Droit à l’image : Le Journal de Québec aurait dû obtenir un consentement avant de publier une photo

Par ailleurs, la commission d’appel du Conseil de presse a rendu, lors de sa dernière réunion, quatre décisions en matière d’éthique journalistique. L’une d’elles infirme le jugement de première instance, une seconde l’annule et les deux autres le maintiennent. Ces décisions sont finales.

Le Conseil rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)

D2009-12-046 Stéphane Tremblay c. Karl Tremblay, photographe et Le Journal de Québec

Le difficile équilibre entre le droit à la vie privée et la liberté de presse

M. Stéphane Tremblay portait plainte contre le photographe Karl Tremblay pour avoir publié, à son insu et sans son consentement préalable, une photographie où il apparait, à la une de l’édition du 21 décembre 2009, du quotidien Le Journal de Québec, sous le titre « Magasinage de Noël – rien ne freine les ardeurs ».

Le représentant des mis-en-cause, Me Bernard Pageau, présentait trois arguments pour justifier le comportement du média. D’abord, le sujet de la photo, l’achalandage dans les magasins pendant la période des fêtes, constituerait une information légitime pour le public et, en vertu du Code civil du Québec, il n’était pas nécessaire d’obtenir le consentement du plaignant. Ensuite, la photo montre un groupe de personnes non particularisées, ce qui exempterait le média d’obtenir le consentement du plaignant, en vertu du jugement Aubry c. Éditions Vice-Versa inc. (1998) de la Cour suprême du Canada. Enfin, si un consentement était requis, la proximité du photographe était telle que les sujets ne pouvaient ignorer la prise de vue et qu’un consentement implicite peut en être inféré.

Or, le Conseil ne partage pas l’ensemble des points de vue exposés par les mis-en-cause. En effet, l’achalandage dans les magasins pendant la période des fêtes constitue un sujet d’intérêt public qui justifie la publication de photos illustrant cette réalité. L’intérêt public porte sur l’achalandage des magasins et non sur la présence spécifique d’un citoyen qui n’a jamais autorisé la publication de son image à la une d’un quotidien. Ainsi, pour le Conseil, dans ce cas précis, le principe d’intérêt public n’autorisait pas le média à publier la photo du plaignant sans son consentement.

Le Conseil ne partage pas, non plus, la thèse du consentement implicite. M. Tremblay a très bien pu ne jamais voir le photographe et ne jamais consentir implicitement à l’enregistrement, encore moins à la publication de son image.

Par ailleurs, le Conseil considère que l’étalage de produits électroniques (Wii), en vente dans le magasin, constitue l’élément central de la photo publiée. Bien que M. Tremblay soit identifiable sur la photo et qu’il n’y occupe pas une place négligeable, son image n’en constitue pas pour autant l’objet principal, mais davantage son objet secondaire. L’importance secondaire de l’image de M. Tremblay dans la photo justifie-t-elle sa publication sans consentement? Dans un tel contexte, comment équilibrer le droit de M. Tremblay au respect de sa vie privée avec la liberté de presse et le droit du public à l’information? Dans la recherche de cet équilibre des droits, et puisque l’intérêt public ne justifiait pas, dans le cas présent, la publication de l’image du plaignant sans son consentement, le Conseil considère que, compte tenu du nombre limité de personnes identifiables, le consentement aurait été nécessaire avant de publier la photographie mise en cause. En ne respectant pas cette obligation, Le Journal de Québec commettait une faute déontologique. Le grief fut retenu

Le Conseil a retenu, à la majorité (3 sur 5), la plainte de M. Stéphane Tremblay, à l’encontre du quotidien Le Journal de Québec, pour atteinte à la vie privée.

Deux membres du comité ont exprimé leur dissidence sur cette décision. Ils considèrent que le consentement du plaignant n’était pas obligatoire. Selon eux, les mis-en-cause n’ont pas commis de faute déontologique en publiant l’image du plaignant, sans son consentement, bien que son autorisation ait été préférable.

D2009-11-029 Lionel Leblanc c. Martine Turenne, journaliste et Les Affaires

Le sous-titre d’un graphique doit référer à son contenu

M. Leblanc déplorait que la journaliste Martine Turenne ait, dans un article intitulé « Plus les femmes travaillent, plus elles ont d’enfants », publié dans l’édition du 29 août 2009 de l’hebdomadaire Les Affaires, présenté aux lecteurs deux graphiques comprenant des erreurs méthodologiques substantielles, à partir desquels elle aurait tiré des conclusions inexactes et sensationnalistes.

Le plaignant déplorait qu’un graphique se trouvant en page 12 de l’édition mise en cause ait été précédé d’un sous-titre inexact, stipulant qu’« En 30 ans, les mesures de conciliation travail-famille mises en place dans les pays occidentaux ont rehaussé l’indice de fécondité et le taux d’emploi féminin ». Selon M. Leblanc, il est évident, à la lecture du graphique, que c’est le taux d’activité qui a augmenté et non l’indice de fécondité. Il ajoute qu’aucun élément issu du graphique ne permettait de conclure à l’influence de l’aide de l’État sur la hausse du taux de fécondité et d’emploi des femmes.

À la lecture du graphique, le Conseil a constaté qu’à l’exception de la France et de la Suède, l’indice de fécondité des pays pour 2005 n’est pas supérieur à celui de 1975 comme l’indiquait pourtant le sous-titre. C’est le décalage dans la gradation des deux axes des ordonnées qui laissait cette impression trompeuse aux lecteurs. De plus, l’ajout des États-Unis et de l’Islande sur le deuxième graphique venait renforcer cette impression. Le Conseil a donc conclu que les mis-en-cause ont fait preuve d’un manque de rigueur en apposant au graphique un sous-titre inexact annonçant une hausse des taux de fécondité. Le grief fut retenu sur cet aspect.

Par ailleurs, le Conseil a remarqué que le sous-titre du graphique postulait une relation entre les mesures de conciliation travail-famille et la hausse conjointe de l’indice de fécondité et du taux d’emploi des femmes. Concernant cette question, le Conseil a constaté que cet aspect du sous-titre était abondamment validé par l’article et a rejeté le grief. Il souligne, néanmoins, à titre de remarque éthique, que les mis-en-cause auraient pu démontrer une plus grande rigueur en choisissant un sous-titre qui reflétait fidèlement le contenu du graphique.

M. Leblanc insistait aussi sur le fait qu’il aurait été nécessaire qu’un article, publié dans une édition subséquente de l’hebdomadaire, introduise l’idée que les conclusions présentées par la journaliste n’étaient pas des vérités inébranlables puisque la méthodologie sur laquelle elles reposent pouvait être contestée. Sur ce point, le Conseil a rappelé que les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes de répliquer aux informations qui ont été publiées. Tout en reconnaissant l’absence d’obligation déontologique pour l’hebdomadaire, le Conseil a souligné, à titre de remarque éthique, que les commentaires du plaignant n’étaient pas dénués d’intérêt et que l’hebdomadaire aurait pu faire preuve d’ouverture en favorisant la publication de réactions à l’article mis en cause.

Le Conseil a retenu la plainte de M. Lionel Leblanc contre l’hebdomadaire Les Affaires pour inexactitude du sous-titre du graphique. Il a, par ailleurs, rejeté les griefs ayant trait au sensationnalisme du titre du graphique et du titre de l’article ainsi que le grief pour refus de droit de réplique.

Décisions de la commission d’appel

Lors de sa dernière réunion, la commission d’appel du Conseil de presse a rendu 4 décisions en matière de déontologie journalistique. Ces décisions sont finales.

D2009-06-074 Luc Archambault c. Martin Ouellet, journaliste; La Presse Canadienne et Le Journal de Québec


Les membres de la commission en sont venus unanimement à la conclusion qu’il convenait d’infirmer la décision rendue en première instance par son comité des plaintes et de l’éthique de l’information (CPEI). La commission d’appel juge que, puisque les mis-en-cause ont publié des informations inexactes et exagérées, le CPEI aurait dû retenir la plainte.

D2009-04-064 Falun Dafa Association of Canada c. Solveig Miller, journaliste; Léon Laflamme réalisateur; l’émission « Enquête » et la Société Radio-Canada

Les membres de la commission en sont venus unanimement à la conclusion qu’il n’est pas du ressort du Conseil de presse de traiter une plainte formulée contre une décision de l’ombudsman de la Société Radio-Canada. La décision rendue en première instance est donc annulée.

Par ailleurs, la commission d’appel a maintenu les décisions rendues en première instance dans les dossiers suivants :

•    
D2009-05-066 Liza Frulla c. Michel Hébert, journaliste ; Le Journal de Québec; Le Journal de Montréal; Canoë et Canal Argent

•    D2009-06-073 Véronique Bergeron c. Vincent Larouche, journaliste et Le Journal de Montréal

Le texte intégral des décisions ainsi qu’un résumé des arguments des parties en cause peuvent être consultés au www.conseildepresse.qc.ca, à la section « Les décisions rendues par le Conseil ».

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SOURCE :       
Marie-Eve Carignan, responsable des communications et analyste
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818

RENSEIGNEMENTS :    
Guy Amyot, secrétaire général
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818