Lettre ouverte à M. Perrin Beatty, Radio-Canada et l’information au Québec

LETTRE OUVERTE – Radio-Canada et l’information au Québec

Québec, le 22 octobre 1996

Monsieur Perrin Beatty
Président-directeur général
SOCIÉTÉ RADIO-CANADA
1500, av. Bronson
C.P. 8478
Ottawa (Ontario)  K1G 3J5

Monsieur le Président,

À la suite des restrictions budgétaires affectant Radio-Canada, plusieurs personnes ont manifesté leur inquiétude au sujet de l’avenir des services d’information en langue française, et plus spécifiquement au sujet de la diversité et la qualité de l’information au Québec. Le Conseil de presse du Québec partage cette inquiétude.

Créé en 1973, le Conseil de presse du Québec a comme mandat d’assurer la protection du droit du public à l’information, de défendre à cette fin la liberté de la presse et de promouvoir une éthique de l’information qui en garantisse la qualité.

Or, la qualité de l’information, pierre angulaire des sociétés démocratiques, est largement liée à la diversité de ses sources pour le citoyen. La concurrence entre les médias, dans les sociétés démocratiques de tradition libérale, paraît dès lors essentielle, dans la mesure précisément où elle reflète et assure tout à la fois, en information, pluralité et diversité.

Dans cette perspective, le projet de fusion des réseaux québécois TVA et TQS rendu public il y a quelques mois est apparu au Conseil de presse comme pouvant limiter la diversité souhaitable, C’est pourquoi le Conseil est intervenu auprès de la présidente du CRTC, demandant que, si le CRTC devait donner son aval au projet de fusion, toutes les mesures requises soient prises pour éviter la disparition d’une source d’information télévisée de langue française au Québec, et concrètement pour maintenir deux services d’information autonomes, deux salles de nouvelles indépendantes et comptant chacune des journalistes en nombre suffisant et oeuvrant dans les conditions requises pour qu’une information de qualité puisse être recueillie, traitée et analysée, puis diffusée.

Mais on ne peut parler de diversité et de concurrence dans le champ de l’information au Québec sans tenir compte de la présence, à côté des médias de propriété privée, des services publics d’information de Radio-Canada et de Télé-Québec. C’est entre le public et le privé que s’est faite et que se fait toujours chez nous, en matière d’information radio et TV, la concurrence la plus vive. Le public et le privé exerçant tour à tour, à l’endroit de leur concurrent, un double rôle de stimulation et de vigilance, le citoyen, mieux informé, en sort gagnant. Il importe donc que cette concurrence soit maintenue.

Venons-en à Radio-Canada et aux restrictions budgétaires. Reconnaissant la pertinence des orientations proposées par le Rapport Juneau au sujet du rôle de Radio-Cananda en matière d’information, le Conseil estime que la radio et la télévision de Radio-Canada doivent être générales et s’adresser, y compris en matière d’information, à l’ensemble des citoyens et non à ceux et celles seulement qui estiment pouvoir prendre rang dans ses élites. La démocratie ne serait pas adéquatement servie par une information « dualisée », pour reprendre un mot à la mode, c’est–à-dire habilitant les uns à l’exercice des responsabilité du citoyen pendant que les autres ne se verraient offrir que le divertissement.

La Société Radio-Canada, comme service public d’information, a toutefois des mandats spécifiques importants. Mentionnons ici, pour illustrer le présent propos et sans vouloir réduire l’ampleur et la diversité des mandats évoqués, Radio-Nord et Radio-Canada international : l’entreprise privée ne saurait prendre en charge de tels services destinés d’entrée de jeu à n’être pas rentables.

Le Conseil de presse du Québec est particulièrement préoccupé de l’avenir de Radio-Canada international. La libre circulation d’une information elle-même libre et diversifiée est de plus en plus nettement reconnue comme essentielle au développement d’une culture démocratique à l’échelle de la planète. Or, outre les contrôles de l’État et ses censures dans plusieurs pays, quelques grandes agences de presse et quelques grands réseaux exercent une influence telle qu’elle instaure en pratique un contrôle de l’information réellement accessible. Dans ce contexte, la voix que fait entendre Radio-Canada international n’est pas simplement une voix parmi d’autres; elle est l’une des trop rares sources alternatives d’information à l’échelle internationale, et c’est pourquoi il faut qu’elle continue d’être entendue. Le Conseil de presse a pris acte du financement spécial accordé pour l’année en cours à Radio-Canada international; on ne saurait toutefois accepter un simple sursis. Le Canada, qui se targue de ses idéaux et qui donne en exemple ses pratiques démocratiques, ne saurait retirer le modeste concours qu’il apporte à la sauvegarde de la liberté de la presse et de la libre circulation de l’information dans le monde.

Le Conseil de presse du Québec n’a ni le mandat ni les moyens d’étudier les budgets des médias de propriété publique ou privée. En restant dans les limites de son mandat de défense du droit du public à l’information, et s’adressant à la fois aux gouvernants et aux dirigeants de la Société Radio-Canada, le Conseil de presse demande toutefois instamment :

  1. Que soit octroyé par le Gouvernement du Canada à la Société Radio-Canada un financement « stable » et pluriannuel lui permettant de s’acquitter, à l’intérieur de son mandat de radio et de télévision générales, du rôle dévolu aux services publics (et non d’État) d’information radio et télévision – y compris les services de Radio-Canada international;
  2. Que les réaménagements résultant des réductions budgétaires imposées soient faits par les dirigeant de la Société Radio-Canada de telle façon que le mandat des services d’information radio et télévision ne soit pas compromis, et que ces services publics puissent continuer, conformément à leur mandat, de recueillir, traiter et diffuser une information libre, diversifiée et de qualité.

Voilà, Monsieur le Président, les réflexions et les recommandations du Conseil de presse du Québec. Je vous remercie à l’avance de l’attention que vous leur accorderez et je vous prie d’agréer mes cordiales salutations.

Le Président du Conseil de presse du Québec,

M. Guy Bourgeault

GB/nl