Protection des sources : enjeu déontologique ou lutte politique pour le contrôle de l’information?

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Voici une allocution prononcée par la secrétaire générale du Conseil de presse du Québec, Caroline Locher, dans le cadre de la journée scientifique « Médias et démocratie, rapports de pouvoirs ou batailles des légitimités entre les champs de la communication médiatique et politique » qui se tenait le 11 avril 2018 à l’Université du Québec en Outaouais. Après avoir abordé la question de la protection des sources confidentielles des journalistes dans les instances d’autorégulation, Mme Locher a affirmé que « le véritable enjeu social n’est pas la bonne ou la mauvaise utilisation des sources confidentielles par les journalistes », mais la « guerre politique pour le contrôle de la société qui passe par le contrôle de l’information ».

Bonjour,

On m’a demandé de vous parler d’éthique journalistique en ce qui concerne la protection des sources confidentielles.

Les conférenciers de ce matin ont poussé notre réflexion théorique à propos de nos médias et de notre démocratie. Et le journaliste du Globe and Mail ayant dévoilé le scandale des commandites, Daniel Leblanc, vient de nous ramener les deux pieds sur terre, sur le terrain.

Je vous propose, dans la demi-heure qui suit, de tenter de bâtir un pont entre la théorie et la pratique.

Ce colloque tente l’exercice intéressant de découper la protection des sources en divers volets (politique, légal, déontologique). La protection des sources est présentée comme un exemple concret du « conflit de légitimités » entre le droit des journalistes de diffuser l’information et le droit du gouvernement de cacher des secrets d’État.

L’argumentaire du colloque pose la question suivante : Que se passe-t-il quand les normes juridiques et éthiques entrent en conflit : le souci de transparence et l’intérêt légitime du public à l’information doivent-ils l’emporter sur les impératifs de sécurité et la nécessaire protection des secrets d’État?

D’office, il m’apparaît dangereux de mettre sur un même pied la liberté fondamentale qu’est la liberté de presse, enchâssée dans notre Constitution, et les soi-disant « impératifs » de protection des secrets d’État.

L’État a des comptes à rendre aux citoyens. Le rejet actuel des « élites » qui conduit au rejet du système démocratique trouve en partie racine dans le fait que l’appareil d’État fonctionne en vase clos, avec des gens qui pratiquent l’entre-soi, qui monopolisent l’information et donc le pouvoir. Comme nous le constatons régulièrement, cette réalité ouvre grand la porte au populisme lequel profite de la vulnérabilité des citoyens qui se sentent dépossédés de tout pouvoir.

J’ai donc envie de vous poser une autre question aujourd’hui, qui va nous mener de l’aspect déontologique de la protection des sources à la nécessaire transparence de l’État, en m’appuyant sur ce que le Conseil de presse du Québec a déjà dit.

Voici ma question :

La protection des sources confidentielles est-elle davantage une question d’éthique journalistique ou une lutte politique pour le contrôle de l’information?

Voyons ce que la déontologie journalistique dit au sujet des sources confidentielles.

Mais d’abord, une précision d’ordre sémantique s’impose pour comprendre de quoi nous parlons.

Il y a souvent confusion entre « source anonyme » et « source confidentielle ».  Pour un journaliste, une source anonyme est totalement inconnue. C’est l’enveloppe brune non identifiée envoyée sans adresse de retour avec des documents compromettants. C’est Edward Snowden au tout début de ses démarches qui écrit un courriel crypté au journaliste du Guardian, Glenn Greenwald, sans que le journaliste ne puisse en déterminer la provenance.

La déontologie établit clairement que les journalistes ne doivent pas citer des sources anonymes dans leurs reportages, c’est-à-dire de gens qu’ils ne peuvent pas identifier.  La source anonyme peut servir de piste vers une information qui sera ensuite vérifiée, mais c’est tout.

La source confidentielle est connue du journaliste, mais son identité n’est pas révélée au public. Lorsqu’Edward Snowden a rencontré Glenn Greenwald et qu’il lui a finalement dévoilé son identité, il est devenu sa source confidentielle. C’est alors que le Guardian a commencé à publier sa série d’articles.

Vous vous souviendrez de l’enquête primée du Toronto Star sur l’ancien maire de Toronto, Rob Ford. 
Voici comment la responsable de la déontologie journalistique (public editor) du Toronto Star, Kathy English, expliquait l’utilisation des sources confidentielles par le journal.  Elle rapportait les propos du chef de l’unité d’enquête, Kevin Donovan :

We’re not talking about anonymous sources here (…) “anonymous” does not accurately describe sources who won’t talk to reporters without assurances their name will remain confidential. “Confidential sources is the correct term,” (…) “In an ideal world people would provide information with their name attached. We do not live in that world. We try to get people on the record, but on the most sensitive stories it is very difficult.” And almost every person who contributed to [the Ford] investigation was a confidential source. Not anonymous, confidential.”

Il m’apparaît important pour le public de comprendre cette différence. Donc, aujourd’hui, nous allons parler de l’utilisation de sources confidentielles par les journalistes.

Un large consensus

En ce qui concerne la déontologie et les codes d’éthique journalistiques, la protection des sources confidentielles fait l’objet d’un large consensus.

Le Guide du CPQ, ceux de la FPJQ et de l’Association canadienne des journalistes, les Normes et pratiques de Radio-Canada, les codes de Reuters, de l’AFP et de la Society of Professional Journalists des États-Unis, la Charte de Munich en Europe, le code de la Fédération internationale des éditeurs de journaux, de l’IPSO en Grande-Bretagne et un très grand nombre d’autres codes et de textes sérieux s’accordent à faire de la protection des sources confidentielles une obligation déontologique pour les journalistes.

Les formulations et le niveau de détails diffèrent d’un texte à l’autre, mais le sens général est le même. Les sources confidentielles doivent être protégées afin de permettre à l’information de circuler.

Voici ce que stipule le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec :

Article 13 – Entente de communication avec une source

« (1) Les journalistes tentent par tous les moyens à leur disposition de respecter les ententes de communication avec une source (confidentialité, off the record, non-attribution, embargo, etc.) pour lesquelles ils ont donné leur accord explicite, sauf si la source les a volontairement trompés.

« (2) Les journalistes peuvent cependant publier les informations faisant l’objet d’une entente de communication s’ils obtiennent autrement ces mêmes informations.

« (3) Les journalistes peuvent divulguer l’identité d’une source confidentielle à leur hiérarchie éditoriale, qui s’engage aussi à respecter l’entente de confidentialité. Cela n’équivaut pas à une divulgation publique. »

Article 8 – Matériel journalistique

« Les journalistes et les médias d’information ne transmettent pas leur matériel journalistique à des tiers, sauf si la loi leur en impose l’obligation ou s’il existe un intérêt public prépondérant justifiant de le faire. »

Cela dit, le principe général en journalisme est de nommer ses sources d’information. La confidentialité est donc clairement une exception et certains textes déontologiques (mais pas tous) comme ceux du CPQ et de la FPJQ précisent les conditions cumulatives à remplir pour avoir recours à des sources confidentielles. Les voici :

  1. L’information transmise par la source confidentielle doit être d’intérêt public.
  2. L’information transmise par la source confidentielle ne peut pas raisonnablement être obtenue autrement.
  3. La source confidentielle peut encourir des préjudices si son identité n’est pas protégée.

Selon les textes déontologiques, il peut se greffer diverses modalités additionnelles. Par exemple :

  • L’information fournie par la source confidentielle doit être validée de manière indépendante (ce qui est une pratique de base en journalisme).
  • Le journaliste doit présenter le plus possible au public ce qui fait la crédibilité de la source sans rien fournir cependant qui puisse permettre de l’identifier.
  • Le journaliste doit questionner les motivations des sources.
  • Le journaliste doit être clair dans le contrat qu’il conclut avec sa source: jusqu’où est-il prêt à aller pour la protéger? En prison? La journaliste américaine Judith Miller, du New York Times a fait 85 jours de prison pour avoir refusé de dévoiler sa source dans l’affaire de l’agente de la CIA, Valérie Plame.
  • Le journaliste doit expliquer pourquoi le recours à une source confidentielle était nécessaire.
  • La source peut relever le journaliste de son engagement de confidentialité.

Plaintes reçues au Conseil de presse

Une instance d’autorégulation comme le Conseil de presse du Québec reçoit très rarement des plaintes du public au sujet de l’utilisation de sources confidentielles.

Depuis 2014, il y en a eu trois, sur les centaines de plaintes que nous recevons chaque année :

Dans un premier cas, en 2014, le Conseil a blâmé une journaliste du magazine Maclean’s pour avoir publié les propos et l’identité de chercheuses universitaires qui critiquaient la façon dont les universités géraient les cas d’agressions sexuelles. Après un entretien informel, les chercheuses avaient décliné une entrevue officielle, exprimant leurs peurs de conséquences potentiellement néfastes à leur carrière.

Le Conseil a aussi jugé qu’il y avait eu « violation d’une entente de confidentialité ».

Dans un deuxième cas, en 2016, le Conseil a blâmé un animateur de radio pour avoir brisé le contrat de confidentialité qu’il avait avec sa source, un conseiller municipal de la municipalité de Chandler. Ils s’étaient échangés des messages privés sur Facebook, dans lesquels l’animateur avait convenu de tenir leurs échanges confidentiels. Dans ces messages, le plaignant critiquait notamment le travail de la mairesse de Chandler, contre laquelle il a déposé une plainte à la Commission municipale du Québec. Plus tard, cet animateur a remis leurs échanges Facebook à la mairesse de Chandler.

Une autre plainte de 2014, qui a fait les manchettes, portait sur l’utilisation même de sources confidentielles, qui était injustifiée selon le plaignant. Cette plainte contre Radio-Canada et le journaliste Alain Gravel visait le reportage « Claude Blanchet aurait sollicité des firmes de génie-conseil », diffusé le 31 mars 2014.

Le reportage rapportait les propos de quatre sources confidentielles, et le Conseil a jugé, en 2017, que leur utilisation était justifiée par « l’intérêt public et la crainte de représailles ». Ce second jugement, après appel, a reconnu le sérieux avec lequel les dires de plusieurs sources confidentielles crédibles avaient été corroborés. Le dossier est à nouveau en appel.

La déontologie n’est pas la question centrale

Ce bref rappel du contexte déontologique est pertinent, car le volet journalistique de l’utilisation des sources confidentielles n’est pas nécessairement connu du public. Mais la discussion du volet déontologique de la protection des sources présente un intérêt limité dans le cadre de ce colloque.

Car le véritable enjeu social n’est pas la bonne ou la mauvaise utilisation des sources confidentielles par les journalistes. On ne peut pas mettre sur un même pied et renvoyer dos à dos la « légitimité » des journalistes à diffuser l’information et la « légitimité » de l’État à garder le secret.  Il ne s’agit pas de la question abstraite d’un combat de légitimités, mais bien d’une guerre politique pour le contrôle de la société qui passe par le contrôle de l’information.

La question se pose donc sur le terrain politique : à quel point l’État est-il redevable envers les citoyens?  À quel point l’information doit-elle rester entre les mains d’un petit nombre de personnes au sommet de l’État?  À quel point, comme citoyens, pouvons-nous être tenus dans l’ignorance des faits qui fondent les décisions qui affectent nos vies? À quel point avons-nous besoin, comme citoyens, de tous les faits pertinents pour juger de nous-mêmes et pouvoir garder vivante la démocratie en surveillant les détenteurs du pouvoir?

Les sources confidentielles prendraient peut-être moins de place en information si la culture du secret n’était pas omniprésente au sein de l’État et si cette culture n’était pas consacrée par des lois.

La plupart des enquêtes journalistiques ne viennent pas des sources autorisées, mais de personnes qui n’ont pas « techniquement » le droit de les divulguer. Ces sources estiment, pour une raison ou une autre, qu’il est de leur devoir (ou parfois de leur intérêt) de révéler des informations aux médias à propos d’une entreprise, par exemple, ou bien de l’État.

En droit du travail, on pourrait accuser un employé divulgateur de déroger à son devoir de loyauté envers son employeur s’il confie de l’information secrète à un journaliste.

Mais les tribunaux canadiens ne mettent pas sur un même pied le droit de l’employeur à assurer le respect de la confidentialité par son employé et le droit du public à l’information.  Ils ne considèrent pas les journalistes comme des « complices » des violations commises par leurs sources et leur reconnaissent le droit de les diffuser.

Dans le cas de Ma Chouette, la source du journaliste Daniel Leblanc, la Cour suprême a dit ceci dans son jugement : « Le délit a été commis par la source gouvernementale qui a fourni l’information à L [au journaliste].  (…) L [Le journaliste] n’était pas tenu de s’assurer que sa source ne violait aucune obligation juridique en lui fournissant les renseignements, et il n’était pas tenu d’agir comme conseiller juridique auprès de cette source ».

Le CPQ dénonce la culture du secret au sein de l’État

En plus d’être un système d’autorégulation de la presse sous forme de tribunal d’honneur, le CPQ est un organisme qui, par sa charte et son guide de déontologie, défend la liberté de presse et le droit du public à l’information.

Déjà en 1989, le Conseil publiait un livre blanc exigeant une loi pour la protection des sources confidentielles, tout comme l’ont demandé le Barreau du Québec et la FPJQ.

Alors, comment endiguer cette culture du secret?

Le CPQ s’est prononcé à plusieurs reprises sur la Loi d’accès à l’information au Québec, notamment par des mémoires en 2000 et 2003 et tout récemment, en février dernier, sur le projet de loi 164.

Il m’apparaît utile de se pencher ici sur cette Loi d’accès parce qu’elle codifie les très nombreuses exceptions à ce que peut être un document public. En d’autres mots, elle consacre l’immense domaine de ce qui, aux yeux de l’État, doit rester secret.

Je ne parle même pas ici des gestes illégaux ou immoraux qui prolifèrent quand ils peuvent profiter d’un voile de secret, mais de décisions mal fondées, d’études gardées cachées parce qu’elles contrediraient des politiques officielles, révéleraient des dépenses scandaleuses, etc. Les sources confidentielles sont essentielles pour faire contrepoids et assurer une certaine imputabilité.

Que dit le Conseil de presse au sujet du secret gouvernemental?

Dans le mémoire de 2003 : « Il faut maintenant aller plus loin, et ne pas hésiter à prendre, au besoin, des mesures coercitives pour briser le culte du secret qui se perpétue au sein des organisations récalcitrantes, parmi lesquelles on compte bon nombre d’organismes parapublics. Cette culture du secret constitue, à n’en pas douter, une entrave majeure à la liberté de la presse et au droit légitime de la population québécoise d’être informée des faits et gestes de son administration publique. »

Extrait de la lettre ouverte du 6 mars 2018 : « La Cour d’appel avait statué que “le gouvernement et ses organismes ne peuvent plus désormais se réfugier derrière le silence administratif ou le droit au secret pour, d’une part, refuser de dévoiler des informations même sensibles et, d’autre part, éviter de subir la responsabilité de leurs décisions.” » 

Qu’en est-il des secrets d’État au Canada?

Déjà à la fin des années 1990, l’ancien Commissaire à l’information du Canada, M. John Grace, affirmait qu’en 15 années passées à examiner des documents que le gouvernement ne voulait pas communiquer aux Canadiens, il n’avait pas vu un seul secret digne de ce nom.

Le commissaire qui lui a succédé, M. John M. Reid, affirmait la même chose en 2000 lors d’une allocution présentée au colloque des éditeurs de l’Association canadienne des journalistes : «Le plus souvent, les fonctionnaires adorent le secret parce que c’est un instrument de pouvoir et de contrôle et non parce que l’information qu’ils détiennent est par sa nature très confidentielle », disait alors M. Reid.

Après 16 années d’application de la Loi canadienne sur l’accès à l’information, M. Reid s’étonnait de constater combien la « culture du secret était encore bien vivante ».

En quittant ce même poste, en février dernier, la commissaire à l’information Suzanne Legault a tenu à rappeler l’importance de la transparence de l’État dans son texte d’adieu :

« La force d’une démocratie peut être liée directement à la quantité d’information mise à la disposition du public. L’accès à l’information a été qualifié du plus important instrument (après le scrutin) pour assurer la responsabilisation au sein d’une démocratie. Quand il y a plus d’information, cela se traduit par des citoyens mieux informés qui participent au processus démocratique. »

Au fédéral comme au Québec, les lois sur l’accès à l’information sont désuètes et inefficaces. Depuis leur promulgation au début des années 1980, aucun gouvernement n’a voulu les changer pour le mieux. Ou alors, le gouvernement du Québec tente une nouvelle mouture de la loi sans permettre les discussions en commission parlementaire. C’est ce qui s’est fait tout récemment.

Secret défense

Outre les lois sur l’accès à l’information qui énumèrent longuement ce qui doit rester secret, d’autres lois vont dans le même sens, notamment en lien avec la sécurité nationale.

Cette « sécurité nationale » a le dos large parce que les restrictions sont difficiles à contester faute de posséder tous les faits pertinents. Mais pensons aux Pentagon Papers, des documents classés secrets produits pour le ministère de la Défense américain en pleine guerre du Vietnam. Que pourrait-il y avoir de plus secret que des documents qui concernent une guerre en cours? Le gouvernement américain soutenait d’ailleurs qu’il fallait empêcher la parution de ces documents dans le New York Times parce qu’elle compromettrait l’éventuelle libération de prisonniers américains. L’argument avait l’air convaincant.

Dans les faits, les documents révélaient que les autorités mentaient aux citoyens et reconnaissaient entre elles que la guerre s’enlisait sans aucune perspective d’être gagnée. La publication a permis d’éveiller l’opinion américaine à cette réalité et de hâter la fin du conflit, ce qui a certainement sauvé la vie de milliers de jeunes gens qui autrement seraient morts en vain. L’effet obtenu par la publication a été diamétralement opposé à ce que prétendait le gouvernement américain.

Mais revenons à aujourd’hui.

Le lanceur d’alerte Edward Snowden signalait dans une webconférence à McGill en 2016 que trois ans après ses révélations de « secrets d’État » sur la NSA, le gouvernement américain n’avait pas encore été capable de produire un seul cas où ces révélations auraient pu nuire à quelqu’un.

D’ailleurs, le classement d’une information comme secrète peut être subjectif.

Selon un texte de l’Université Paris-Nanterre : « Dans le système américain, le “classement” d’informations se fait en dehors de tout cadre réglementaire rigide. Toute personne travaillant pour le Gouvernement peut décider du classement d’une information. Par conséquent, l’on assiste à un phénomène de surclassement. Les employés du Gouvernement préfèrent se mettre à l’abri de toute faute qui pourrait leur être reprochée si un document quelque peu embarrassant venait à être publié. »

Wikileaks a d’ailleurs révélé que des informations qui avaient été classées secrètes étaient pourtant déjà du domaine public!

Aux États-Unis, une information est automatiquement déclassée après 25 ans. Arbitrairement, c’est 50 ans en France.

La notion de « secret d’État » mérite donc d’être défiée et personne n’est mieux en mesure de le faire que les journalistes en s’appuyant sur leurs sources confidentielles.

Big Brother

Quand je dis que la question des sources confidentielles est avant tout une question politique,  je me réfère aussi au basculement des valeurs dans nos démocraties.

Traditionnellement, en démocratie, les masses surveillent le pouvoir de l’État. Celui-ci leur est redevable. Or aujourd’hui, c’est peu à peu le contraire qui s’installe : les États surveillent les masses de citoyens (incluant des journalistes, comme ceux de chez nous qui l’ont été par des policiers).  Selon les mots de Snowden, les moyens technologiques modernes permettent, avec très peu de personnel et à des coûts très modestes, de surveiller une immense quantité de gens alors qu’auparavant il coûtait une fortune et nécessitait beaucoup de gens pour surveiller une seule personne.

D’un côté, l’État peut entretenir des secrets lourds de conséquences, comme l’existence de la surveillance de masse par la NSA. Mais de l’autre les citoyens ne peuvent plus avoir de secrets pour l’État.

Ici au Canada, les activités du Centre de la sécurité des télécommunications (CST), font aussi face à la controverse. Le projet de loi canadien C-59 par exemple, a été dénoncé le 20 février dernier par  Reporters Sans Frontières : « Compte tenu de l’étendue des informations disponibles en ligne et des moyens dont dispose le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) pour en recueillir davantage, via des accords avec ses alliés étrangers ou via ses contacts avec d’autres départements du gouvernement par exemple, les pouvoirs placés entre les mains de cette organisation nous paraissent démesurés. En effet, le CST se trouverait en mesure de monter des dossiers exhaustifs sur la population canadienne sans jamais enfreindre l’interdiction de ciblage des individus comprise dans le projet de loi C-59. Il s’agit d’un projet de surveillance de masse aux conséquences concrètes qui pourrait avoir des effets dévastateurs sur le droit à la libre expression des Canadiens. »

La loi antiterroriste de 2015 (anciennement C-51) a été également dénoncée comme trop attentatoire aux droits et libertés des citoyens, notamment par l’échange incontrôlé d’informations privées à leur sujet entre les officines de l’État.

Et que dire de nos données personnelles sur Facebook utilisées pour des causes politiques sans notre autorisation?

La question des sources confidentielles des journalistes se pose ainsi dans un moment très particulier de l’Histoire où des États démocratiques tentaculaires prennent un ascendant inacceptable sur leurs citoyens.

Dans ce contexte, les sources confidentielles sont le premier et vital rempart pour éviter de vivre dans une société où la seule vérité possible est la vérité officielle qui est transmise et avalisée par les autorités publiques.

Conclusion

C’est pourquoi :

  • Il faut encourager le journalisme d’enquête incluant les techniques pour protéger les sources confidentielles.
  • Il faut maintenir et faire connaître les exigences déontologiques liées aux sources, mais ces exigences ne doivent pas servir de prétexte pour justifier le secret dans l’appareil d’État.
  • Il faut de meilleures lois sur les sonneurs d’alarme pour leur permettre de sortir l’information en dehors de la machine bureaucratique sans être pénalisés. Le Québec a adopté la sienne assez récemment. Mais comme la loi fédérale, cette loi québécoise sur les divulgateurs n’arrive pas à les protéger vraiment et à permettre au public de connaître ce qui mérite d’être su au sujet de l’activité gouvernementale.
  • Il faut réformer de manière radicale les lois fédérale et provinciale sur l’accès à l’information pour limiter au strict minimum ce qui est considéré comme secret.
  • Il faut porter la même attention aux autres lois, notamment celles qui invoquent la sécurité nationale et qui étendent indûment la portée du secret d’État et la surveillance des citoyens.
  • Après l’adoption récente de la loi fédérale, grâce en grande partie au sénateur Claude Carignan, il faut maintenant au Québec une loi sur la protection des sources confidentielles.

Pour terminer, je vous laisse sur cette réflexion : une recherche menée par l’UNESCO en 2015 avance qu’au niveau mondial, malgré tout ce dont on vient de parler, les lois sur la protection des sources confidentielles ne s’améliorent pas, mais, au contraire, tendent à s’effriter.

Voici ce que dit le rapport : « Les cadres juridiques qui soutiennent la protection des sources journalistiques, aux niveaux international, régionaux et nationaux, subissent des pressions importantes. Ils sont de plus en plus menacés d’érosion, de restriction et de compromis – un développement qui représente un défi direct aux droits universels que sont la liberté d’expression et le droit à la vie privée. Cette érosion constitue une menace directe pour la durabilité du journalisme d’enquête. »