Avis du Conseil au Ministre de la Justice du Québec concernant le huis-clos des audiences des tribunaux en matière familiale (Extrait du Rapport annuel 1981-1982)

Monsieur le Ministre,

Le Conseil de presse du Québec, dont l’objectif fondamental est d’assurer le droit du public à l’information et de protéger la liberté de la presse au Québec, croit devoir attirer votre attention sur l’une des conséquences non souhaitable pour ce droit et cette liberté de la modification proposée par le projet de loi 18 :  » Loi assurant l’application de la réforme du droit de la famille et modifiant le code de procédure civile « , à l’article 13 du code de procédure civile, concernant le huis clos des audiences des tribunaux en matière familiale.

Le Conseil estime en effet que si cette modification était adoptée, elle rendrait inopérant le principe fondamental de la publicité du procès sans que pour autant elle n’assure nécessairement une meilleure protection de la vie privée des personnes.

Le Conseil reconnaît évidemment qu’étant donné le caractère privé et souvent très délicat des causes familiales, une grande discrétion et une grande circonspection s’imposent. Il comprend aussi que la vie privée des personnes doive être protégée.

Le Conseil estime cependant que l’administration de la justice étant du domaine public, il importe au plus haut point que le principe de la publicité du procès soit sauvegardé et cela même en matière familiale.

Certes, le Conseil convient de la nécessité pour les tribunaux de tenir leurs audiences en l’absence du public en certaines circonstances, lorsque le commandent les intérêts supérieurs de la justice. Toutefois, ces circonstances, qui doivent demeurer exceptionnelles, ne requièrent que très rarement que ces audiences soient tenues en l’absence de la presse dont c’est la tâche de renseigner la population sur les questions d’intérêt public.

C’est pourquoi, plutôt que d’imposer le huis clos des audiences des tribunaux en matière familiale, en infirmant ainsi d’entrée de jeu le principe de la publicité du procès, le projet de loi assurerait mieux, selon le Conseil, la protection de la vie privée des personnes en sauvegardant les avantages d’une justice ouverte et le plein respect du droit du public à l’information s’il établissait une distinction entre les conditions d’accès de la presse et du public en général à ces audiences; distinction que votre gouvernement a par ailleurs déjà faite, à la suggestion du Conseil, dans sa Loi sur la protection de la jeunesse.

Il semble en effet au Conseil qu’ainsi la publicité du procès serait pleinement respectée puisqu’un juge aurait la possibilité, malgré l’existence du huis clos, d’inviter la presse à demeurer dans l’enceinte du tribunal afin qu’elle puisse rendre compte au public de ce qui s’y passe en lui permettant d’exercer aussi son droit de regard sur l’administration de la justice.

Le Conseil juge d’autant plus importante cette distinction que l’article 815.5 du projet de loi contient des interdictions qui se s’adressent manifestement qu’à la presse.

D’une part, le Conseil est certes d’accord avec le souci qui engage votre ministère à protéger la vie privée des personnes. Il a déjà eu l’occasion, d’ailleurs, d’exprimer un blâme sévère à l’endroit de la presse, devant le mépris qu’elle avait pu afficher pour les motifs qui, au Québec, comme en beaucoup d’autres endroits respectueux de la personne, ont incité les pouvoirs publics et judiciaires à adopter des mesures visant le respect de leur vie privée. Il a aussi invité la presse, en quelques circonstances, à s’astreindre d’elle-même à faire les distinctions qui s’imposent entre ce qui est d’intérêt public et ce qui relève de la vie privée des personnes et cela, même en l’absence de l’intervention de l’État ou des tribunaux, en cette matière.

D’autre part, parce que le projet de loi ne fait pas la distinction en question, le Conseil s’interroge sur l’efficacité de cet article, puisque même s’il est fait défense de publier quelque information, la présence du public, surtout dans les milieux où tous les gens se connaissent, rend illusoire, le désir de protéger les personnes. Le Conseil est donc d’avis que si la distinction qu’il propose ressortait de la loi, reconnaissant à la presse la possibilité d’être présente aux audiences du tribunal dans la plupart des cas, même lorsque le public n’y est pas admis, la vie privée des personnes de même que le droit du public à l’information seraient plus adéquatement sauvegardés.