Grrr… Ne touchez pas à la démocratie!

Trois gars, une fille. Un designer graphique, un étudiant à la maîtrise en études littéraires, un étudiant à la maîtrise en études médiatiques et une ex-journaliste devenue fonctionnaire. Jean-Sébastien Gauthier, Louis-Daniel Godin, Guillaume Denault et Pascale Sévigny : quatre gardiens de la conscience médiatique, rassemblés sous la bannière des Chihuahuas de la démocratie, blogue citoyen où il est de mise de japper et de grogner.

Le Magazine du Conseil de presse a rencontré Guillaume et Pascale, dans un café de la rue Mont-Royal, le 11 octobre. Devant les caméras, les deux bacheliers en journalisme se sont livrés à l’exercice manifestement contre nature d’être personnellement le centre de l’attention.

Contradiction, pour des blogueurs qui font un clin d’oeil à l’audace d’Anonymus en coiffant leur publication Web de la maxime : « Nous mordons. Nous jappons. Journalistes, redoutez-nous (un peu) »?

La clé du mystère réside dans les textes d’opinion qu’ils publient depuis août dernier, toujours calibrés comme des pièces mécaniques, équilibrés, mesurés, qui se déploient prudemment, comme dans un champ miné.

Les Chihuahuas de la démocratie ne sont décidément pas des agitateurs ou des vedettes flamboyantes. L’image du petit bataillon de la raison s’impose. Armés du recul et d’un esprit d’analyse propre aux observateurs, ils font office d’humbles casques bleus médiatiques, postés entre la horde grandissante des commentateurs hostiles de la blogosphère et la classe journalistique, de plus en plus visée par des tirs groupés.

En somme, japper pour japper ne figure pas à leur charte.

 Reculer pour mieux voir

Guillaume, qui a d’abord prêté sa plume à un magazine de camping et de caravaning avant de faire une incursion « du côté sombre de la publicité », jusqu’au désabusement, admet se sentir plus à l’aise dans l’univers des idées que sur le terrain.

« Je pense que j’ai toujours préféré la réflexion critique à la pratique. J’ai choisi de retourner à l’université pour faire une maîtrise qui portera sur le journalisme, ses méthodes et ses transformations. »

Pascale a d’abord plongé dans la frénésie d’une salle de presse, à titre de chef de pupitre, avant de rendre son tablier. « J’ai réalisé, comme Guillaume, que ce qui m’intéressait le plus dans les médias, c’était l’observation, la réflexion, l’analyse, plus qu’être à l’intérieur, avec les contraintes actuelles, les différentes façons de faire et les impératifs de rapidité et d’instantanéité. C’est vraiment un contexte qui n’est pas facile; on en est conscients. C’est pour ça que souvent, on tient à saluer le travail des journalistes. »

C’est d’ailleurs un mantra qui revient, au cours de l’entrevue : « On aime les journalistes! ». Entourés d’amis qui vivent du métier, les discussions vont bon train, lors de rencontres amicales. Les sujets centraux : le journalisme, les médias, les bouleversements de la profession, les dérives, les bons coups médiatiques…

 Un blogue est né

C’est d’ailleurs dans cette ambiance d’échanges et de conversations animées sur leurs sujets de prédilection, alors qu’ils étaient sur les bancs de l’université, que le concept des Chihuahuas a pris forme.

« Quand on était au bacc en journalisme, entre 2004 et 2007, on trouvait que ça manquait, d’avoir une plateforme d’analyse sur les médias et le travail des journalistes, dit Pascale. Il n’y avait pas encore Projet J, on ne connaissait pas encore ACRIMED, le Magazine du Conseil de presse n’existait pas encore à l’époque. »

« On avait le nom, déjà, dit Guillaume. Ça fait plusieurs années qu’on avait ce nom-là. On le trouvait original. C’était un peu irrévérencieux. Pendant le conflit étudiant [du printemps dernier], on a remarqué qu’il y a eu beaucoup de critiques qui ont été soulevées, à l’endroit du travail des médias. On a senti qu’il y avait un appétit pour ça et nous, ça nous intéressait. Et on croit que ça intéresse de plus en plus de gens. »

Déjà, le désir de rigueur se profilait, note Pascale. « On voulait avoir une plateforme très sérieuse et rigoureuse, avec des textes plus en profondeur, ce que certains médias ne permettent pas toujours. »

Mais pas trop sérieuse, pondère Guillaume. « On ne se prend pas trop au sérieux. Ce qu’on propose, ce sont nos réflexions, humblement, nos points de vue personnels. L’idée, c’est de proposer un blogue avec un ton plus personnel, de se permettre d’être parfois un peu plus mordants, d’où le titre, d’où l’apparence du site, qui est quand même un peu ludique, bien que le contenu, lui, se veuille toujours rigoureux. On veut s’assurer toujours que ce qu’on écrit, c’est appuyé de faits, d’exemples, de citations. »

Non au spectacle

Dans le brouhaha d’internet, n’y aurait-il pas lieu de grogner et japper plus fort, pour se faire entendre? « Notre but, c’est pas d’attaquer gratuitement, on veut être nuancés, répond Pascale. La nuance et la retenue, oui ce sont des principes qu’on s’impose. On ne veut pas tomber dans le commentaire spectaculaire que nous-mêmes on dénonce. »

« On ne veut pas faire dans le journalisme-spectacle, ajoute Guillaume. Mais je pense qu’on est quand même souvent très sévères. On est parfois aussi mordants. Peut-être qu’on a une certaine retenue parce qu’on pense que les choses sont pas toujours simples. »

« Sans être des agitateurs, on veut soulever des questions éthiques, déontologiques, faire réfléchir les gens sur des pratiques journalistiques qui ont cours », explique Pascale.

Garder le chien de garde

Les Chihuahuas ne prétendent donc pas remplacer les journalistes, ces « chiens de garde de la démocratie ».L’objectif est de remettre en question leur travail, voire les pousser eux-mêmes à se remettre en question.

« Le fait de s’appeler les Chihuahuas de la démocratie, ça veut dire qu’on surveille les chiens de garde, on est les petits chiens à côté, qui jappent en arrière, pour essayer de les déranger un peu, pour les ramener à ce rôle-là », illustre Pascale.

Tout cela dans un contexte où de plus en plus d’éléments sont susceptibles de faire dévier les médias de leur vocation première d’informer le public, sans entraves à la liberté de presse.

« Je pense que les intérêts économiques pèsent de plus en plus lourd dans la sphère journalistique. Il y a des mutations des médias, avec l’essor du numérique et les conglomérats médiatiques. C’est sûr que tout ce contexte-là affecte la pratique journalistique », estime Guillaume.

Travers, démons et autres dérives

D’une façon plus ponctuelle, le quatuor se donne pour mission d’agiter le drapeau rouge quand une de leurs cordes sensibles est heurtée. Guillaume et Pascale ont déjà affiché les leurs, dans des textes qui portent leur signature.

« L’omniprésence de l’opinion, dans le journalisme, à l’heure actuelle, c’est ce qui me dérange le plus, dit Guillaume. J’ai l’impression que pour aborder de grands enjeux, pour en faire de l’opinion, ça prend de la perspective. Je pense qu’il faut être capable de mettre les choses en contexte et aller voir ce qui se fait ailleurs. On s’en rend compte, nous, on écrit des billets. Si on me demandait de le faire à chaque jour, je pense que je me trouverais inintéressant. Des fois, je ne sais pas quoi penser. Faire de l’opinion au quotidien, ça donne lieu, dans bien des cas, à de l’opinion assez facile, à des lieux communs. »

Corollaire du foisonnement de l’opinion, l’utilisation prédominante du « je » hérisse également le jeune blogueur, qui a signé une analyse sur ce thème : (Mes) questionnements sans réponses autour du «je».

Pascale dénonce quant à elle « la difficulté de se remettre en question, d’admettre, quand on fait des erreurs ou qu’il y a eu des dérives ». Elle aborde la chose dans son texte : L’ego des journalites.

Le féminisme est une autre corde sensible, pour la seule fille du groupe, qui montre notamment un intérêt pour la question du sexisme envers les femmes en politique. Elle signait, pendant la campagne électorale, À bas les stéréotypes! et, plus récemment, Les incohérences de Sophie Durocher.

La force de frappe des billets, coups de gueule et analyses est amplifiée par des illustrations exclusives, mises en forme par Jean-Sébastien Gauthier, qui limite d’ailleurs sa signature à la dimension graphique du blogue.

Appel citoyen…

Avec les critères de rigueur que s’imposent les Chihuahuas, le blogue se renouvelle au gré des temps libres des quatre fondateurs, c’est-à-dire à une vitesse modeste. Le quatuor est à la recherche de collaborateurs animés par les mêmes intérêts qu’eux.

« L’idée c’est de donner à cette plateforme un côté citoyen, explique Guillaume. On pense qu’il y a une légitimité à cette critique citoyenne. Lorsque des individus qui ne sont pas issus de la sphère journalistique critiquent les médias, le réflexe de bien des journalistes est de dire : « Vous ne comprenez pas comment fonctionne une salle de presse, vous ne savez pas comment faire une distinction entre textes d’opinion et textes d’information. Il y en a beaucoup qui sont capables de les faire, ces distinctions-là. Je crois que cette critique-là est légitime et les journalistes devraient être heureux qu’on surveille leur travail, de la même façon qu’eux surveillent le travail des politiciens. »