Regard de la presse sur la grève étudiante

Le mouvement contre la hausse des droits de scolarité dure depuis plus de deux mois. Au lendemain de la première rencontre entre le gouvernement et les représentants des associations étudiantes, quel bilan peut-on dresser de la couverture médiatique du conflit? A-t-elle été équilibrée?

La question a été posée jeudi dernier par Mike Finnerty, animateur de l’émission montréalaise Daybreak sur CBC, dans le cadre de la table ronde d’ouverture du colloque Stratégies pour le journalisme.

D’entrée de jeu, Judy Rebick, écrivaine et fondatrice du magazine en ligne rabble.ca, soulignait que la grève des étudiants québécois avait reçu très peu de couverture dans le Canada anglais… jusqu’à ce qu’il y ait des gestes de violence. Une absence remarquée également par Kai Nagata, ancien de Radio-Canada aujourd’hui journaliste au magazine en ligne The Tyee et résidant de la Colombie-Britannique. Selon lui, le débat sur les frais de scolarité a été présenté comme un duel, alors que la question est beaucoup plus complexe. « Les médias présentent la grève comme un conflit générationnel, comme une guerre entre la droite et la gauche, ce qui polarise la réflexion. Il y aurait pourtant d’autres façons de présenter les choses. »

Dominique Payette, professeure et auteure du rapport du Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec, estime aussi que, dans les rédactions comme dans la rue, le débat a été extrêmement polarisé. Au final, le public a eu du mal à obtenir un portrait global et non partisan de la grève étudiante puisque pour y arriver, il aurait fallu consulter plusieurs médias. « Il est extrêmement difficile pour un citoyen de se construire une vision critique d’un débat polarisé parce qu’à moins d’être un journaliste, on lit généralement un seul média, celui qu’on aime », rappelle-t-elle.

Interrogé en marge de ce colloque, Jean-Jacques Stréliski, professeur associé à l’école des HEC de Montréal et consultant en formation et en stratégie créative, abondait dans le même sens : « Je trouve que les médias font un travail très partisan sur la question de la grève. Je ne vois pas beaucoup d’objectivité dans le traitement de certains médias. Tout de suite, on prend position plutôt que de laisser la liberté aux gens de se faire une opinion. » La préférence accordée au mot « boycott » — mis de l’avant par le gouvernement — dans la plupart des médias anglophones, reste, selon Judy Rebick, la preuve d’un certain biais.

Kai Nagata reproche en outre aux médias traditionnels d’avoir abandonné leur responsabilité de contribuer positivement au dialogue social. De même, pour Jean-Jacques Stréliski, « les médias ont un rôle à jouer dans ce type de conflit, car ils vont contribuer à créer une tension ou un équilibre entre les partis. »

Nouveaux médias vs médias traditionnels

Au lendemain de la grande manifestation du 22 mars, Jean-Jacques Stréliski donnait les étudiants victorieux dans la guerre de l’image. Jean François Dumas d’Influence Communication constatait aussi un changement dans le ton — plus favorable — de la couverture médiatique de la grève à partir du 22 mars. À quoi attribuer ce revirement?

Jean-Jacques Stréliski estime que les réseaux sociaux ont joué un grand rôle dans la médiatisation de la grève. En utilisant ces canaux alternatifs, les mouvements étudiants ont permis à leur message de se rendre jusque dans les médias de masse.

« Les étudiants ont court-circuité les médias traditionnels par le système des réseaux sociaux, que de grands groupes comme Quebecor contrôlent très mal. Les étudiants ont donc fait un travail admirable parce que malgré que le plus pesant des joueurs de l’information soit contre eux, ils sont arrivés à gagner la bataille de l’image et de l’information », conclut-il.