Devoir de réserve des journalistes : une réflexion sérieuse s’impose

AUX LIMITES DE L’ACCEPTABLE
D2010-11-050 : Pierre Côté c. Gérald Fillion, Alain Saulnier et la Société Radio-Canada

Suite à la participation de Gérald Fillion, journaliste économique chez Radio-Canada, au « Gala du commerce Les Affaires-HEC Montréal », à titre d’animateur, le plaignant reproche à ce dernier de s’être placé en situation de conflit d’intérêts, puisqu’il aurait été payé pour animer la soirée.

Reconnaissant avoir été rémunéré pour l’animation de la soirée, le journaliste se défend néanmoins en soulignant qu’il a obtenu au préalable l’autorisation de la direction de Radio-Canada, qui a jugé que cette activité respectait les Normes et pratiques journalistiques imposées aux journalistes de la société d’État, et que le montant de la rémunération était symbolique et qu’elle n’était pas de nature à pouvoir compromettre son impartialité.

Rien ne semble indiquer que le journaliste ait effectivement été en situation de conflit d’intérêts. Quant au grief pour apparence de conflit d’intérêt et manquement au devoir de réserve, une majorité de membres (quatre sur sept) a estimé qu’il n’était pas fondé, invoquant qu’il était peu probable qu’il ait, à titre de journaliste économique, à couvrir un établissement d’enseignement tel que les HEC.

La minorité (trois sur sept), pour sa part, a jugé qu’aux yeux du public, son indépendance et sa crédibilité ont pu être entachées, puisqu’en s’associant personnellement à cette cause, il semblait l’endosser et manquait en conséquence à son devoir de réserve, qui l’oblige à faire preuve de la plus grande prudence dans ce genre de contexte.

À l’unanimité, les membres du Comité des plaintes et de l’éthique de l’information (CPEI) ont émis une mise en garde contre les dérives potentielles pouvant découler de cette pratique. Si la plainte a été rejetée, il importe cependant de noter que le cas de M. Fillion se situait aux limites de ce que le Comité juge acceptable.

La plus grande garantie de la liberté de presse étant l’indépendance à l’égard de toute forme de pouvoir, il importe de prendre toutes les précautions et de faire preuve d’une extrême vigilance pour préserver l’intégrité et l’apparence d’intégrité des médias et des journalistes. La perte de confiance qui pourrait en résulter, advenant des excès à cet égard, serait préjudiciable autant aux médias d’information et aux journalistes qu’au public.

Le Conseil de presse, de même que le CPEI, invite donc les médias d’information, les journalistes et le public à entamer une réflexion autour de ces questions, afin de faire émerger des normes précises. Entre temps, médias et journalistes devraient faire preuve d’une grande prudence.

La plainte de M. Côté a donc été rejetée par une majorité de membres.

LE JOURNALISME D’OPINION DOIT RESPECTER LES FAITS
D2011-01-052 : Marc Donati c. Mario Dumont, Maxime Rémillard, L’émission « Dumont » et le réseau VTélé

Dans cette affaire, M. Donati reprochait à M. Dumont, animateur de l’émission « Dumont », d’avoir relaté des faussetés lors d’une entrevue avec le chef actuel de l’Action démocratique du Québec, Gérad Deltell, lors d’une émission diffusée le 3 janvier 2011, et qui portait notamment sur les positions antiisraéliennes du député québécois Amir Khadir.

Durant l’entrevue, M. Dumont affirme à plusieurs reprises que M. Khadir a appuyé le boycottage d’un commerce de sa propre circonscription. Or il se trouve que la boutique en question ne se trouve pas dans la circonscription de M. Khadir, mais bien dans une circonscription voisine. Quelques semaines auparavant, le député de Mercier, alors l’invité de M. Dumont, avait d’ailleurs rectifié le tir à cet égard.

En outre, le plaignant déplorait le ton partial employé par M. Dumont lors de cette émission. Cependant, il est très clair que l’émission en question constitue du journalisme d’opinion, et qu’on ne saurait donc reprocher à M. Dumont ses prises de position.

La plainte de M. Donati est donc partiellement retenue.


ARTICLE SUR UN EX-VOISIN DE MOM BOUCHER : ATTEINTE AUX ATTENTES LÉGITIMES EN MATIÈRE DE VIE PRIVÉE

D2010-11-045 : Michel Charette c. Marc Pigeon, Serge Labrosse et Le Journal de Montréal

Dans ce dossier, M. Charette portait plainte contre Le Journal de Montréal pour la publication d’un article, intitulé « Un voisin de Mom Boucher accuse l’escouade Carcajou », un titre qu’il juge mensonger, et pour atteinte à sa vie privée et à son intégrité.

Après vérification, il appert que le titre était effectivement trompeur, puisque ce n’est pas l’actuel résident de la maison en question, c’est-à-dire le plaignant, qui est visé par l’article. Bien qu’on y mentionne que la personne en question n’y habite plus, le titre laisse cependant croire le contraire.

Dans un deuxième temps, le plaignant reprochait au Journal de Montréal d’avoir publié une photo de son terrain, sur laquelle on voit clairement le numéro de sa résidence. De plus, la légende indiquait le nom de la rue et de la ville où habite M. Charette, permettant ainsi facilement de l’identifier. Le Conseil a ainsi jugé que, bien que le sujet de l’article soit d’intérêt public, l’adresse exacte de la résidence ne l’était pas, et relevait quant à elle de la curiosité, qui ne peut à elle seule justifier une telle exposition de la vie privée de quelqu’un.

La plainte de M. Charette a ainsi été retenue.


ARTICLE SUR LES SUBVENTIONS FÉDÉRALES EN AGRICULTURE : UNE PLUS GRANDE RIGUEUR AURAIT ÉTÉ DE MISE

D2010-12-051 : Union des producteurs agricoles (UPA) c. Gérard Samet, Yannick Patelli et La Vie agricole

Suivant la publication, dans le mensuel La vie agricole, d’un article portant sur la gestion de subventions fédérales en agriculture, l’Union des producteurs agricoles (UPA) a déposé une plainte au Conseil de presse, alléguant que les titres, manchettes et surtitres de l’article étaient mensongers, et qu’un photomontage, en page couverture, était quant à lui tendancieux. En outre, l’UPA dénonce le manque d’équilibre dont l’article ferait preuve, s’insurge que la publication ait utilisé son logo sans autorisation et s’offusque qu’on ne lui ait pas accordé un droit de réplique.

Après analyse et vérification auprès d’autres sources, il ressort que l’article et les autres éléments s’y rapportant (photomontage, titre, manchette, surtitre), qui laissaient entendre que l’UPA avait la mainmise sur l’attribution des fonds, provenant du gouvernement fédéral, que distribue le Conseil pour le développement de l’agriculture au Québec (CDAQ), étaient inexacts.

Ensuite, comme le sujet traité par l’article était litigieux, le Conseil a jugé que le journaliste aurait également dû, devant l’importance des accusations émises par l’une des sources d’information, recueillir la version des faits de l’UPA, ce qui n’a pas été fait. Il y a donc tout lieu de constater ici un manque d’équilibre.

Finalement, tout indique que l’UPA s’est fait offrir un droit de réplique, dans des conditions tout à fait acceptables, qu’elle a refusé. Le Conseil juge ici que le mensuel La vie agricole s’est acquitté de ses responsabilités avec diligence.

On doit noter que le Conseil n’a pas analysé le grief relatif à l’utilisation non autorisée du logo de l’UPA, car cette question relève du droit d’auteur.

LE CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN : SUJET CONTROVERSÉ
D2010-12-048 : Susan Kiepprien c. Marie-Ève Bourgoing-Alarie, Alain Bernard et L’Hebdo journal

Dans cette affaire, Mme Kiepprien s’est offusquée, à la lecture d’un article faisant le récit du voyage de deux enseignants trifluviens en Palestine, que ce dernier fût truffé de mensonge, qu’il déséquilibré et partial. La plaignante demandait en outre une rectification de la part du journal.

S’en remettant aux arguments invoqués sur le site web de Honest Reporting Canada, un organisme qui a pour objectif de dénoncer le traitement médiatique injuste que subirait l’État d’Israël, la plaignante relève ce qu’elle considère des erreurs mensongères concernant les politiques du régime israélien à l’égard de la population palestinienne.

Or, après vérification, il s’avère que toutes les prétendues inexactitudes étaient plutôt des faits largement reconnus. Il semble ici que l’on soit plutôt en présence d’une mésentente à propos de la légitimité morale ou éthique des politiques israéliennes (service militaire obligatoire, érection d’un mur en Cisjordanie, discrimination en matière d’accès à l’éducation, etc.), plutôt qu’un désaccord profond sur la véracité des faits mis en cause. Le Conseil a donc rejeté le grief pour inexactitude.

En ce qui concerne le déséquilibre dont ferait preuve l’article, le Conseil a estimé que le produit journalistique en question relevait davantage du récit que de l’analyse, et qu’à ce titre, la recherche d’un équilibre n’était pas une obligation déontologique. Ce grief est donc également rejeté. Le Conseil juge tout de même que la journaliste aurait pu, sachant la sensibilité du sujet en cause, mentionner qu’il existait sur la question du conflit israélo-palestinien une multitude de points de vue.

En dernier lieu, le Conseil a jugé, que de relater qu’il existait un mouvement de boycottage des produits israéliens ne pouvait être assimiler à des propos haineux ou discriminatoires. Cependant, le Conseil, avec une majorité (quatre membres sur sept), a estimé que la journaliste aurait dû indiquer plus clairement, par l’usage de guillemets ou d’une mention plus explicite, qu’il ne s’agissait pas d’un appel au boycottage de sa part, et ainsi éviter toute apparence de partialité. Le grief pour partialité, en conséquence, est retenu.

En conséquence, le grief pour partialité retenu, mais les griefs inexactitude, déséquilibre, propos haineux et discriminatoire, ainsi que sa demande de rectification, sont tous rejetés.

DOSSIER SUR L’AVORTEMENT : MESURÉ, DOCUMENTÉ ET EXACT
D2010-12-049 : Centre Conseil Grossesse de Trois-Rivières et Normand Bédard c. Gabrielle Duchaine, Richard Bousquet et Rue Frontenac

Dans cette plainte, le Centre Conseil Grossesse de Trois-Rivières reproche à Rue Frontenac et sa journaliste, Gabrielle Duchaine, d’avoir publié, le 28 octobre 2010, un article truffé d’inexactitudes, critiquant sévèrement le Centre et l’Alliance Ressources Grossesse, qui chapeaute des centres du même genre, et demande en conséquence une rétractation de la part du quotidien, de même qu’un droit de réplique.

Après vérification, le Conseil a constaté qu’aucune des erreurs alléguées par le plaignant, qui visaient essentiellement les activités de sensibilisation sur les questions touchant l’avortement, n’était fondée, la journaliste ayant puisé ses informations auprès de sources crédibles et ayant pris les précautions nécessaires pour mesurer la portée de ses écrits. En conséquence, le Conseil estime qu’un droit de réplique et une rétractation ne sont pas nécessaires.

La plainte est ainsi rejetée.

***

NOTA BENE : Exceptionnellement, en raison de problèmes techniques, le texte intégral des décisions ainsi que le résumé des arguments des parties en cause ne se trouvent pas dans la section « Les décisions rendues par le Conseil » de notre site web, mais bien dans la section « Nouvelles et communiqués » . L’adresse de notre site web est le www.conseildepresse.qc.ca

Ces décisions sont toutes susceptibles d’être portées en appel dans les 30 jours de leur réception par les parties.

Le Conseil rappelle que « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8.2)

– 30 –

SOURCE :           
Julien Acosta, directeur des communications
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818

RENSEIGNEMENTS :    
Guy Amyot, secrétaire général
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818