Mémoire du Conseil de presse du Québec présenté à la Commission royale sur les quotidiens (Extrait du Rapport annuel 1980-1981)

C’est l’aspect du mandat confiant à la Commission royale sur les quotidiens le soin d’examiner les  » responsabilités de l’industrie des journaux envers le public  » qui retient surtout l’attention du Conseil de presse du Québec et l’incite à se présenter devant elle. L’examen de cet aspect fondamental aurait même eu avantage, selon le Conseil, à être élargi à l’ensemble des organes d’information et des responsables de la fonction d’informer.

Au-delà du problème de la concentration de la propriété des entreprises de presse, se pose en effet la question de fond de la responsabilité sociale de l’ensemble des organes d’information. Cette question se posait bien avant la constitution des monopoles de presse ou de l’intégration des moyens d’information puisque l’exploitation des moyens de communication est essentiellement un domaine d’intérêt public. Leur raison même d’exister est le public. C’est aussi ce dont on parle lorsqu’on évoque la notion relativement nouvelle de  » droit public à l’information « . Cette notion, comme équilibre de la notion de la  » liberté de la presse « , vient préciser les obligations et les responsabilités de la presse de même que les conditions du maintien de la liberté de l’information.

Certains considèrent que l’information est en état de crise ou à tout le moins qu’elle souffre d’un grand malaise. Les problèmes de l’information découlent des mutations qui se produisent dans une société. Ils tiennent autant à la structure et aux modes de propriété des entreprises qu’à l’état d’esprit et aux attitudes de la profession. Ils ne sont pas tous imputables à la seule concentration.

Le Conseil de presse du Québec a été créé il y aura bientôt huit ans. À l’instar des véritables conseils de presse existants, c’est un organisme privé et non gouvernemental, indépendant et essentiellement volontaire. Il est dû à l’initiative des propriétaires et des responsables de la direction des médias et des journalistes qui ont confié le soin aux associations qui les regroupent d’en désigner les membres. Ces associations sont l’Association canadienne de la radio et de la télévision de langue française (ACRTF), les Hebdos régionaux et les Quotidiens du Québec qui regroupent la plupart des organes d’information du secteur privé au Québec. La Société Radio-Canada et la Société de Radio-Télévision du Québec représentent le secteur public. Enfin, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec représente l’ensemble des journalistes du Québec.

Cette présence de l’ensemble des organes d’information et des journalistes confère à la représentativité du Conseil un caractère d’universalité que tous les conseils de presse n’ont pas et cela, malgré que des organes d’information importants ne participent pas directement à son action, parce qu’ils n’appartiennent pas à l’un ou l’autre de ces groupements. Le Conseil souhaite cependant parvenir à les intéresser à y exprimer leur voix et consacre des efforts à élargir leur représentation.

La variété des associations qui se retrouvent au sein du Conseil lui confère une compétence qui s’étend à la presse parlée, une caractéristique qu’il partage seulement avec le Conseil de presse de la Finlande.

Contrairement à ce qui s’est fait dans d’autres conseils de presse au monde, ses fondateurs ont voulu, dès le moment de la création du Conseil de presse du Québec, s’assurer de la présence du public. Et, pour conférer à ce dernier une influence réelle sur son fonctionnement et son orientation, ils ont attribué à sa représentation, non seulement une importance numérique plus grande (7 membres par rapport à 6 pour chacun des groupes des entreprises et des journalistes), mais ils ont même réservé la présidence et la vice-présidence du Conseil ainsi que la présidence du Comité des cas à des représentants de ce groupe. Le Conseil projette d’étendre la représentation du public en lui accordant un nombre de représentants égal à celui des deux autres groupes dès que ses moyens financiers le lui permettront. C’est dire le préjugé favorable qu’il cultive envers le public, celui-là même dont il a comme fonction de défendre le droit à l’information.

Le Conseil de presse du Québec est en effet avant tout un organisme qui, rassemblant tous les éléments concernés par l’information, a comme fonction de protéger le droit du public à une information libre, honnête et complète sous toutes ses formes et de sauvegarder la liberté de la presse contre toute atteinte susceptible d’entraver la presse dans l’exercice de sa fonction d’informer et de commenter les événements. Une presse libre est indissociable de l’existence et du respect du droit du public à l’information.

Le Conseil de presse du Québec n’est pas un tribunal. Il ne jouit d’aucun pouvoir législatif, judiciaire ou réglementaire. Son rôle est essentiellement celui d’un ombudsman de l’information soucieux de promouvoir les plus hautes normes de l’éthique professionnelle dans la recherche, le traitement et la diffusion de l’information. Il a aussi pour fonction de rendre la société québécoise de plus en plus consciente de ses propres responsabilités pour l’existence et le maintien de son droit à l’information.

Enfin, le Conseil se veut agir comme une sorte de conscience vivante ou comme un mécanisme d’autodiscipline que s’est donnée à elle-même la presse pour affirmer sa volonté de transmettre au public une information de qualité inspirée par un souci constant d’intégrité professionnelle et d’excellence. La seule autorité qui lui est conférée en est une d’ordre moral dont la reconnaissance et le respect reposent sur l’appui éclairé des médias et des professionnels de l’information ainsi que sur la confiance du public.

C’est fort de ces objectifs que le Conseil estime important d’apporter sa contribution à l’examen des questions qui retiennent l’attention de la Commission puisqu’il est essentiellement question ici d’une recherche commune des moyens propres à améliorer les conditions de l’information dans notre société.

Il apparaît évident au Conseil que la recherche des mécanismes les mieux susceptibles de préserver la qualité de l’information nécessite aussi une approche globale et qu’on ne peut traiter de la concentration des quotidiens sans la situer dans le tissu vivant de l’ensemble des moyens de communication.

Aussi importe-t-il, selon le Conseil, de resituer la problématique de la propriété par rapport à la libre circulation de l’information dans une perspective plus large, si l’on veut trouver les arrangements institutionnels les plus aptes à assurer la présence d’une presse vivante et vigilante.

Le phénomène de la concentration de la propriété des entreprises de presse et des moyens de diffusion de l’information nécessite des adaptations qui sont dictées par la fonction et la responsabilité d’informer. Ces ajustements ne peuvent donc se faire sans que l’on approfondisse les conditions de l’existence d’une presse de qualité de même que les responsabilités du milieu des professionnels de l’information. Une telle recherche doit aussi tenir compte des particularités régionales et culturelles d’une société.

Il est trop tard, selon le Conseil, pour définir le seuil critique des concentrations de la presse. Il ne s’agit pas non plus de s’attarder aux avantages et aux désavantages de la concentration. Tout ou à peu près, a été dit à ce sujet. Il faut délaisser un débat qui, pour s’être limité à des généralités, des a priori, des préjugés, des procès d’intention, des arguments qui, somme toute, ont peu à voir avec le droit du public à l’information pourtant sans cesse évoqué, n’a pas avancé.

L’important, selon le Conseil, est de rechercher les véritables contrepoids aux problèmes qui confrontent le monde de l’information, y inclus celui de la concentration. Cet examen doit se faire en fonction de l’essentiel : le droit du public à l’information invoqué, non pas à la défense d’intérêts constitués, mais en fonction des véritables droits, devoirs et obligations de la presse.

Très rares sont les études, selon le Conseil, qui ont su adopter et maintenir, dans leur approche du problème de la concentration, un degré d’objectivité et de sérénité suffisant. Il faut signaler à ce sujet l’étude effectuée par le comité d’experts du Conseil de l’Europe (Strasbourg 1974) et la Commission royale d’enquête sur les groupements des sociétés (Ottawa 1977). Ni le comité spécial du Sénat sur les moyens de communication de masse (Commission Davey – Ottawa 1970), ni le comité de travail sur la concentration de la propriété de la presse écrite (Québec 1979) n’ont pu faire la preuve, confirmant l’opinion généralement répandue, d’une relation de cause à effet entre la concentration de la propriété des médias et la qualité et la liberté de l’information.

Le Conseil estime qu’on ne saurait prendre prétexte du problème de la concentration pour conclure qu’employeurs et employés poursuivent des objectifs sociaux fondamentalement contradictoires, l’employeur étant accusé de sacrifier la qualité de l’information aux stricts impératifs de la rentabilité ou encore de contrôler les contenus de l’information, l’employé de vouloir s’emparer de la commande des médias ou de délaisser la poursuite de l’excellence au profit d’intérêts syndicaux.

La concentration de la propriété des entreprises de presse et des moyens d’information apparaît inévitable dans le cadre des règles du jeu économique des sociétés occidentales et, partant, de la nôtre. Mieux vaut reconnaître avec réalisme cette situation et trouver les contrepoids propres à pallier les inconvénients qu’elle comporte.

Cela nécessite bien sûr un changement profond dans les mentalités et les orientations de base, tant des responsables des organes d’information que des journalistes. Cela nécessite aussi un réaménagement des rapports qu’ils entretiennent et qui devraient témoigner d’un esprit de concertation plutôt que de confrontation sur les véritables impératifs de la fonction d’informer et la recherche de l’excellence dans le domaine de l’information.

La nature des entreprises de presse exige aussi de ces dernières qu’elles se convainquent elles-mêmes de leur devoir et de leur obligation d’affecter une partie importante de leurs revenus à l’amélioration de l’information et qu’elles consacrent leurs bénéfices pour se moderniser ou, encore, pour améliorer la qualité des services qu’elles ont pour fonction d’offrir au public.

C’est une des responsabilités des chaînes de s’assurer, en y mettant le prix, que leurs constituants locaux ou régionaux ne perdent pas leur caractère d’organes représentatifs des préoccupations et des intérêts des milieux qu’ils desservent. Le Conseil constate à ce sujet que, si la présence des chaînes a comme avantage de conférer aux populations locales et régionales les services dont jouissent les publics métropolitains, ces chaînes ne devraient cependant se refuser à aucun effort pour faire en sorte que les intérêts locaux ne soient négligés. Plus une presse reste près de la population qu’elle dessert, mieux elle a de chances de la bien servir et de maintenir la diversité de l’information et des points de vue.

Le Conseil estime aussi que les entreprises de presse devraient se persuader qu’elles auraient avantage, à l’instar des organismes publics de diffusion de l’information, à renseigner le public sur leurs structures, leur fonctionnement, leurs priorités de développement, leurs politiques de rédaction et de publicité. Loin d’y voir un accroc au droit de gestion ou à la liberté d’entreprise, le Conseil estime que, ce faisant, la presse s’imposerait à elle-même les règles de la transparence qu’elle exige des autres secteurs de l’activité économique. Service d’intérêt public, l’entreprise de presse a le devoir de permettre au public de vérifier si, dans l’exercice de sa fonction d’informer, elle sert au mieux les intérêts de ce dernier et son droit à l’information.

Le Conseil croit aussi que les propriétaires des organes d’information devraient se soucier d’informer suffisamment à l’avance les populations qu’ils desservent de leur intention de fermer leurs entreprises. Ainsi, les populations touchées auraient le temps de prendre la relève ou d’examiner des formules de rechange.

En 1973, à l’occasion de la vente du journal Le Soleil de Québec, le Conseil avait exprimé certaines inquiétudes devant les conséquences possiblement nocives de la concentration des entreprises de presse au Québec. Il avait formulé le vœu que le gouvernement du Québec crée ou confie à un organisme existant le soin de surveiller les transferts des titres de propriété des organes d’information et d’établir des règles pour prévenir les abus de la concentration financière dans le domaine de l’information.

Le Conseil croit toujours qu’un organe régulateur provincial, dont les modalités resteraient à définir, jouerait un rôle utile, ne serait-ce que pour empêcher que  » dans une même localité, ou même région constituant un marché particulier d’usagers, la propriété des organes d’information ne soit détenue par un seul propriétaire « . À défaut de la presse de décider d’elle-même de renseigner le public sur la structure de sa propriété, son fonctionnement financier et ses plans de développement, un tel organisme pourrait s’avérer efficace pour l’y obliger.

Le Conseil estime également qu’un tel organisme constituerait un stimulant important pour la création et la multiplication des sources d’information en assurant ainsi au citoyen des choix multiples entre les entreprises contrôlées par l’État et celles que voudraient mettre sur pied des regroupements communautaires et dont l’État pourrait encourager le développement.

Depuis huit ans qu’il existe, le Conseil, conformément à ce que ses fondateurs avaient pensé pour lui, tente d’amener la presse à une réflexion sur elle-même, à la convaincre de l’importance et de l’avantage qu’elle a à s’autodiscipliner. Déjà, la création d’un conseil de presse au Québec témoignait de la volonté de la presse de prendre en main ses propres destinées et de faire montre de sa préoccupation de donner au public la meilleure information qui soit. Depuis ce temps, la société québécoise a évolué et la presse a démontré un effort réel pour atteindre ces objectifs.

Il est certain aussi que l’amélioration de la qualité de l’information ne saura se faire sans que le public ne sorte d’une certaine indifférence et ne décide d’affirmer un intérêt soutenu pour les questions qui touchent à l’information.

Le Conseil a pu faire l’expérience concrète, depuis sa création, de l’intérêt du public pour une éthique de l’information. Plus de 380 plaintes, dont la majeure partie a été faite par le public, en fournissent une preuve éloquente. Cela n’est pas suffisant, toutefois, mais le Conseil ne renonce pas à la tâche, étant convaincu que, plus l’opinion publique sera exigeante envers ses médias, plus elle fera montre d’esprit critique vis-à-vis l’information qu’elle reçoit, plus les médias voudront se dépasser pour lui offrir une information frappée au coin de l’excellence. C’est aussi à cette fin que le Conseil, à la lumière de l’expérience accumulée depuis le début de sa création, espère que le document qu’il est à mettre au point pour préciser la notion de  » droit du public à l’information  » alimentera une réflexion sur les exigences de ce droit et les conditions de son exercice.

Enfin, s’il est une recommandation qu’il tient à faire devant la Commission, c’est que les entreprises de presse et les journalistes des autres provinces canadiennes, où ce genre d’organisme n’existe pas, créent des conseils de presse qui, parce qu’ils seront près des populations qu’ils desservent, répondront au mieux à leurs préoccupations propres en matière d’information.