Plainte de Françoise David contre Sylvain Bouchard : la tenue d’un débat public sur la radio d’opinion est essentielle

L’étude de ce dossier soulève plusieurs interrogations sur les styles et les méthodes d’animation qu’utilisent plusieurs médias, particulièrement les radios d’opinion : Y pratique-t-on davantage du « spectacle d’opinion » que de véritables « discussions d’opinion » en oubliant son objectif d’information? Quelles sont les valeurs prépondérantes qui devraient être visées par les diffuseurs en matière d’information diffusée dans le contexte des radios d’opinion? L’objectif de l’augmentation des cotes d’écoutes et de la rentabilité du média peut-il encore cohabiter avec celui de satisfaire le droit du public à une information de qualité? Et quelles en seraient les conditions?

Sensible à ces interrogations, le Conseil estime qu’un débat public devrait être ouvert sur la question. En ce sens, le Conseil souhaite la tenue d’un forum de discussion sur la radio d’opinion. Ce forum pourrait prendre différentes formes, notamment celle d’un colloque associant en même temps artisans, journalistes et auditeurs, pour réfléchir tous ensemble et partager diverses préoccupations. À l’issue de plusieurs décisions que le Conseil a eu à rendre dernièrement, l’urgence de ce débat se fait de plus en plus sentir.

Un comportement qui ne répond pas aux plus hauts standards de l’éthique journalistique

Dans sa plainte, Françoise David reprochait à l’animateur Sylvain Bouchard d’avoir tenu des propos méprisants, offensants et diffamatoires à son endroit et, plus largement, à l’endroit des femmes lors de l’émission « Bouchard en parle » du 26 janvier 2009. En déchirant en ondes la page où Mme David apparaissait dans un cahier d’exercices mis à la disposition des élèves de secondaire 4, l’animateur aurait également commis une incitation à la violence physique sur du matériel scolaire. Il aurait ensuite lancé un concours pour que les jeunes lui envoient la page déchirée afin de gagner un jeu électronique.

Le Conseil estime que la liberté d’expression, reconnue à l’animateur, l’autorisait à inciter des auditeurs à déchirer la page du cahier d’exercices. Toutefois, sous l’angle de l’éthique journalistique, parce que les jeunes auditeurs étaient susceptibles de subir des réprimandes de leurs enseignants, l’invitation de l’animateur n’était pas la meilleure suggestion à faire dans les circonstances. Ce dernier aurait pu suggérer aux étudiants de manifester leur désaccord par bien d’autres moyens, comme celui d’un débat en classe permettant un plus large échange d’opinions.

Concernant le reproche d’avoir lancé un concours pour que les jeunes lui envoient la page déchirée afin de gagner un jeu électronique, le Conseil a conclu qu’il n’y avait pas, dans les circonstances, manquement à la déontologie journalistique. Mais, vu sous l’angle de l’éthique journalistique, lancer un concours à ce moment de l’émission était inapproprié. L’objectif annoncé était de faire réfléchir les jeunes sur la présence d’un personnage politique dans un document pédagogique. En introduisant ce concours et en favorisant uniquement les auditeurs qui partageaient son point de vue, l’animateur venait corrompre insidieusement la logique de l’argumentation annoncée au départ.

La plaignante déplorait aussi que M. Bouchard l’ait qualifié de « chef soviétique ». Le Conseil considère qu’il s’agit ici d’une expression imagée, exprimée sur la base d’une alliance entre le Parti communiste du Québec et Québec solidaire qui n’a jamais été contestée par la plaignante. Dans le contexte du journalisme d’opinion, l’expression a été jugée acceptable.

La plaignante reprochait également au mis-en-cause d’avoir qualifié les enseignants de « profs gauchistes syndicalistes » et de les avoir accusés de se livrer à du « brainwashage socialiste ». Aux yeux du Conseil, il s’agit de l’opinion de l’animateur. Bien qu’elle puisse paraître excessive pour certaines personnes, cette interprétation ne va pas à l’encontre des règles déontologiques relatives au journalisme d’opinion. Cependant, vu sous l’angle de l’éthique journalistique, l’information aurait été plus complète si l’animateur avait pris soin de rechercher et de présenter l’explication des éditeurs et du ministère de l’Éducation au sujet de la présence d’un personnage politique dans un cahier pédagogique. Ceci aurait enrichi le débat qu’il lançait, en présentant un autre point de vue et une information plus complète. De même, l’utilisation de propos plus prudents de la part de l’animateur, à l’endroit des personnes visées, aurait certainement contribué à un meilleur journalisme dans les circonstances.

Bien que la plainte de Françoise David contre Sylvain Bouchard et la station radiophonique CJMF-93,3 n’ait pas été retenue, l’étude de ce dossier a permis d’illustrer l’écart important qui existe, dans certains cas, entre le respect des règles minimales de la déontologie et la recherche des plus hauts standards de la pratique journalistique. Cet écart laisse parfois chez le public une impression d’inconfort, comme si la liberté de presse devenait la valeur prédominante, au-dessus de tous les droits.

Le texte intégral de la décision ainsi qu’un résumé des arguments des parties en cause
peuvent être consultés au www.conseildepresse.qc.ca, à la section « Les décisions rendues par le Conseil ».

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SOURCE :       
Marie-Eve Carignan, responsable des communications et analyste
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818

RENSEIGNEMENTS :    
Guy Amyot, secrétaire général
Conseil de presse du Québec
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