuelle immixtion politique, craint le PressBoF, qui veut faire reconnaître sa propre version d’une charte royale.

En octobre, cette mouture de la charte préconisée par la presse a été rejetée par un sous-comité du Conseil privé, qui estimait qu’elle ne répondait pas aux recommandations du juge Leveson. Dans l’espoir de remettre en question ce rejet, le PressBoF a porté en appel une décision de la Haute Cour de justice de Londres, rapportait The Guardian le 6 novembre. Il s’agit d’un des nombreux rebondissements du dossier, dont la chronologie est résumée ici.

Début 2014

Le scénario d’une autorégulation sans assises législatives et sans charte royale se dessine de plus en plus précisément, depuis la création récente d’un site rassemblant la documentation légale et administrative du futur IPSO. Les entreprises sont déjà invitées à signer un contrat d’adhésion disponible sur ce site. Un comité de nomination, qui aura la responsabilité d’établir le premier conseil d’administration de l’IPSO, serait sur le point de voir le jour, selon The Guardian. L’IPSO pourrait être opérationnel au début de 2014.

Le futur organisme est qualifié par ses initiateurs comme « l’organisme d’autorégulation le plus sévère du monde occidental », rapporte le Newspaper Society. Il rallierait la majeure partie des entreprises de presse.

Selon Press Gazette, l’IPSO ne satisfait pas aux recommandations de Leveson à plusieurs égards, par exemple l’adhésion obligatoire des entreprises de presse à un système d’arbitrage en cas de poursuite en diffamation et l’indépendance par rapport à l’industrie des journaux et magazines.

Cette dernière critique a notamment été émise par des publications de renom : The Guardian, The Independent et The Financial Times, qui n’ont pas annoncé leur intention d’adhérer à l’IPSO. Ces journaux s’opposent cependant au système d’autorégulation chapeauté par la charte royale.

IPSO

Voici les principaux éléments se dégageant des règlements, des statuts et du guide des sanctions de l’IPSO. Un parallèle est établi avec les exigences de la charte royale, lorsque l’IPSO s’en éloigne.

Nominations/indépendance. Le conseil d’administration de l’IPSO sélectionne les membres du comité de nomination, lorsque des postes sont vacants. Ce comité est formé de trois membres indépendants (extérieurs à l’industrie de la presse), deux membres provenant du domaine de l’édition, dont un éditeur à l’emploi d’une entreprise adhérant à l’IPSO et du président du conseil d’administration de l’IPSO.

Le choix des membres du premier comité de nomination est confié à un ancien juge, Lord Phillips. C’est ce comité de nomination qui désignera le président et les administrateurs du premier conseil d’administration de l’IPSO.

Le conseil d’administration est composé de sept administrateurs indépendants et cinq administrateurs provenant de l’industrie. Un éditeur ou membre du gouvernement ne peut être membre du conseil.

La charte royale exige que le comité de nomination comprenne une « majorité substantielle » de membres « dont on peut démontrer l’indépendance ». Elle note également que la sélection des membres de ce comité doit-elle même être faite d’une manière indépendante.

Financement. L’IPSO est financé par la Regulatory Funding Company, constituée des membres des entreprises adhérant à l’organisme d’autorégulation.

Code de déontologie. Ce document de référence est rédigé par un comité créé à cet effet et adopté par le conseil d’administration de l’IPSO.

Application du Code. L’IPSO voit à l’observation du Code de déontologie par ses membres et gère les plaintes relatives à des contraventions au Code.

Intérêt public. L’IPSO fournit une expertise à ses membres quant à l’interprétation du Code, notamment au sujet du concept d’intérêt public. Il donne ces conseils à titre indicatif seulement, et sans restreindre la liberté de presse.

Vie privée. Il peut, s’il le désire, conseiller un membre si une personne a signalé une possible atteinte à la vie privée.

Il s’agit d’une version légère d’une des conditions de reconnaissance de la charte royale : celle-ci exige, pour reconnaître un organisme d’autorégulation, que soit mis en place un service d’avertissement de la presse, lorsqu’un individu signifie qu’il ne veut pas faire l’objet d’intrusion de la part des médias.

Enquêtes. Dans des cas de contraventions graves, répétées, étendues ou systémiques, l’IPSO peut mener des enquêtes.

Certification. L’IPSO peut mettre sur pied un système de certification et un sigle que les entreprises membres peuvent afficher, afin d’authentifier leur respect du Code et des règlements.

Ligne de dénonciation. L’IPSO crée une ligne téléphonique dédiée à la réception des appels de personnes à qui un de ses membres a demandé d’agir en contravention avec le Code.

Système d’arbitrage. L’IPSO peut fournir un service d’arbitrage, auquel les membres ne sont pas contraints de participer. Ce système offre une alternative aux poursuites civiles à l’encontre d’une entreprise de presse.

La charte royale stipule que l’organisme d’autorégulation « devrait » fournir ce service aux plaignants et à faible coût. La charte prévoit toutefois une exception possible à la participation au système d’arbitrage pour les publications locales et régionales, s’il s’avère que le coût qui y est associé leur cause un préjudice financier.

Correctifs et excuses. Lorsqu’une faute a été commise, l’IPSO peut exiger la publication d’un correctif ou d’une décision liée à une plainte. Il détermine la nature, la portée et l’emplacement de ces publications.

La charte royale va plus loin, en étendant ce pouvoir à la publication d’excuses.

Sanctions. Dans le cas de transgressions graves du Code, l’IPSO peut imposer des sanctions allant jusqu’à 1 M£.

Rapport annuel. L’IPSO demande à ses membres de publier sur leur site Internet, chaque année, un rapport comprenant, entre autres, leur politique d’application du Code avant publication, de vérification des faits et de formation du personnel. Les membres doivent également décrire les mesures prises à la suite d’une plainte retenue contre eux par l’IPSO.

Lectures complémentaires

La charte royale annotée par The Independent. Le texte intégral de la charte, accompagné des remarques du rédacteur en chef média, qui souligne les différences avec la charte royale proposée par l’industrie de la presse. Attention, la version de la charte reproduite dans le texte n’inclut pas quelques amendements apportés le 30 octobre, avant qu’elle n’obtienne l’assentiment de la Reine. Ces amendements sont résumés ici et le texte final est publié ici.

La charte royale de la presse. Le Press Standards Board of Finance (PressBoF) présentait au Conseil privé, le printemps dernier, sa propre version d’une charte royale. Rejetée par le Conseil privé, elle est toujours l’objet de recours judiciaires de la part du PressBoF, qui veut faire réviser cette décision.