Commentaires du Conseil de presse sur le Code d’indépendance journalistique du CCNR

COMMENTAIRES DU CONSEIL DE PRESSE DU QUÉBEC DANS LE CADRE DE L’APPEL AUX OBSERVATIONS SUR LE PROJET DE CODE D’INDÉPENDANCE JOURNALISTIQUE DU CONSEIL CANADIEN DES NORMES DE LA RADIOTÉLÉVISIO

(AVIS PUBLIC DE RADIODIFFUSION CRTC 2007-41)

1.    Introduction

Le Conseil de presse du Québec

1.    Le Conseil de presse est un organisme à but non lucratif qui œuvre depuis plus de trente ans pour la protection de la liberté de presse et le droit du public à une information de qualité. En ce sens, il agit comme tribunal d’honneur de la presse québécoise tant écrite qu’électronique, il émet des avis sur diverses questions ou pratiques en lien avec sa mission.

2.    Le CPQ est un organisme tripartite et ses comités ou instances décisionnelles respectent ce principe. Le conseil d’administration du CPQ est composé de 22 personnes dont sept représentants provenant des entreprises de presse, sept journalistes choisis par l’assemblée générale de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et sept représentants du public. Le 22e membre est le président, représentant du public. Cette composition tripartite permet au Conseil de presse d’avoir une vision objective et concrète du monde des médias d’information, il constitue donc une tribune privilégiée favorisant le dialogue entre les médias, les journalistes et le public.

3.    Depuis sa fondation, en 1973, le CPQ a été appelé à se pencher, à titre de tribunal d’honneur, sur plus de 2 000 plaintes. Au cours des dernières années, le CPQ a traité plus d’une centaine de plaintes par année sans compter plusieurs centaines de demandes de toutes sortes provenant en majorité du grand public. La préparation de mémoires, d’avis, de communiqués, le soutien à des groupes de travail sur diverses problématiques font aussi partie du rôle d’acteur public du CPQ. Celui-ci s’appuie sur des membres bénévoles qui lui ont donné plus de 60 000 heures de travail depuis sa création.  Les décisions rendues par le CPQ, de même que l’ensemble des avis publics qu’il a publiés, font maintenant jurisprudence en matière d’éthique de l’information.

4.    Le Conseil de presse agit, en somme, comme protecteur du citoyen en matière d’information et le service gratuit qu’il dispense à cet égard à la population possède un caractère fondamentalement public.

Contexte de l’intervention du Conseil de presse

5.    Compte tenu de sa mission de protection de la liberté de la presse et du droit du public à une information de qualité, le Conseil de presse s’intéresse de près au projet de Code d’indépendance journalistique du CCNR. D’abord, la prise en charge de normes d’indépendance par un organisme d’autorégulation est souhaitable dans la mesure où cet organisme est crédible et que le mécanisme est transparent. Nous croyons que c’est le cas du CCNR.

6.    Le CPQ est conscient que dans une économie de marché, la concentration de la propriété est légitime et, dans certains cas peut même être souhaitable, dans la mesure où elle permet parfois d’assurer la survie de stations de télévision ou de radio tant dans les grands centres qu’en région.

7.    Une fois ce principe clairement affirmé, la concentration peut toutefois affecter la diversité et la pluralité des voix sur les ondes. Dans une économie de marché, il est aussi légitime pour un État de placer certaines limites pour éviter les effets pervers du marché sur des valeurs démocratiques fondamentales.

8.    Comme nous le soulignions en 2001 dans un mémoire déposé à la Commission de la culture de l’Assemblée nationale : « (…) De la même manière, le produit journalistique qu’est l’information a une dimension singulière. On ne peut enfermer la définition de l’information en ne la considérant que comme une simple marchandise commerciale. L’information produite par les médias a un caractère de service public, dans la mesure où elle contribue à renseigner le citoyen sur tous les événements qui le concernent et à le rendre ainsi capable de porter un jugement sur la société qui l’entoure. Ce n’est ni l’entreprise, ni le producteur ou le transmetteur d’informations qui donne aux moyens d’information ce statut de service à caractère public fondamental, mais le citoyen consommateur d’information ».

9.    Dans son guide déontologique, le CPQ s’est prononcé sur le phénomène de la concentration accrue de la propriété de la presse :

10.    « Le Conseil estime que la concentration de la propriété des entreprises de presse, si elle peut comporter des avantages et assurer la survie de certains  médias, elle peut également représenter un potentiel de risques pour la pérennité du droit du public à une information pluraliste et diversifiée.

11.    Toute légitime qu’elle soit, la liberté d’entreprise, qui répond à une logique commerciale et économique, ne doit pas être confondue avec la liberté de la presse. Cette dernière se situe dans le prolongement des libertés d’expression et d’opinion et constitue l’un des fondements de toute société démocratique et pluraliste. Le rôle imparti à la presse dans notre société relève d’une fonction sociale et comporte un caractère de service public envers les citoyens.

12.    Le Conseil de presse réitère l’importance de la sauvegarde de la liberté de la presse, du droit du public à une information pluraliste et de la libre circulation des idées et des informations dans une société démocratique.

13.    Cette concentration de la propriété de la presse québécoise est porteuse d’un certain nombre d’effets potentiellement pervers, tels que :
•    Risque d’uniformisation et de standardisation du contenu des médias d’information, au détriment de l’expression d’un large éventail d’idées et de leur libre circulation;

•    monopolisation du marché publicitaire mettant en péril la survie d’entreprises de presse indépendantes ou de médias fragilisés;

•    subordination de l’information aux impératifs économiques de l’entreprise, d’où risque de censure et d’autocensure;

•    perte d’autonomie éditoriale des salles de rédaction et des rédacteurs en chefs. »
14.    Ce constat est partagé par plusieurs experts et acteurs du milieu journalistique et médiatique au Québec et ailleurs.

15.    Dans un monde où les sources d’informations se multiplient, la crédibilité et la qualité des médias traditionnels et bien établis n’ont jamais été aussi importantes. Dans ce contexte, la notion du arms length, c’est-à-dire du maintien d’une  distance nécessaire à établir entre les propriétaires et les artisans de la nouvelle ainsi qu’entre ces derniers qui oeuvrent dans des médias différents mais appartenant à la même entreprise entre les propriétaires des médias et les salles de rédaction est cruciale.

16.    Ce nombre croissant de sources d’informations n’entraîne pas nécessairement la diversité des voix, l’information locale, régionale et nationale est encore couverte par un nombre limité de médias d’information crédibles et solides dont la propriété est fortement concentrée.

17.    Dans sa pratique quotidienne, le Conseil de presse reçoit les plaintes et les commentaires de citoyens et d’organismes sur les effets de la concentration et de la convergence, que ce soit chez les radiodiffuseurs et télédiffuseurs privés que chez Radio-Canada et les journaux du groupe Gesca. Il est donc à même de constater de première main les inquiétudes, parfois justifiées, du public. Le CPQ continuera de traiter les plaintes touchant l’indépendance journalistique dans le cadre de sa mission.

18.    C’est dans ce contexte que le Conseil de presse du Québec souhaite intervenir auprès du CRTC au sujet des garanties offertes par le projet de Code d’indépendance journalistique du CCNR qui devait faire suite « à des préoccupations soulevées par des intervenants au sujet de la propriété mixte de médias et à une discussion approfondie des questions sur la diversité des sources de nouvelles dans les marchés desservis par ces titulaires » .

Commentaires d’ordre général

19.    Dans les cas des décisions 2001-384 et 2001-385 (TVA), 2001-457 (CTV) et 2001-458 (Global), le CRTC a décidé :

20.    « (…) si le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR) adoptait un code d’autoréglementation sur la propriété mixte des médias visant l’ensemble de l’industrie et que ce code était approuvé par le Conseil, il serait prêt à envisager la suspension des conditions de licence indiquées ci-dessus en ce qui concerne CTV, Global et TVA ».

21.    Le CPQ estime que le CRTC, bien qu’il doive favoriser une part d’autoréglementation, ne doit pas remettre au CCNR le suivi exclusif de la conformité avec le code. Nous croyons que ce suivi doit être effectué devant le CRTC au même titre que le suivi des conditions de licence (voir commentaires du Conseil de presse sur la diversité des voix – avis public 2007-5). En effet, la garantie de la diversité et du pluralisme des voix sur les ondes québécoises et canadiennes est trop importante pour que le CRTC en cède la conformité ultime à un organisme, tout-à-fait légitime, mais qui ne revêt pas le même niveau d’imputabilité publique.

22.    Le CPQ estime que le projet de Code représente un outil intéressant qui témoigne de l’intérêt bien réel des entreprises de presse d’assurer, dans un monde où les médias sont de plus en concentrés et où les nouvelles technologies prennent de plus en plus de place sur l’échiquier de l’information, l’indépendance journalistique. En somme, le projet de Code prévoit des balises solides pour protéger la diversité des voix sur les ondes et, par conséquent dans plusieurs cas, dans la presse écrite.

23.    Nous tenons toutefois à souligner certains points sur lesquels nous nous interrogeons ou que nous jugeons plus faibles dans le contexte de l’importance grandissante de la question du pluralisme et de la diversité des voix au Québec et au Canada.

Introduction du Code

24.    Le CPQ suggère que l’introduction du Code réfère de façon générale aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Cette référence contribuerait à préciser le contexte dans lequel la diversité des voix doit être préservée et l’importance qu’elle revêt pour les entreprises qui adhèrent au Code.

25.    Les grands principes d’indépendance et de séparation des services de nouvelles sont affirmés et appuyés par les entreprises de radiodiffusion soit :

•    « (…)l’emploi efficace des ressources de collecte d’information afin de garantir aux Canadiens un accès à la diversité et à la qualité de l’information recueillie et transmise par les journalistes de la radio et de la télévision.

•    L’existence de voix éditoriales et de couverture de nouvelles diversifiées et distinctes tant dans leurs services de radiodiffusion que dans leurs journaux;

•    L’indépendance et la séparation de la gestion des services de nouvelles de leurs services de radiodiffusion et de journaux en propriété commune ».

28. Le troisième principe doit, selon le CPQ, prévoir non seulement l’indépendance et la séparation de la gestion des services de nouvelles, mais aussi celles de la production des nouvelles. En effet, non seulement les rédacteurs en chefs ou les directeurs de l’information, donc les gestionnaires des services, mais aussi les journalistes et les autres artisans de la nouvelle, doivent préserver leur indépendance. Ils doivent l’être à la fois à l’égard des dirigeants des entreprises et de ceux des autres médias du même propriétaire, ils doivent agir de façon indépendante de pressions, de carcans ou de lignes éditoriales communes entre les médias propriété d’une même entreprise à toutes les étapes de production dont celle de la cueillette de l’information. Dans cette perspective, cet énoncé de principe doit être bonifié.

Principe fondamental

29. Le CPQ se réjouit du passage du Code dans lequel les radiodiffuseurs et les télédiffuseurs s’engagent à respecter « non seulement la lettre mais aussi l’esprit de la politique qui y est énoncée, telle qu’elle sera interprétée par le CCNR». L’adhésion à ce principe donne une certaine garantie que les entreprises de presse n’interpréteront pas ce Code de façon trop légaliste et que celui-ci recevra ce même traitement de la part du CCNR.

30. Selon le CPQ, cette approche est la seule qui permettra au Code de s’adapter aux diverses situations, qui pourront être parfois inusités et évoluer avec les nouvelles plateformes de diffusion de l’information.

Principes et pratiques

31. Comme le CRTC l’a souligné dans l’Avis public 2007-41, on constate « l’absence dans le projet de dispositions reflétant les conditions de licence imposées à TVA relativement à la séparation des structures de collecte de l’information ». Le Conseil de presse déplore aussi cette omission.

32. Il est clair aux yeux du CPQ que c’est l’ensemble des personnes qui ont un rôle dans le traitement du contenu d’une nouvelle qui doivent rester séparés de leurs collègues des autres médias du même propriétaire ainsi que de l’influence de ce propriétaire dans son travail quotidien.

33. Si le CPQ peut convenir que le travail d’enquête commun de deux ou plusieurs journalistes est susceptible de permettre un travail plus complet, plus rapide et un partage des coûts entre deux entreprises, nous croyons que les avantages ne surpassent pas encore les inconvénients qui peuvent survenir de la traduction d’une telle pratique qui peut demeurer exceptionnelle à une façon de faire quotidienne. N’ayant aucune garantie, le CPQ estime qu’il faut que le CCNR et le CRTC restent prudents à cet égard. La pluralité des voix est tributaire de la pluralité des enquêtes, des démarches journalistiques, des questions, etc.

34. S’il est parfaitement légitime que le propriétaire d’un média impose une ligne éditoriale à ses éditorialistes, là doit s’arrêter son influence sur l’information produite par les journalistes, chroniqueurs ou commentateurs employés par ses entreprises. De même, ceux-ci doivent se sentir libre de couvrir les événements et l’actualité, de mener des enquêtes et de donner des points de vues conformément à leur propre jugement professionnel et aux règles éthique et déontologiques reconnues.

35. Le contraire provoquerait un risque hautement accru et même prévisible d’uniformisation des contenus et de perte d’autonomie éditoriale des salles de rédaction. D’où la notion du arms length. C’est à ce titre que le CPQ insiste pour que le CCNR inclus dans son projet de Code d’indépendance journalistique la séparation et l’indépendance des processus de collecte d’information.

36. Les dispositions du projet de Code relatives à l’indépendance de la direction de l’information et celle des comités de rédaction sont complètes.

Plaintes

37. Le CPQ considère que le processus de traitement normal des plaintes du CCNR, reconnu par le CRTC, est la voie à suivre pour celles relatives à ce futur Code d’indépendance journalistique. Inutile de prévoir autre chose qui risquerait de compliquer le processus aux yeux du public, celui-ci devant rester accessible et ouvert.

38. Une seule interrogation demeure, y aurait-il lieu que les entreprises de presse soumises à ce code se dotent d’un comité aviseur ou de vigie? Il s’agirait d’un tout petit comité ad hoc auprès duquel les journalistes et les gestionnaires pourraient prendre conseil et éviter des situations concrètes au quotidien qui puisse les mettre en contradiction avec l’esprit du Code. Ce mécanisme très léger permettrait aussi d’éviter que certaines plaintes soient portées au CCNR.

39. Finalement, le CPQ tient à souligner que si le CCNR a son rôle à jouer dans ce nouveau processus qui serait mis en place, le CRTC doit demeurer l’ultime gardien de la diversité des voix dans le contexte de la concentration de la propriété des médias d’information.

40. Comme le CPQ l’expliquait dans ses commentaires sur la diversité des voix dans le cadre de l’avis 2007-5, il revient en bout de ligne aux entreprises et/ou au CCNR en leur nom, de faire une reddition de comptes publique de la conformité de leurs pratiques au Code d’indépendance journalistique ainsi qu’aux conditions générales de licence imposées par le CRTC. L’intention de ce dernier de retirer les conditions de licence aux entreprises concentrées en présence d’un Code adopté et géré par le CCNR est louable. Il est toutefois impératif que le CRTC soit ultimement imputable du suivi de la démarche du CCNR. Cette imputabilité doit revenir à un organisme public et repose sur l’article 3 (iv) de la Loi sur la radiodiffusion qui prévoit expressément que le CRTC doit se préoccuper de la diversité des voix au Canada.

Enquêtes et décisions du Comité

41. Le Conseil de presse salue l’inclusion du paragraphe suivant dans le projet de Code : « Aucun employé ne sera pénalisé sur le plan professionnel ou financier pour avoir répondu aux demandes du Comité, ou en raison du temps qu’il a consacré à satisfaire à de telles demandes. » Considérant que la notion d’indépendance est au cœur du processus du CCNR, il s’agit là d’une disposition indispensable à sa crédibilité.

Décisions du Comité

42. Le CPQ estime que la décision du Comité doit être rendue publique par le CCNR et par le radiodiffuseur ou télédiffuseur visé. Il s’agit d’un volet important pour le respect du principe de transparence. Ce principe doit être, selon nous, prévu expressément dans le Code.

Respect des décisions du CCNR

43. Le même commentaire s’applique à la publication des mesures que le média aura mis en place pour respecter la décision du CCNR.

2.    Conclusion

44. Bref, le projet de code est un grand pas en avant pour le maintien de l’indépendance journalistique et le Conseil de presse envisage positivement cette volonté affirmée des radiodiffuseurs et télédiffuseurs canadiens de maintenir cette indépendance et de poursuivre l’objectif du maintien de la diversité des voix.

45. Tel que mentionné précédemment, le CPQ considère que le Code d’indépendance devrait prévoir non seulement l’indépendance et la séparation de la gestion des services de nouvelles, mais aussi celles de la production des nouvelles.

46. En conclusion, le CPQ croit que les modifications proposées dans ce document ainsi que le maintien d’un mécanisme de suivi du CRTC contribuerait à donner des garanties nécessaires pour assurer le succès des mesures et leur crédibilité auprès de la population et des acteurs du monde des médias d’information.