Obsidian Finance Group v. Cox : L’exemple américain

Le jugement Obsidian Finance Group v. Cox (2011) US 73413 a créé beaucoup de remous dans la communauté journalistique aux États-Unis. Dans cette affaire, un juge de l’État de l’Oregon a conclu qu’un blogueur ne pouvait se prémunir de moyens de défenses traditionnellement réservés aux journalistes. Cette décision a été critiquée pour le motif qu’elle aurait comme effet  d’amoindrir la protection de la liberté de presse aux États-Unis.

Obsidian Finance Group v. Cox 

Crystal Cox a créé un blogue intitulé « www.obsidianfinancesucks.com » dans lequel elle critique la compagnie Obsidian Finance, un groupe d’investisseurs  se spécialisant dans le redressement de compagnies en difficultés. Ces derniers ont poursuivit Crystal Cox en diffamation, en raison de certaines allégations contenues sur son blogue. À plusieurs reprises, elle a prétendu que le représentant de la compagnie aurait commis des fraudes ou aurait corrompu des politiciens. Cox, de son côté, prétends faire du véritable journalisme d’enquête et considère sa démarche comme du « whistleblowing » ou une dénonciation.

Cox a tenté de se prévaloir d’un moyen de défense à l’effet que lorsque le défendeur est un « média », le demandeur doit prouver, au minimum, la négligence du média afin d’obtenir des dommages et intérêts. Le tribunal a donc dû répondre à la question : est-ce que Cox est journaliste? Le juge a répondu par la négative en se basant sur une série de sept critères : 

(1) Formation en journalisme (2) Affiliation ou accréditation à une entreprise médiatique (3) Preuve de conformité aux normes journalistiques (4) Garde des notes de conversations et d’entrevues (5) Entente mutuelle de confidentialité avec ses sources (6) Création d’un produit journalistique indépendant et non seulement un montage d’écrits de tiers (7) Contacte « l’autre côté » afin de présenter les deux côtés d’une histoire. 

Il est pertinent de mentionner que le juge a considéré que le respect de la déontologie journalistique (ou « normes journalistiques ») constitue un attribut important de la profession de journaliste. La preuve d’un véritable traitement journalistique constitue un autre facteur pertinent. Recourir à ce critère permet d’émettre une distinction entre un journaliste professionnel et un journaliste citoyen, qui relaie de l’information sans pour autant la traiter.

La décision a été ouvertement critiquée par des membres du milieu journalistique aux États-Unis. Selon eux, le juge a adopté une définition beaucoup trop étroite du journalisme[i]. En vertu de ce jugement, un blogueur américain ne peut, dans certaines circonstances, être considéré comme un « journaliste ». Cette conclusion constitue, toujours selon les détracteurs du jugement Obsidian, une atteinte au droit à la liberté d’expression.

Dans un jugement subséquent, le juge a précisé qu’un blogueur peut être considéré comme un « média », en autant que l’individu satisfait tous ou la plupart des critères qu’il a énoncé. 

… et le Canada? 

Dans l’affaire Grant c. Torstar (2009) CSC 61, la Cour suprême du Canada s’est prononcé en faveur de l’applicabilité de la défense de communication responsable propre à la common law canadienne. Ce moyen de défense constitue un dérivé de la défense de négligence invoqué dans l’affaire Obsidian. L’approche canadienne diffère de celle adoptée par les tribunaux américains en ce que, selon la common law américaine, cette défense peut seulement être invoqué par un « média »[ii]. Ce critère signifie donc que la partie souhaitant invoquer la défense doit prouver qu’elle appartient à un média, d’où le litige de l’affaire Cox.

La Cour suprême dans l’affaire Grant, a opté pour la défense de « communication responsable» et non de « journalisme responsable» car la défense ne s’applique pas seulement aux journalistes de grands médias :

 «Cependant, de nouveaux modes de communication (beaucoup d’entre eux en ligne) permettant de traiter de questions d’intérêt public et ne faisant pas appel à des journalistes se greffent rapidement aux médias traditionnels. À moins qu’il n’existe des motifs valables de les exclure, ces nouveaux propagateurs de nouvelles et d’information devraient être soumis aux mêmes règles juridiques que celles auxquelles sont soumis les médias établis.»[iii] 

Par rapport à l’approche américaine, le droit canadien offre une protection plus large du droit à la liberté d’expression et de presse. Le carcan fixe de la common law américaine s’est avéré pour le moins problématique dans l’affaire Obsidian puisque leur conception traditionnelle de « média » a été dépassée par les nouvelles technologies de l’information.


[i] Dan Kennedy, The Real Danger in That Bloggers Aren’t Journalists, <http://www.huffingtonpost.com/dan-kennedy/the-real-danger-in-that-b_b_1136844.html (Consulté le 1er mars 2012) >

[ii] Gertz v. Robert Welch, Inc (1974) 418 U.S. 323; Bank of Oregon v. Independant News Inc (1985) 298 Or. 434.

[iii] Grant c. Torstar (2009) CSC 61, par. 96.