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D2020-12-164
Plaignant
George Hutcheson, président
Students for Western Civilisation (SWC)
Mis en cause
Selena Ross, journaliste
CTV News Montreal
Résumé de la plainte
George Hutcheson dépose une plainte le 10 décembre 2020 au sujet de l’article « A “white students’ union” wants to set up a chapter at McGill University » (« Un “syndicat d’étudiants blancs” veut établir une section à l’Université McGill ») de Selena Ross, publié sur le site web de CTV News Montreal, le 26 novembre 2020. Le plaignant déplore de l’information inexacte, un manque d’identification des sources, un manque d’équilibre, de l’information incomplète, de la discrimination et une absence de correctif. Le grief de diffamation est non recevable et n’a pas été traité (explications à la fin de cette décision).
CONTEXTE
Dans le reportage de CTV news, il est question d’une organisation militante nommée Students for Western Civilisation (SWC, Étudiants pour la civilisation occidentale). Cette organisation dit défendre les droits des Blancs et la protection de leur identité. Sur son site Internet, elle se présente comme suit : « SWC défend les droits, les intérêts et l'identité des Canadiens d'origine européenne en faisant la promotion de la diversité des points de vue dans le milieu universitaire et les médias; en luttant contre la discrimination antiblanche; en luttant contre le discours de haine antiblanc; et en préservant et en mettant en valeur notre patrimoine culturel. » (« SWC advocates for the rights, interests and identity of European-Canadians by promoting viewpoint diversity in academia and the media; combating anti-white discrimination; fighting anti-white hate speech; and preserving and enhancing our cultural heritage. »)
CTV News rapporte que l’organisation SWC, qualifiée de « “syndicat d'étudiants blancs” autoproclamé » (« self-styled “white students’ union” »), soutient qu’elle lance une division à l’Université McGill à Montréal. Des affiches de recrutement ont été placardées sur le campus. La journaliste indique que ce groupe est dirigé par George Hutcheson (le plaignant dans le présent dossier) « qui a travaillé avec de nombreuses personnalités des médias d'extrême droite au Canada et qui est récemment apparu dans un documentaire sur le nationalisme blanc » (« who’s worked with many figures in Canada’s far-right media and who recently appeared in a documentary on white nationalism »). Selon l’article, George Hutcheson a indiqué à CTV que son organisation se portait candidate (« is applying ») pour un statut officiel à McGill à titre de groupe étudiant, mais l’Association étudiante de l’Université McGill (SSMU, Students’ Society of McGill University), qui approuve ce type de demande, n’aurait pas reçu de requête de sa part. La journaliste explique que l’organisation SWC a annoncé sur son blogue qu’elle allait établir une division à l’Université McGill.
La dernière section de l’article de CTV présente des informations fournies par un documentariste new-yorkais, Daniel Lombroso, qui s’intéresse à la montée du mouvement nationaliste blanc et qui a passé du temps avec George Hutcheson. Daniel Lombroso s’inquiète des tentatives de recrutement effectuées par George Hutcheson sur le campus de l’Université McGill.
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a produit de l’information inexacte dans le passage suivant : « [George Hutcheson] a déclaré que l'organisation est en train de faire une demande de statut officiel à McGill en tant que groupe étudiant, mais la société étudiante qui approuve de telles demandes a déclaré qu'elle n'en avait pas reçu de sa part et qu'elle n'envisageait pas non plus de lui en octroyer un le cas échéant. »
(« [George Hutcheson] said the organization is applying for official status at McGill as a student group, but the student society that approves such requests said it hasn’t received one from him, nor is it considering authorizing one if it does. »)
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
Le plaignant soutient que la journaliste « a suggéré que SWC prétendait avoir demandé le statut de club officiel par l'intermédiaire de la Société étudiante de l'Université McGill (SSMU) — une affirmation que nous n'avons pas faite » (« suggested that SWC claimed to have applied for official club-status through the Student Society of McGill University (SSMU) — a claim we did not make »). Il affirme que « dans un courriel de prépublication, nous avons dit à Ross que nous “recherchions une reconnaissance officielle de la part de la société étudiante de McGill” et que “nous avons reçu 11 nouveaux candidats, mais ils n'ont pas encore suivi notre processus d'admission”. Nous n'avons pas prétendu avoir déposé une demande de statut de club auprès de SSMU ni avoir déposé notre candidature » (« in a pre-publication email, we told Ross that we were “seeking official recognition from McGill’s student society” and that “we've received 11 new applicants, but they haven't gone through our admission process yet”. We did not claim to have filed for club status with SSMU or to have submitted our application »).
Dans sa réplique au Conseil, CTV News Montreal explique qu’en « termes linguistiques, l'emploi de “is applying” [présent continu] n'est pas spécifique dans le temps. Il peut signifier : a l'intention d'appliquer, est en train d'appliquer, a appliqué ou appliquera. Cette formulation était intentionnelle, afin de faire écho à la formulation de M. Hutcheson à CTV, qui avait le même manque de spécificité - il nous a dit dans son premier courriel [...] que son groupe “recherche une reconnaissance officielle de la part de la société étudiante de McGill” (“are seeking official recognition from McGill’s student society”). Hutcheson lui-même a confirmé dans son deuxième courriel du 25 novembre [2020] que McGill avait déjà été en contact avec lui et a suggéré à CTV de s'adresser à la société étudiante [SSMU] pour obtenir des commentaires ».
Lorsque la journaliste écrit que George Hutcheson « a déclaré que l'organisation demandait un statut officiel à McGill en tant que groupe étudiant » (« said the organization is applying for official status at McGill as a student group »), elle se base notamment sur le premier courriel que lui a envoyé George Hutcheson le 25 novembre 2020, dans lequel il indique que SWC « cherche une reconnaissance de l’association étudiante de McGill » (« [is] seeking a recognition from McGill’ student society »).
Les définitions des termes « postuler » (« apply ») et « chercher une reconnaissance » (« seeking recognition ») se recoupent. Le Cambridge Dictionary indique que le verbe « postuler » (« apply ») signifie « demander quelque chose, généralement officiellement, notamment par écrit ou en envoyant un formulaire » (« to request something, usually officially, especially in writing or by sending in a form »), alors que le verbe « chercher » (« seeking ») renvoie au fait d’« essayer de trouver ou d'obtenir quelque chose, surtout quelque chose qui n'est pas un objet physique » (« to try to find or get something, especially something that is not a physical object »). En ce qui concerne le temps de verbe de « is applying » (« est en train de faire une demande) », il s’agit du « présent continu », qui peut être utilisé, entre autres, pour décrire des « événements en cours » et des « états temporaires » (source : le Cambridge Dictionary).
La journaliste n’a donc pas produit d’information inexacte en utilisant les termes « is applying » pour expliquer que la démarche de SWC est en cours. Par ailleurs, la journaliste n’écrit pas que la SWC « prétendait avoir demandé le statut de club officiel » (« claimed to have applied for official club-status »), comme le suggère le plaignant. La journaliste écrit « is applying », ce qui peut signifier que SWC est en train de remplir la demande, sans l’avoir encore transmise à la SSMU. La journaliste a fait preuve de prudence dans son traitement de l’information, et ce, même si l’organisation SWC a déclaré qu’elle lançait une division à l’Université McGill dans une annonce, publiée sur son site Internet le 23 novembre 2020, titrée « Students for Western Civilisation est en train de lancer une division à l’Université McGill » (« Students for Western Civilisation is starting a branch at McGill University »).
De plus, comme l’explique le média dans sa réplique, George Hutcheson a aussi invité la journaliste à se tourner vers la SSMU pour des commentaires, dans un deuxième courriel envoyé le 25 novembre 2020. Or, la SSMU n’avait pas reçu de demande officielle de la part de SWC, tel qu’indiqué par la journaliste dans ce passage de l’article :
« “Nous ne sommes au courant d'aucun effort de recrutement mis à part les affiches qui avaient été placardées sur le campus, mais nous pouvons confirmer que le soi-disant “White Students Union” n'est pas reconnu par la SSMU ou n’y est affilié d’une quelconque façon [Students’ Society of McGill University] », indique un communiqué envoyé par courriel par le porte-parole de la SSMU, Brooklyn Frizzle, mercredi. “Ces messages ne correspondent pas aux valeurs de la SSMU”, indique le communiqué. » (« “We aren’t aware of any recruitment efforts aside from the posters that had been put up around campus, but we can confirm that the so-called ‘White Students Union’ is not recognized by or in any way affiliated with the [Students’ Society of McGill University],” said a statement emailed by SSMU’s spokesperson, Brooklyn Frizzle, on Wednesday. “These messages do not align with the values of the SSMU,” the statement said. »)
Dans un dossier similaire (D2019-09-069), le grief d’information inexacte a été rejeté, car la plaignante fondait sa plainte sur une perception erronée en prêtant au journaliste une affirmation qu’il n’avait pas écrite.
La plaignante reprochait au chroniqueur de ne pas avoir pris connaissance du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État qui ne prévoit pas « “littéralement un décompte - de têtes couvertes” » (« taking a literal head count — of covered heads »). Or le chroniqueur n’écrivait pas qu’un tel recensement était inscrit dans le projet de loi.
Dans le cas présent, le plaignant interprète les propos de la journaliste. Les définitions des termes « is applying » et « seeking recognition », les informations contextuelles qui figurent dans l’article et les courriels envoyés par George Hutcheson à la journaliste confirment que Selena Ross a rapporté les faits.
Grief 2 : manque d’identification des sources
Principe déontologique applicable
Identification des sources : « Les journalistes identifient leurs sources d’information, afin de permettre au public d’en évaluer la valeur, sous réserve des dispositions prévues à l’article 12.1 du présent Guide. » (article 12 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a omis d’identifier ses sources dans le passage suivant : « Bien que le groupe ait placardé des affiches de recrutement sur le campus de McGill, il y a toutefois peu d’indices qu'il ait pris de l'ampleur - un schéma typique, disent certains qui l'ont suivi et qui se demandent si le soi-disant “groupe d'étudiants” multibranches est bien plus qu'un homme célibataire dans la trentaine. » « While the group has put up recruitment posters around McGill’s campus, however, there’s little evidence it has gained momentum — a typical pattern, say some who have followed it and who question whether the supposedly multi-branched “student group” is much more than a single man in his 30s. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’identification des sources.
Analyse
Le plaignant déplore que la journaliste n’ait pas identifié ses sources dans le passage cité ci-haut. Il soutient : « Selon Ross, elle a trouvé une autorité digne de confiance pour se prononcer sur SWC, qui a suggéré que nous ne sommes en fait pas un groupe d'étudiants et pas “beaucoup plus qu'un homme célibataire dans la trentaine”. Ross attribue cette affirmation à “certaines personnes”, rendant la déclaration invérifiable pour le lecteur. » (« According to Ross, she located a trustworthy authority on SWC who suggested that we are, in fact, not actually a student group and not “much more than a single man in his 30s”. Ross attributes this claim to ‘some persons’, making the statement unverifiable to the reader. »)
Le plaignant soutient que « citer une source anonyme de cette manière est également une violation des normes du Conseil de presse du Québec » (« citing an unnamed source in this way is also a violation of the Quebec Press Council’s standards which state that »).
Dans sa réplique au Conseil, CTV News Montreal soutient que la phrase « à laquelle [George Hutcheson] fait référence est ce que l'on appelle communément dans la presse écrite le “nut graph” ou “nut graf” [le « nut » est pour « nutshell » au sens de « résumé » et « graph » pour paragraphe], c'est-à-dire un paragraphe qui explique au lecteur le contexte d'une histoire, que le journaliste développe ensuite dans son article. Il est utilisé en partie pour aider les lecteurs à comprendre pourquoi l'histoire est importante ». Le média indique que le passage visé par le plaignant « fait référence au documentariste, à la société des étudiants de McGill et à d'autres éléments qui apparaissent plus loin dans l'article. Il est certain que [la] journaliste a effectué des recherches approfondies qui lui ont permis d'écrire ce paragraphe en toute confiance (par exemple, la vaste couverture antérieure en Ontario), dont une grande partie n'a pas été citée par son nom ou sa source dans l'article, ce qui est également une pratique courante ».
Le terme « certains » (« some ») peut désigner une ou plusieurs personnes, donc une ou plusieurs sources dans le cas présent. Selon le dictionnaire Merriam-Webster, ce mot qualifie « un élément ou une chose inconnue, indéterminée ou non spécifiée » (« being an unknown, undetermined, or unspecified unit or thing »). Comme le souligne le média dans sa réplique, le mot « certains » (« some ») se situe dans l’introduction de l’article, qui vise à donner le ton au texte et à accrocher les lecteurs. Par la suite, la journaliste cite plusieurs sources au fil du texte. Il s’agit de George Hutcheson, de l’Association étudiante de l’Université McGill (SSMU), du groupe Students for Western Civilisation, de l’administration de l’Université McGill et de Daniel Lombroso.
À la lecture de l’article, on comprend que « certains qui l’ont suivi » (« some who have followed it ») fait notamment référence au documentariste Daniel Lombroso, qui partage ses connaissances et son point de vue sur George Hutcheson et SWC. La journaliste introduit Daniel Lombroso en expliquant qu’il a passé du temps avec George Hutcheson dans le cadre d’un documentaire qu’il réalisait sur Lauren Southern, une figure du mouvement de l’extrême droite qui fréquentait George Hutcheson à l’époque. Daniel Lombroso souligne que George Hutcheson « n'était pas lui-même étudiant, et il y avait peu de preuves à l'époque que son groupe d'étudiants était un réseau occupé » (« he wasn’t himself a student, and there was little evidence at the time that his student group was a busy network »). Selon lui, il ne faut pas « sous-estimer » SWC, car George Hutcheson « sait ce qu’il fait » et va « essentiellement utiliser [SWC] pour radicaliser des étudiants ».
Dans un dossier similaire, le D2015-12-077(2) (la décision a été maintenue en appel), le grief de source non identifiée a été rejeté, car les téléspectateurs étaient en mesure d’établir la source de l’information. Alors que le plaignant considérait que des informations présentées dans le reportage provenaient d’une source non identifiée, le Conseil a fait valoir « que les téléspectateurs étaient en mesure d’établir la source de l’information grâce aux passages suivants du reportage :
“Et bien sachez que Santé Canada s’est fondé uniquement sur cette étude pour homologuer le laser Zerona.” et “Fidèle à son habitude, Santé Canada a refusé de nous accorder une entrevue à la caméra.” Cette dernière affirmation ne signifie pas que l’organisme a refusé de fournir de l’information au journaliste. La transcription de la conversation entre le journaliste et le porte-parole de Santé Canada démontre d’ailleurs le contraire ».
De la même manière, dans le cas présent, la journaliste identifie « some » plus loin dans l’article en citant l’ensemble de ses sources. Le public est en mesure d’en évaluer la valeur.
Grief 3 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 d) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a présenté une juste pondération du point de vue des parties en présence.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’équilibre, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 d) du Guide.
Analyse
Le plaignant soutient que la journaliste a manqué d’équilibre en ne lui ayant pas permis de répondre aux allégations de Daniel Lombroso : « Ross a négligé l'équilibre dans ses reportages en se fiant excessivement sur les déclarations d'une source manifestement hostile : Daniel Lombroso du magazine américain The Atlantic. Lombroso n'a aucune connaissance de SWC à part une brève réunion que lui et moi avons eue en 2018, sur un sujet qui n'avait rien à voir avec SWC [...] En plus de citer Lombroso sans recul critique et de ne faire aucune mention des accusations portées contre lui, Ross n'a pas obtenu mon impression sur Lombroso et sur la réunion qu'il a citée. » (« Ross showed a disregard for balance in her reporting by relying heavily on the statements of a patently hostile source : Daniel Lombroso of the US-based Atlantic magazine. Lombroso has no knowledge of SWC other than a brief meeting he and I had in 2018, in a capacity that had nothing to do with SWC [...] On top of citing Lombroso uncritically and making no mention of the accusations made against him, Ross failed to obtain my impression of Lombroso and the meeting he cited. »)
Dans sa réplique au Conseil, CTV News Montreal défend la crédibilité de Daniel Lombroso et indique qu’il est « un journaliste très respecté et une excellente source sur le mouvement nationaliste blanc, y compris le mouvement au Canada [...] En tant que source dans cet article, Lombroso avait l'avantage supplémentaire d'avoir personnellement rencontré George Hutcheson et d'avoir passé des mois avec sa petite amie de l'époque, Lauren Southern, et d'avoir observé le contexte social du mouvement [nationaliste blanc]. Il a été difficile pour tous les médias d'en savoir plus sur les Students for Western Civilisation et son mystérieux fondateur, mais Lombroso a été en mesure d'ajouter de nouvelles informations, certes minimes, mais intéressantes, sur l'identité de Hutcheson et le contexte dans lequel il évolue ». Le média soutient également que la journaliste « a écrit à Hutcheson le 8 décembre pour lui indiquer que CTV souhaitait mettre à jour l'article avec les nouvelles informations qu'il avait envoyées [...] et l'invitant à répondre à quelques questions supplémentaires. M. Hutcheson a répondu par un autre courriel hostile (répétant les mêmes affirmations que celles contenues dans sa plainte au Conseil de Presse, que nous estimons non fondées) et il n'a pas donné à CTV la permission de publier les informations supplémentaires susmentionnées qu'il avait fournies ».
Les parties en présence ont effectivement eu l’occasion de s’exprimer dans le cadre de cet article. Le point de vue de George Hutcheson est présenté dès le début du texte :
« L'organisation, appelée Étudiants pour la civilisation occidentale [SWC], est dirigée par le Torontois George Hutcheson, qui a travaillé avec de nombreuses personnalités des médias d'extrême droite au Canada et qui est récemment apparu dans un documentaire sur le nationalisme blanc. Hutcheson a déclaré à CTV News que le groupe “cherche à affirmer les droits, les intérêts et l'identité des Canadiens européens” en “luttant, entre autres, contre le discours de haine antiblanc” et en “préservant et améliorant notre patrimoine culturel”. Il a déclaré que l'organisation est en train de faire une demande de statut officiel à McGill en tant que groupe étudiant, mais la société étudiante qui approuve de telles demandes a déclaré qu'elle n'en avait pas reçu de sa part et qu'elle n'envisageait pas non plus de lui en octroyer un le cas échéant. » (« The organization, called Students for Western Civilization, is run by Toronto man George Hutcheson, who’s worked with many figures in Canada’s far-right media and who recently appeared in a documentary on white nationalism. Hutcheson told CTV News that the group “seeks to affirm the rights, interests and identity of European-Canadians” by, among other things, “fighting anti-white hate speech” and “preserving and enhancing our cultural heritage.” He said the organization is applying for official status at McGill as a student group, but the student society that approves such requests said it hasn’t received one from him, nor is it considering authorizing one if it does. »)
Ensuite, la journaliste rapporte une annonce faite par SWC sur son blogue. Plus loin, elle cite des extraits de l’échange de courriels qu’elle a eu avec George Hutcheson. Bien que le plaignant aurait souhaité répondre à Daniel Lombroso, qui est cité à la fin de l’article, la journaliste n’était pas déontologiquement tenue de le faire réagir à ces propos de Daniel Lombroso.
De plus, comme le souligne le média dans sa réplique, le plaignant a eu l’occasion de donner son point de vue une seconde fois, mais il a refusé que la journaliste publie les nouvelles informations qu’il lui avait fournies.
L’obligation déontologique d’équilibre ne se mesure pas au nombre de mots ou de lignes accordées à un point de vue ni à un emplacement spécifique. L’essentiel est de présenter au public les différentes perspectives sur un sujet, s’il y en a, de façon pondérée, afin qu’il puisse en tirer ses propres conclusions. Par exemple, dans le dossier D2018-04-037, le Conseil a rejeté un grief de manque d’équilibre, en faisant valoir que l’équilibre ne s’évalue pas sur la base du temps alloué à chacune des parties. La plaignante considérait que « le temps accordé lors de la diffusion de l’entrevue » du président-directeur général du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue n’avait « pas permis de bien démontrer les deux côtés de la médaille ». Or bien que les arguments de la défense aient été résumés, ils avaient été pris en compte par le journaliste. Le principe d’équilibre a été respecté dans le reportage mis en cause, en ce sens qu’il y avait une juste pondération des points de vue des parties en présence. De la même manière, dans le cas présent, la journaliste a fait preuve d’équilibre dans son traitement de l’information, puisque le point de vue de George Hutcheson a été présenté dans l’article.
Grief 4 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a omis une information essentielle à la compréhension du sujet en n’indiquant pas l’accusation qui pèserait sur Daniel Lombroso, comme le soutient le plaignant.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information incomplète.
Analyse
George Hutcheson déplore que la journaliste n’ait pas fait mention de l’« accusation » de « chantage et fausses déclarations » qui pèse, selon lui, sur Daniel Lombroso : « Lombroso n'a aucune connaissance de SWC à part une brève réunion que lui et moi avons eue en 2018, qui n'avait rien à voir avec SWC. En outre, cette réunion, qui avait pour but de dresser le portrait de quelqu'un d'autre, a depuis mené à une accusation de chantage et de fausses déclarations par son sujet principal. »
(« Lombroso has no knowledge of SWC other than a brief meeting he and I had in 2018, in a capacity that had nothing to do with SWC. Further, that meeting, which involved a personal profile of someone else, has since led to an accusation of blackmail and misrepresentation by his primary subject. »)
Pour CTV News Montreal, « ces allégations ne sont pas substantielles et ne méritent pas d'être mentionnées dans notre article ».
Le plaignant réfère à des « accusations » qui auraient eu lieu à la suite de la publication d’un article de Daniel Lombroso qui porte sur Lauren Southern. Elle était la copine de George Hutcheson en 2018, au moment où M. Lombroso la suivait afin d’écrire un article à son sujet. Ce papier, intitulé « Why the alt-right’s most famous woman disappeared » (« Pourquoi la femme la plus célèbre de la droite alternative a disparu »), est publié sur le site web de The Atlantic le 16 octobre 2020. Pour soutenir son argumentaire, George Hutcheson renvoie à un texte publié par Lauren Southern sur son blogue, et qui n’est plus en ligne, dans lequel elle accusait Daniel Lombroso de chantage et de fausses déclarations. Il s’appuie également sur une vidéo diffusée le 21 octobre 2020, dans laquelle la youtubeuse Daisy Cousens reprend essentiellement les propos de Lauren Southern pour décrier le travail de Daniel Lombroso.
Or le plaignant n’apporte pas de preuve d’accusation formelle de « chantage et fausses déclarations » (« blackmail and misrepresentation ») contre Daniel Lombroso. De plus, il n’explique pas en quoi l’information qu’il aurait souhaitée, même s’il elle était prouvée, aurait été essentielle à la compréhension du sujet.
Pour que le Conseil puisse analyser un grief d’information incomplète, il doit avoir la preuve que l’information souhaitée par le plaignant soit véridique. Par exemple, dans le dossier D2020-05-076 - qui concerne un grief d’information inexacte, mais où la même logique s’applique au cas présent - le grief a été rejeté parce que le plaignant ne fournissait pas la preuve que l’information ciblée était inexacte. Il affirmait que, contrairement à ce qu’avance l’article, les 32 résidents ayant contracté le virus [n’étaient] pas tous rétablis : « Ma grand-mère fait partie des 32 résidents touchés et elle y est décédée. Il semblerait qu’il y ait au moins trois résidents décédés (à la suite de) la COVID-19 à cet endroit. » Sans élément d’information permettant de juger l’inexactitude, le Conseil n’était pas en mesure de déterminer si la grand-mère du plaignant faisait bel et bien partie des 32 personnes testées positives à la COVID-19 et dont la résidence a annoncé le rétablissement.
De plus, les décisions antérieures du Conseil montrent qu’il revient à la partie plaignante d’expliquer en quoi l’information souhaitée est essentielle à la compréhension du sujet. Par exemple, dans le dossier D2020-07-093, le grief d’information incomplète a été rejeté parce que le plaignant ne démontrait pas le caractère indispensable de l’information qu’il aurait souhaité voir dans le reportage. Le plaignant soutenait que « s’il y avait un manque d’équipement, la responsabilité aurait dû être attribuée au CISSSMO ». Le plaignant ne précisait pas en quoi le fait que le CISSSMO soit responsable de la situation à la Résidence Académie aurait changé la compréhension du sujet.
L’information essentielle était qu’il manquait de matériel de protection dans les résidences Académie et Bellerive et que les mesures sanitaires y étaient mal appliquées, non pas de savoir qui était responsable de ces manquements.
Dans le cas présent, le plaignant n’apporte pas de preuve officielle de l’accusation qu’il avance et n’explique pas en quoi cette information, si elle était avérée, aurait été essentielle à la compréhension du sujet.
Grief 5 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a fait preuve de discrimination envers les Blancs en citant les propos de Daniel Lombroso dans les passages suivants :
- « Tel que son documentaire l'explore, l'idée qu'être blanc est en soi une culture ou même une ethnie est une invention, a déclaré Lombroso » (« As his documentary examines, the idea that being white is in itself a culture or even an ethnicity is an invention, Lombroso said »);
- « S'il voulait créer un club de culture allemande ou un club de culture française, personne ne l'arrêterait. Il peut faire ça », a déclaré [Lombroso] » (« “If he wanted to start a German culture club or a French culture club, no one would stop him. He can do that,” [Lombroso] said »);
- « “L'idée de la blancheur comme... une ethnie est quelque chose qui n'a jamais existé dans l'histoire et qui est apparue de nos jours comme un moyen de préserver le pouvoir blanc aux États-Unis et au Canada” » (« “The idea of whiteness as... an ethnicity is something that's never existed in history and has risen now as a way to preserve white power in the U.S. and Canada” »).
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de discrimination, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 19 (1) du Guide.
Analyse
Le plaignant soutient que les propos de Daniel Lombroso rapportés par la journaliste sont discriminatoires envers les Blancs : « Ma perception que les préjugés raciaux ou politiques sont un facteur dans le reportage de [Selena] Ross est également cohérente avec son utilisation abondante d'une source discriminatoire sur le plan racial.
Le parti pris racial de [Daniel] Lombroso est démontré dans un passage de l'article, qui tente de nier la légitimité et l'existence de l'identité blanche » (« My perception that racial or political bias is a factor in Ross’s reporting is also consistent with her heavy use of a racially discriminatory source. Lombroso’s racial bias is demonstrated in passage from the article, which attempts to negate the legitimacy and existence of white identity »).
CTV News Montreal soutient que « comme c'est son devoir de journaliste, [Selena Ross] a rapporté les opinions d'autres personnes sur le sujet, et les citations représentent uniquement l'opinion de M. Lombroso. La question de savoir si le terme “blanc” en soi est une ethnie est, en fait, une question complexe et n'était pas destinée à être explorée en profondeur dans cet article [...] En fait, Mme Ross s'est efforcée de choisir des citations nuancées de M. Lombroso afin de donner aux lecteurs une introduction extrêmement brève à ce même débat. Loin d'être une simple condamnation, les citations de M. Lombroso ont permis aux lecteurs de commencer à explorer ces questions. Souligner l'existence d'un débat est un constat, et n'est pas discriminatoire ».
Pour qu’il y ait discrimination au sens déontologique, il faut des termes dans le reportage qui tendent à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés, sur la base d’un motif discriminatoire. Le plaignant déplore que la journaliste cite une source, Daniel Lombroso, qu’il juge raciste envers les Blancs. Toutefois, il n’explique pas en quoi ses propos sont discriminatoires. George Hutcheson ne précise pas quels termes employés suscitent ou attisent la haine et le mépris, encouragent la violence ou entretiennent les préjugés envers les Blancs.
Par ailleurs, Daniel Lombroso, qui détient une expertise sur le mouvement nationaliste blanc, partage son opinion sur la « culture blanche » sans faire preuve de discrimination.
Dans un dossier similaire, le D2019-04-061, le grief de discrimination a été rejeté, car le plaignant estimait qu’il y avait des préjugés, mais ne ciblait pas lesquels. Pour ce dernier, les propos de la chroniqueuse « déshumanis[aient] [...] et exacerb[aient] la violence et les préjugés ». Il a ajouté qu’elle faisait « même la promotion de la violence, en se prononçant contre l'incarcération des "militants" mohawks après la crise d'Oka ». Le plaignant n’indiquait pas comment les termes de la chroniqueuse encourageaient la violence et ne ciblait pas le préjugé qui serait entretenu.
Dans le cas présent, bien que le plaignant identifie un motif discriminatoire (la couleur), il ne précise pas quels préjugés seraient entretenus envers les Blancs dans les citations de Daniel Lombroso ni en quoi ces propos alimenteraient les préjugés. La journaliste n’a pas fait preuve de discrimination en citant les propos de Daniel Lombroso, qui ne comprennent aucun termes qui tendent à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés envers les Blancs.
Grief 6 : absence de correctif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a corrigé avec diligence ses manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’absence de correctif, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 27.1 du Guide.
Analyse
Le plaignant soutient qu’il a demandé à la journaliste d’apporter des correctifs à son texte et lui reproche de ne pas les avoir effectués.
Considérant qu’aucun manquement déontologique n’a été retenu dans ce dossier, le média n’avait pas à apporter de correctif à l’article.
Grief non traité : diffamation
Le plaignant déplore de la diffamation, un grief que le Conseil ne traite pas. La diffamation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire (article 13.03 du Règlement 2 du Conseil de presse).
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de George Hutcheson visant l’article « A “white students’ union” wants to set up a chapter at McGill University » de la journaliste Selena Ross, publié par CTV News Montreal. Les griefs d’information inexacte, de manque d’identification des sources, de manque d’équilibre, d’information incomplète, de discrimination et d’absence de correctif ont été rejetés.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery
Représentants des journalistes :
Denis Couture
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier