Nouveau code de conduite de Radio-Canada : colère et inquiétude

Les journalistes de Radio-Canada sont-ils en voie de devenir les porte-parole du gouvernement? C’est ce que craint le syndicat des communications de Radio-Canada (SCRC), qui dénonce vigoureusement le nouveau code de conduite imposé aux employés – dont les journalistes – du diffuseur public.

Le nouveau code de conduite de la SRC, actuellement introuvable sur le web, a fait l'objet d'une pléthore de critiques, autant chez les journalistes que les observateurs des médias. Source: site web de la SRC

Parmi les éléments du code qui font bondir le syndicat, l’article 1.2: « Ils [les employés de Radio-Canada] exécutent avec loyauté les décisions prises par leurs dirigeants conformément à la loi et aident les ministres à rendre compte au Parlement et à la population canadienne. »  L’équivalent d’un serment d’allégeance, comme celui qu’on exige des fonctionnaires fédéraux selon le président du syndicat, Alex Levasseur.

Même inquiétude du côté de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Dans un communiqué, la FPJQ condamne vivement les nouvelles dispositions du code, exigeant même qu’il soit mis de côté et réécrit : « Une telle obligation est absolument contraire à ce qu’on peut attendre d’un diffuseur public, qui n’a pas à «aider» quelque politicien que ce soit. Il doit au contraire garder en tout temps sa pleine indépendance », peut-on lire dans le communiqué.

Le SCRC a déposé un grief, mais demande également à ses membres de ne pas signer le nouveau code de conduite. Alex Levasseur dénonce également l’assimilation des journalistes à un rôle de fonctionnaire de l’État. La loi canadienne sur la Radiodiffusion stipule pourtant à l’article 44. (1) que : « Les membres du personnel [de Radio-Canada NDLR] ne sont ni des fonctionnaires ni des préposés de Sa Majesté. »

Selon Alex Levasseur, la direction de Radio-Canada semble avoir importé sans aucune modification le code de conduite découlant de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. Résultat : « le code dit que nous sommes des fonctionnaires, alors que la loi de la radiodiffusion dit le contraire » dénonce Alex Levasseur.

Le président du SCRC doute d’ailleurs qu’il s’agisse d’une simple erreur: « Je ne pense pas que ce soit un geste malencontreux, je ne pense pas que la haute direction de Radio-Canada fasse quoi que ce soit par inadvertance ou par non-vérification. Notre PDG est un avocat de haut calibre issu d’un grand cabinet privé et 44 avocats travaillent au service juridique de Radio-Canada français. Alors à mon avis, c’est un geste intentionnel. »

Changement de cap

Du côté de la direction de Radio-Canada, on minimise ces craintes. Dans un communiqué, le directeur des services des communications et porte-parole de Radio-Canada, Marco Dubé, rappelle : « Le nouveau code de conduite de CBC/Radio-Canada stipule clairement que son application se fait sous réserve de la Loi sur la radiodiffusion, qui protège l’indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation du radiodiffuseur public dans la réalisation de sa mission et l’exercice de ses pouvoirs. Cette disposition est très clairement articulée dans le nouveau code de conduite qui ne compromet aucunement l’indépendance dont jouissent nos employés dans l’exercice de leurs fonctions, qui sont par ailleurs encadrées par nos normes et pratiques journalistiques. Nous partageons avec nos employés l’importance qu’ils accordent à notre relation sans lien de dépendance à l’égard du gouvernement. »

Le président du SCRC souligne cependant qu’une grande proximité semble s’être développée entre Radio-Canada et le pouvoir politique. « Ce n’est pas seulement moi, d’autres le soulignent aussi : le PDG de Radio-Canada, Hubert Lacroix, et le ministre du Patrimoine vont manger ensemble une fois par mois. » Le président du SCRC rappelle d’ailleurs que le code de conduite n’est qu’un élément de plus qui s’ajoute à une série de mesures inquiétantes pour Radio-Canada, comme la proximité politique et les compressions budgétaires. « Ce sont différents exemples de ce que j’appelle une mainmise politique sur l’institution qu’est le diffuseur public », estime-t-il.

En y regardant de plus près, on remarque que le nouveau code de conduite ne ressemble que très peu à la version précédente (2006), tant au niveau du fond que de la forme. Le ton, plus institutionnel dans la version de 2006, a résolument changé. On constate aussi des nouveautés dans la cuvée 2012, notamment des références directes aux élus : « Les employés de CBC/Radio-Canada reconnaissent que les élus sont responsables devant le Parlement et, par conséquent, devant la population canadienne […] » D’autres articles font référence à la préservation du « régime canadien de démocratie parlementaire et ses institutions », ou encore à la nécessité pour les employés de Radio-Canada de communiquer « aux décideurs l’information, les analyses et les conseils nécessaires en s’efforçant d’être toujours ouverts, francs et impartiaux ». Étonnamment, sur le site de Radio-Canada, la nouvelle version du code n’est plus disponible.

Alex Levasseur craint que l’indépendance journalistique soit compromise avec l’entrée en vigueur du nouveau code : « Ça va rendre les journalistes frileux envers le gouvernement. Ils vont devoir se demander : est-ce que je suis en train d’outrepasser mon devoir de loyauté ? Est-ce que je suis en train d’indisposer le ministre ? Or, on n’a pas à se poser ces questions-là lorsqu’on fait un travail journalistique ».

Le code de conduite doit être signé chaque année par les employés de la télévision publique, et en cas de non-respect, ceux-ci sont passibles de sanctions. « L’employé qui ne respecte pas les dispositions du Code de conduite et de toute autre politique de CBC/Radio-Canada s’expose à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement immédiat. »