Plaignant
M. Paul Desfossés
Mis en cause
M. Alain Gravel, journaliste, l’émission « Téléjournal 22h » et ICI Radio-Canada Télé
Résumé de la plainte
NOTE : Après analyse, la commission d’appel (lire la décision plus bas) a renvoyé ce dossier au comité des plaintes pour y être rejugé. La plainte a été rejetée (lire la décision ici).
M. Paul Desfossé dépose une plainte le 28 juillet 2014, à l’encontre du journaliste Alain Gravel et la SRC, au sujet d’un reportage diffusé le 31 mars 2014 à l’émission du « Téléjournal 22h », intitulé « Claude Blanchet aurait sollicité des firmes de génie-conseil ». M. Desfossés reproche au journaliste d’avoir publié une information dénuée d’intérêt public, une utilisation injustifiée d’une source anonyme, un traitement tendancieux et partial de l’information ainsi qu’une atteinte à la réputation de M. Claude Blanchet, de sa conjointe, Mme Pauline Marois, et du Parti québécois (PQ).
Le reportage rapporte, sur la base des témoignages anonymes de deux dirigeants de firmes de génie-conseil, que M. Blanchet aurait sollicité ces derniers pour le financement de la course à la direction du PQ en 2007 et la campagne électorale provinciale de 2008 de sa conjointe, Mme Marois. Ces mêmes sources affirment qu’une partie des dons était versée par des prête-noms, et l’une d’elles laisse entendre que M. Blanchet savait pertinemment que ce stratagème était en place. Le reportage a été diffusé moins d’une semaine avant les élections provinciales d’avril 2014, alors que la première ministre sortante, Mme Pauline Marois, sollicitait un second mandat.
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions à ce titre, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Analyse
Grief 1 : absence d’intérêt public
Le plaignant estime que rien ne justifiait de diffuser l’information sur la sollicitation financière de M. Blanchet, puisque « le Directeur général des élections l’avait enquêté sans y trouver rien à redire ». Il laisse entendre de plus que le choix du moment de diffusion, « en pleine campagne électorale », renforce l’impression que le reportage ne vise qu’à nuire à M. Blanchet, à Mme Marois et au Parti québécois.
Au nom des mis en cause, Mme Micheline Dahlander, chef Relations citoyennes et diversité à la SRC, souligne que l’information diffusée était pertinente pour les citoyens appelés à faire un choix aux prochaines élections. La commission Charbonneau avait suspendu temporairement ses travaux, reportant ainsi ses audiences en lien avec les systèmes de financement des partis politiques au lendemain des élections. Dans ce contexte, les mis en cause estiment qu’ils n’auraient pas joué leur rôle s’ils avaient décidé de ne pas diffuser le reportage de M. Gravel. Elle assure que l’information n’a pas été retenue afin de la diffuser au moment le plus nuisible pour le PQ, mais bien que toutes les énergies ont été déployées pour vérifier la véracité des informations dès qu’elles ont été portées à la connaissance des mis en cause.
Le Conseil est d’avis que le sujet du reportage de M. Gravel, en soi, était éminemment d’intérêt public, d’autant plus que l’intégrité était l’un des thèmes les plus importants de la campagne électorale. S’il y a des raisons légitimes de croire que l’intégrité des proches d’une candidate au titre de première ministre peut être mise en doute, il va de soi qu’il est de la responsabilité des médias d’information d’en informer le public québécois.
Le grief d’absence d’intérêt public est donc rejeté.
Grief 2 : absence de vérification des sources et utilisation injustifiée d’une source anonyme
M. Paul Desfossés met en doute le bien-fondé de protéger l’identité du signataire de l’affidavit dans le reportage et estime que l’utilisation d’une source anonyme dans ce cas contrevient aux bonnes pratiques de la profession.
Mme Micheline Dahlander explique que le nom de la source n’a pas été divulgué « pour lui éviter des conséquences fâcheuses ». Elle rappelle également qu’afin d’authentifier le témoignage de l’une des sources du journaliste, celle-ci a été invitée à faire une déclaration sous serment (affidavit). Elle note au surplus que ses dires ont été corroborés. Elle rappelle enfin que M. Claude Blanchet a été contacté. Il a nié les faits et sa réponse, ainsi que celle de son avocat, ont été incorporées dans le reportage.
Dans son guide Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil note que « l’utilisation des sources anonymes doit être justifiée et exceptionnelle ». (p. 32) Lorsqu’une source peut faire l’objet de représailles, ce procédé est nécessaire, mentionne-t-on dans le guide. Dans ce cas, le Conseil constate que la situation justifiait amplement d’accorder et de préserver l’anonymat demandé par les sources de M. Gravel.
Par ailleurs, le plaignant reproche également au journaliste d’avoir utilisé le témoignage d’une source anonyme dans le cadre du reportage, alors qu’il juge que cela n’était justifié.
À ce sujet, le guide des DERP précise que les professionnels de l’information « doivent également prendre tous les moyens à leur disposition pour s’assurer de la fiabilité de leurs sources et pour vérifier, auprès d’autres sources indépendantes, l’authenticité de l’information.» Quant à l’utilisation de sources anonymes, il stipule que « Quelle que soit la provenance des informations – autorités, spécialistes ou témoins de situations ou d’événements -, les médias et les journalistes doivent s’assurer que l’anonymat requis par des sources ne constitue pas un subterfuge pour manipuler l’opinion publique. » (p. 32)
Les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada vont dans le même sens : « Notre engagement en faveur de l’exactitude et de l’intégrité implique que nous nous efforcions de contre-vérifier l’information auprès d’une deuxième source. Il peut même arriver que plus de deux sources soient nécessaires. Nos reportages sont fondés sur des informations validées. […] Si la première source est confidentielle, nous nous efforçons de vérifier l’exactitude de l’information en la corroborant de manière indépendante.»
La question sur laquelle s’est penché le Conseil était donc celle de savoir si Radio-Canada et son journaliste, Alain Gravel, ont été suffisamment prudents en choisissant de rapporter le témoignage de l’homme d’affaires ayant signé l’affidavit dont fait état le reportage. Autrement dit, il s’agira ici de déterminer si Radio-Canada et son journaliste pouvaient légitimement diffuser les accusations que portait cette source anonyme à l’endroit de M. Blanchet.
Le Conseil tient d’emblée à préciser que Radio-Canada et son journaliste étaient tout à fait en droit de publier l’information selon laquelle M. Blanchet avait fait de la sollicitation pour du financement politique auprès de firmes d’ingénierie et qu’un stratagème de prête-noms avait été utilisé par ces firmes, puisque deux sources distinctes, bien qu’anonymes, corroborent ces faits.
Cependant, il est moins évident que les mis en cause pouvaient également rapporter les propos de la première source anonyme, lorsque celle-ci affirme que M. Blanchet savait que les firmes d’ingénierie qu’il avait sollicitées auraient recours au stratagème des prête-noms : « C’est clair que les solliciteurs savent que ça se passe de même, [mais ils] vont toujours le nier en disant : “J’ai demandé des chèques. J’ai reçu des chèques. Je n’ai pas d’obligation de vérification.” »
En effet, il s’agit de la seule source – du moins parmi celles citées par le reportage – affirmant une telle chose, à savoir que M. Blanchet aurait fait preuve d’aveuglement volontaire.
Le deuxième dirigeant d’une firme de génie-conseil cité par le reportage ne va pas aussi loin que le premier : il affirme simplement avoir été approché par M. Blanchet pour un financement de 5000 $ et avoir compensé ou remboursé les personnes qui avaient officiellement cotisé à la campagne de Mme Marois.
Quant aux deux employés de firmes de génie-conseil affirmant avoir été sollicités par leur employeur pour cotiser à la campagne de Mme Marois, on constate également qu’ils n’établissent aucun lien entre les pressions qu’ils affirment avoir subies de la part de leur employeur et M. Blanchet.
S’il est vrai, par ailleurs, que le reportage affirme clairement, d’une part, que la sollicitation pour du financement politique, en soi, n’est pas du tout illégale, et d’autre part, que rien ne permet d’affirmer que M. Blanchet savait que les firmes sollicitées auraient recours au stratagème des prête-noms, on ne peut non plus ignorer que le reportage en entier est construit autour de cette suspicion.
Considérant qu’une seule source, anonyme de surcroît, affirmait que M. Blanchet ait pu commettre des gestes allant à l’encontre des règles entourant le financement électoral, que cette information n’est validée par aucune autre source indépendante et finalement que le contexte électoral commandait la plus grande rigueur journalistique, le Conseil juge que Radio-Canada et son journaliste Alain Gravel ont fait preuve d’imprudence en publiant l’accusation voulant que M. Blanchet savait clairement que la loi électorale serait contournée par l’usage de prête-noms et donc qu’il se serait rendu complice d’une entorse à la loi sur le financement électoral.
Aux yeux du Conseil, le simple fait d’avoir contacté M. Blanchet pour lui donner l’occasion de s’expliquer face à ces accusations ne saurait justifier la publication de ces accusations, sous prétexte qu’un équilibre aurait été atteint entre deux points de vue contradictoires. Car il semble évident pour le Conseil que l’auditeur moyen aura essentiellement retenu de ce reportage que M. Blanchet avait quelque chose à se reprocher, alors même que les preuves allant en ce sens sont extrêmement ténues, voire inexistantes. Le fait d’affirmer, plus tard durant le même reportage, qu’aucune preuve solide ne vient appuyer les dires de la première source anonyme ne peut justifier la publication d’une information non vérifiée, qui n’avait pas plus de valeur qu’une simple rumeur. En matière judiciaire, et a fortiori dans un contexte électoral, la plus grande prudence est de mise.
Le fait que la source soit anonyme ne vient, aux yeux du Conseil, que renforcer l’obligation de vérification. Mais il importe cependant de rappeler ici que les informations rapportées par des sources, qu’elles soient anonymes ou non, se doivent d’être authentifiées et validées, surtout lorsqu’elles sont aussi dénonciatrices.
Le Conseil juge donc que Radio-Canada et son journaliste, Alain Gravel, ne devaient pas rapporter les accusations de leur source anonyme voulant que M. Blanchet s’était fait complice d’un stratagème de financement par prête-noms, sachant que celles-ci n’avaient pas été corroborées, et considérant les conséquences potentiellement dévastatrices que de telles accusations pouvaient avoir sur M. Blanchet, Mme Marois et le Parti québécois. En diffusant ces accusations, ils ont contrevenu autant aux normes de Radio-Canada qu’à celles du guide des Droits et responsabilités de la presse.
En conséquence, le Conseil retient le grief pour absence de vérification des sources et utilisation injustifiée d’une source anonyme.
Grief 3 : présentation tendancieuse de l’information
Le plaignant affirme, dans un troisième temps, que la façon de présenter l’affidavit signé par une des sources de M. Gravel est tendancieuse et n’avait d’autre but « que de lancer de la boue au visage de la chef du Parti québécois ».
Mme Dahlander assure pour sa part que le contenu journalistique diffusé par la SRC pendant la campagne a porté sur tous les partis politiques, sans en cibler un en particulier, selon les exigences d’un traitement équitable et impartial.
Afin de rendre le plus possible justice à l’esprit de la plainte, le Conseil a analysé la présentation de l’ensemble du reportage, et non pas uniquement la présentation de l’affidavit comme telle. En effet, il semble évident qu’en s’en prenant à cet élément précis, le plaignant désignait en fait le reportage dans son ensemble.
Il s’agit donc de déterminer si la présentation de l’information, et plus particulièrement l’utilisation de supports visuels et sonores, respectent, comme le stipule le DERP, « l’intégrité et l’authenticité de l’information » (p. 30). Autrement dit, le Conseil évaluera si Radio-Canada et son journaliste, Alain Gravel, ont fait « preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise. » (p. 30)
Le Conseil s’est attardé à un segment précis du reportage, où l’on entend une conversation téléphonique entre le journaliste Alain Gravel et M. Blanchet. Durant cet extrait le journaliste demande à M. Blanchet s’il est vrai, comme l’affirme la première source anonyme, que celle-ci lui a remis « une enveloppe avec des chèques, donc de différents donateurs, des prête-noms, qui ne devaient pas excéder 3000 $ par contribution? ». À cette question, M. Blanchet répond : « Jamais. »
Or, durant cet extrait, le reportage présente une reconstitution, qui n’est pas identifiée comme telle, montrant à deux reprises une personne donnant à une autre une enveloppe brune – le symbole par excellence, au Québec, de la corruption. La scène est légèrement floutée afin de mettre l’accent sur le caractère secret et occulte de l’affaire.
Pour le Conseil, il ne fait aucun doute que les mis en cause, en diffusant des images montrant précisément, et au même moment, ce qu’était en train de nier M. Blanchet, cherchaient à discréditer la version des faits de ce dernier. En procédant ainsi, le Conseil est d’avis que les mis en cause ont « créé de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise », et ont en conséquence commis une faute déontologique.
Le grief pour présentation tendancieuse de l’information est donc retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Paul Desfossés contre le journaliste Alain Gravel, l’émission « Téléjournal 22h » et la Société Radio-Canada, pour les griefs d’utilisation non justifiée d’une source anonyme et de présentation tendancieuse de l’information. Cependant, il rejette le grief d’absence d’intérêt public.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
Adélard Guillemette
Mme Jackie Tremblay
Représentant des journalistes :
Mme Katerine Belley-Murray
Représentant des entreprises de presse :
Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C02B Moment de publication/diffusion
- C03B Sources d’information
- C03C Sélection des faits rapportés
Date de l’appel
8 February 2016
Appelant
M. Alain Gravel, journaliste, l’émission « Téléjournal 22h », la Société Radio-Canada (Michel Cormier, directeur général de l’information, services français)
Décision en appel
PRÉAMBULE :
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DES APPELANTS :
Les appelants contestent la décision de première instance sur trois points :
- Vices de procédure
- 1.1 Absence d’audience des parties
- 1.2 Autosaisie/élargissement indu d’un grief
- 1.3 Apparence de conflit d’intérêts du secrétaire général
- Grief 2 : Absence de vérification des sources et utilisation injustifiée d’une source anonyme
- Grief 3 : Présentation tendancieuse de l’information
Vices de procédure
Plusieurs irrégularités ont, selon les appelants, entaché le processus de traitement de la plainte en première instance. Ainsi, ils estiment que « la Commission doit reprendre entièrement l’analyse des blâmes portés ».
1.1 Absence d’audience des parties
Radio-Canada, par la voix de son directeur général de l’information, Michel Cormier, fait valoir que le comité des plaintes a injustement ignoré certaines de ses prétentions, notamment que les dires de la source confidentielle, selon laquelle M. Blanchet savait qu’un stratagème de prête-noms était utilisé, avaient été corroborés par une seconde source. Or, plutôt que d’en tenir compte, le comité a plutôt conclu « qu’une partie du reportage n’était “validée par aucune autre source indépendante”. »
Pourtant, une rencontre avec M. Alain Gravel et son équipe aurait permis au secrétariat, d’une part, puis au comité, d’autre part, d’avoir une meilleure idée de la valeur de cette « corroboration ».
Les appelants font valoir qu’une rencontre du genre s’était tenue entre le secrétaire général, M. Guy Amyot, Mme Hélène Courchesne (alors analyste pour le CPQ) ainsi que des représentants de Radio-Canada, dans un autre dossier où le plaignant s’attaquait à la crédibilité des sources confidentielles d’une collègue de M. Gravel, Mme Marie-Maude Denis.
Les appelants concluent que « l’absence de rencontre dans la présente affaire constitue un manquement à l’équité qui justifie l’intervention de la Commission ».
L’intimé ne répond rien sur ce point.
Aux yeux des membres de la commission d’appel, il importe tout d’abord de rappeler que le Conseil de presse du Québec est un tribunal d’honneur dont les procédures, aussi rigoureuses et sérieuses soient-elles, ne doivent pas être comparées à celles des tribunaux judiciaires. Si, dans leurs grandes lignes, les mêmes principes de justice naturelle doivent s’appliquer à l’étude d’une plainte en déontologie, il ne serait pas souhaitable que le formalisme procédural qui caractérise l’action des tribunaux s’applique au traitement des plaintes qu’étudie le Conseil.
De l’avis de la commission, on doit également rappeler que bien que l’article 7.1 du Règlement no 2 portant sur l’étude des plaintes (aujourd’hui l’article 8.1) prévoit que, « Exceptionnellement, le comité des plaintes peut décider d’entendre les parties en leur faisant parvenir un avis de convocation par écrit », en définitive il appartient au comité seul de déterminer si de telles audiences sont nécessaires et on ne saurait lui reprocher d’avoir jugé que la tenue de telles audiences n’étaient pas nécessaires dans les circonstances.
La commission suppose ainsi que le comité des plaintes a jugé qu’il disposait de tous les éléments d’information nécessaires pour prendre une décision éclairée et rejette de ce fait les allégations des appelants à l’effet que l’absence d’audience ait pu constituer un vice de procédure.
1.2 Autosaisie/élargissement indu d’un grief
Les appelants estiment également que le comité a, dans son traitement du troisième grief, injustement élargi l’objet de la plainte.
Dans sa décision, le comité des plaintes écrit : « Afin de rendre le plus possible justice à l’esprit de la plainte, le Conseil a analysé la présentation de l’ensemble du reportage, et non pas uniquement la présentation de l’affidavit comme telle. En effet, il semble évident qu’en s’en prenant à cet élément précis, le plaignant désignait en fait le reportage dans son ensemble. »
Pour les appelants, ce « procédé est inacceptable », puisque le Conseil a rendu une décision sur un aspect sur lequel ils n’ont pas eu l’occasion de se prononcer explicitement.
Il s’agit selon les appelants d’un « manquement grave à une règle élémentaire d’équité et de justice naturelle ».
L’intimé, pour sa part, réplique que selon lui, le comité des plaintes « s’est montré sage […] en se préoccupant de l’esprit de [sa] plainte » étant donné que « l’auditeur ou électeur moyen, même s’il est encore capable de s’indigner et de réagir, n’est pas pour autant un professionnel des plaintes ou un juriste qui rédige des requêtes pour les tribunaux », voulant dire par là qu’il était raisonnable que le comité « traduise », en termes formellement déontologiques, ses propos.
La commission a quant à elle jugé que le comité n’avait pas élargi l’objet de la plainte de l’intimé en analysant la présentation de l’ensemble du reportage.
En effet, dans la mesure où l’intimé, dans sa plainte, jugeait que la « façon de traiter l’affidavit en question a été tendancieuse », et que l’affidavit en question porte notamment sur le fait que M. Blanchet aurait accepté « en main propre une enveloppe contenant [des] chèques de contribution demandés et qui totalisaient la […] somme de 25 000 $ », il n’était pas exagéré de considérer, comme l’a fait le comité des plaintes, que le segment où l’on voit des enveloppes être échangées fait partie du « traitement de l’affidavit », pour paraphraser l’intimé.
En conséquence, la commission rejette l’interprétation des appelants voulant que le comité des plaintes aurait fait de l’autosaisie ou élargi indûment la portée du grief visant la présentation de l’information.
1.3 Apparence de conflit d’intérêts du secrétaire général
La Société Radio-Canada juge que le secrétaire général du CPQ aurait dû se retirer du traitement du dossier, puisqu’il était selon eux en apparence de conflit d’intérêts étant donné que sa soeur, Mme France Amyot, était la directrice de cabinet de M. Stéphane Bédard, chef par intérim du Parti québécois, au moment où la plainte a été traitée et la décision, rendue.
Les appelants demandent à ce que M. Amyot s’abstienne catégoriquement de participer au processus d’appel.
L’intimé ne répond rien sur ce point.
Il est opportun ici de rappeler tout d’abord que la demande des appelants relative à la non- participation de M. Amyot au processus d’appel a été acceptée d’emblée, dès la réception de la demande d’appel.
Sur le fond, la commission reconnaît que la situation dans laquelle se trouvait le secrétaire général du Conseil pouvait avoir l’apparence d’un conflit d’intérêts, notamment en raison du fait qu’elle impliquait une personne particulièrement proche de lui et considérant l’importance du poste occupée par sa soeur, et estime donc qu’il aurait dû se retirer complètement du traitement de la plainte.
Cependant, le comité ne partage pas l’avis des appelants selon lequel ce serait à elle, pour parler comme eux, de « reprendre entièrement l’analyse des blâmes portées ». En effet, comme le précise l’article 9.4 du Règlement No 2, « [l]e rôle de la commission n’est pas de substituer sa propre appréciation des faits à celle du comité des plaintes. Il se limite à s’assurer que le processus d’analyse et de décision a été effectué correctement par le comité des plaintes, en conformité avec le guide déontologique les Droits et responsabilités de la presse et la jurisprudence du Conseil. »
Dans les circonstances, la commission d’appel juge cependant qu’afin de dissiper tout doute quant à l’intégrité et la transparence du processus de gestion et d’analyse des plaintes, le dossier dans son ensemble doit être renvoyé au comité des plaintes du Conseil de presse du Québec afin d’être jugé de nouveau par celui-ci, à partir des éléments déposés au dossier en première et deuxième instances, sans nouvelles représentations des parties. Il va sans dire que le secrétaire général du Conseil devra s’abstenir de participer d’une quelconque façon au processus de traitement du dossier. De plus, aucun des membres ayant déjà jugé le dossier en première instance ne pourra le traiter une seconde fois.
Au vu de ce qui précède, les membres de la commission jugent qu’ils n’ont pas à étudier les autres griefs des appelants.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité que le dossier qui lui était présenté devait être renvoyé en première instance pour y être jugé de nouveau.
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Hélène Deslauriers
- Pierre Thibault
Représentant des journalistes :
- Claude Beauchamp
Représentant des entreprises de presse :
- Denis Bélisle