Plaignant
M. Luc Legresley
Mis en cause
M. Claude Dauphin, journaliste, vice-président et directeur général
Le bimensuel Le Journal de l’Est – Le Gaspésien
Résumé de la plainte
M. Luc Legresley dépose plainte les 15 mai et 13 juillet 2016 contre M. Claude Dauphin, journaliste, vice-président et directeur général, ainsi que le bimensuel Le Journal de l’Est – Le Gaspésien concernant les articles « Nos politiciens livrés en pâture pour donner l’exemple au reste du Québec! » et « Les méchants journalistes », parus respectivement les 13 et 27 juin 2016. Le plaignant déplore un bris de confidentialité avec une source, des informations inexactes, de l’information incomplète et un manque d’équité et de l’acharnement.
Le premier grief formulé par le plaignant, qui est conseiller municipal de la municipalité de Chandler, vise des ententes de confidentialité conclues avec M. Dauphin à l’époque où celui-ci animait une émission de radio. Ces ententes visaient les messages privés Facebook échangés entre le plaignant et M. Dauphin. Dans cette correspondance, le plaignant critiquait notamment le travail de la mairesse de Chandler, contre laquelle il a déposé une plainte à la Commission municipale du Québec. Les autres griefs concernent deux articles signés par M. Dauphin dans un journal dans lequel il écrit maintenant.
Analyse
Grief 1 : bris de confidentialité avec une source
Le plaignant dénonce le fait que M. Dauphin ait remis à la mairesse de Chandler leur correspondance Facebook. En agissant ainsi, il juge que le journaliste a contrevenu à leur entente de confidentialité concernant ces échanges. « Lors de nos discussions […] je demandais à Claude Dauphin de ne pas parler de nos discussions et souvent il me disait de lui faire confiance », soutient le plaignant en précisant qu’« il était clair que nos discussions demeuraient entre moi et lui ».
De son côté, M. Claude Dauphin soutient que ses échanges avec le plaignant ne se déroulaient pas dans un cadre journalistique puisqu’à cette époque, il n’était pas journaliste, mais plutôt animateur de radio. De plus, le mis en cause rapporte que le plaignant a admis la nature personnelle et non professionnelle de leurs échanges dans une entrevue radiophonique.
Bien qu’il nie qu’il y ait eu une entente de confidentialité, le mis en cause observe, que même s’il y en avait existé une, il n’aurait pas eu à la respecter puisque le plaignant l’a induit en erreur ce qui rendait l’entente caduque, selon lui. Il affirme que le plaignant a faussement soutenu avoir « des preuves de fraude qui intéresseraient l’UPAC ». Selon le mis en cause, le plaignant lui a indiqué que la mairesse avait reçu un pot-de-vin de 135 000 $, alors que la vérité a plutôt démontré qu’il s’agissait d’un manquement à une procédure interne. Le mis en cause affirme qu’il s’est senti manipulé par le plaignant. Jugeant que le plaignant était sur le point de faire la même chose devant la Commission municipale, le mis en cause a accepté de remettre à l’avocat de la mairesse leurs échanges Facebook. Selon le mis en cause, la Commission municipale devait connaître le climat régnant entre la mairesse et le plaignant, notamment la volonté de ce dernier de la « démolir ».
Dans ses commentaires, le plaignant précise que les échanges Facebook ont été initiés par le mis en cause qui souhaitait sa participation à l’une de ses émissions de radio. Le plaignant réfute avoir transmis de l’information inexacte et nie avoir soutenu que la mairesse avait reçu un pot-de-vin de 135 000 $.
En ce qui concerne les ententes de communication avec une source, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec stipule à l’article 13, alinéa 1) : « Les journalistes tentent par tous les moyens à leur disposition de respecter les ententes de communication avec une source (confidentialité, off the record, non-attribution, embargo, etc.) pour lesquelles ils ont donné leur accord explicite, sauf si la source les a volontairement trompés. »
Dans son Guide, le Conseil de presse du Québec définit un journaliste à l’article 2, alinéa a) : « toute personne qui, exerçant des fonctions journalistiques et ayant pour objectif de servir le public, recherche, collecte, vérifie, traite, commente ou diffuse de l’information destinée à un large public, sur des questions d’intérêt général ».
Dans la décision D2003-12-024, le Conseil a déterminé que « lorsqu’un employé effectue en ondes des fonctions assimilables à celles d’un journaliste (entrevue, information, commentaires), il est réputé agir dans une fonction journalistique et il est alors considéré à ce titre dans la portion d’émission consacrée à cette fonction. »
Après analyse de la correspondance mise en preuve, le Conseil juge qu’en remettant leurs échanges sur Facebook à la mairesse de Chandler, le mis en cause a contrevenu à l’entente de confidentialité qu’il avait avec le plaignant. D’abord, le Conseil constate que la correspondance entre les deux hommes était de nature professionnelle, notamment parce que le mis en cause utilisait la messagerie Facebook pour fixer des entrevues radiophoniques avec le plaignant et que ce dernier y avait recours pour fournir des informations au mis en cause concernant des dossiers d’actualité.
De plus, le Conseil relève que des ententes de confidentialité claires ont été prises à plusieurs reprises entre les deux hommes. Plusieurs passages de leur correspondance témoignent du fait que le plaignant transmettait de l’information au mis en cause à condition que ce dernier s’engage à protéger son anonymat, ce qu’il acceptait en assurant au plaignant qu’il pouvait lui faire confiance.
Finalement, le Conseil rappelle que les motifs libérant un journaliste de son engagement envers des sources doivent être très sérieux. Aux yeux du Conseil, les faits soumis par le mis en cause ne démontrent ni une volonté de tromper le journaliste ni l’existence d’une tromperie. Le Conseil juge minime l’écart entre les informations transmises au journaliste par le plaignant et les conclusions de la Commission municipale. Le simple fait que le mis en cause ait été déçu de constater que l’histoire rapportée par le plaignant n’avait pas l’ampleur souhaitée ou imaginée ne signifie pas que la source l’a trompé.
Le grief de bris de confidentialité d’une source est retenu.
Grief 2 : informations inexactes
Le plaignant estime que deux chroniques signées par le mis en cause dans le bimensuel Le Journal de l’Est – Le Gaspésien comportent chacune une information inexacte.
2.1 « Accoucher d’une souris »
Dans la chronique intitulée « Nos politiciens livrés en pâture pour donner l’exemple au reste du Québec! », le plaignant juge que la métaphore « accoucher d’une souris » est inexacte, puisque les juges de la Commission municipale ont imposé à la mairesse un mois de suspension.
Le mis en cause soutient quant à lui que le plaignant lui avait indiqué que la mairesse avait reçu un pot de vin de 135 000 $. Il observe « entre des accusations criminelles déclarées par M. Legresley et une suspension [de la Commission municipale du Québec] pour ne pas avoir consulté ses conseillers, c’est ce que j’appelle : accoucher d’une souris. »
2.2 Dossiers à l’hôtel de ville
Le plaignant considère que le journaliste transmet une information inexacte dans sa chronique « Les méchants journalistes » lorsqu’il écrit : « Il demeure qu’elle a aussi été victime des dénigrements sur Facebook de son détracteur qui semble se préoccuper davantage du réseau TELUS à Newport que de ses dossiers à l’hôtel de ville. » Le plaignant juge que ces propos, qui concerne la qualité de son travail de conseiller municipal, sont inexacts. Il fait valoir qu’il a été élu à cinq reprises et il soumet des lettres de recommandation témoignant de son engagement dans la communauté.
Le mis en cause fait valoir qu’il exprimait son opinion à l’effet que le plaignant n’a « en aucun temps » fait avancer les dossiers dans le secteur de la municipalité qu’il représente au conseil municipal.
Le Guide, à l’article 10.2 alinéa 3), rappelle les devoirs du journaliste d’opinion : « L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » L’article 9, alinéa a) stipule que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ».
Le Conseil juge que les passages visés par la présente plainte constituent des jugements de valeur et non de fait. Le principe d’exactitude ne s’applique donc pas dans ce contexte.
Le grief d’informations inexactes est rejeté.
Grief 3 : information incomplète
Le plaignant estime que le mis en cause transmet une information incomplète dans sa chronique intitulée « Les méchants journalistes » lorsqu’il écrit : « Il demeure qu’elle a aussi été victime des dénigrements sur Facebook de son détracteur qui semble se préoccuper davantage du réseau TELUS à Newport que de ses dossiers à l’hôtel de ville. »
Selon le plaignant, le mis en cause aurait dû préciser qu’il dénigrait lui aussi la mairesse de Chandler dans leurs échanges Facebook et lors de son émission de radio.
Le mis en cause reconnaît avoir dénigré la mairesse de Chandler en ondes sur la base des informations fournies par le plaignant. Il indique s’en être excusé dans le journal.
Le plaignant observe que le mis en cause critiquait la mairesse dans son émission de radio avant le début de leurs échanges Facebook, donc avant qu’il ne lui fournisse des informations.
À l’article 10.2 alinéa 3), le Guide rappelle que « L’information qu’il [le journaliste d’opinion] présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » L’article 9, alinéa e) précise que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Le Conseil juge que le mis en cause n’a pas manqué à son devoir de complétude puisqu’il écrit lui-même : « La hache de guerre est enterrée avec elle [la mairesse Louisette Langlois] et votre humble serviteur. » Il reconnaît ainsi avoir changé d’avis à propos de la mairesse, qu’il a critiqué à une certaine époque.
Le grief d’information incomplète est rejeté.
Grief 4 : manque d’équité et acharnement
Selon le plaignant, les commentaires publics du mis en cause relatifs à son hostilité envers la mairesse constituaient un manque d’équité et une manifestation d’acharnement à son endroit. Ces commentaires ont été diffusés dans les deux premières éditions du Journal de l’Est – Le Gaspésien (chroniques des 13 et 27 juin 2016), ainsi que lors d’une émission de radio, constate-t-il.
Le mis en cause considère que c’est le plaignant qui fait preuve d’acharnement en multipliant les plaintes auprès de diverses instances.
Le Guide, à l’article 17, décrit ainsi le devoir d’équité : « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. »
Le Conseil observe que le mis en cause a fait état de son hostilité à l’endroit du plaignant à trois reprises et juge que, dans ces circonstances, ceci ne constitue pas une manifestation d’acharnement.
Le grief de manque d’équité et acharnement est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Luc Legresley et blâme le journaliste Claude Dauphin pour le grief de bris de confidentialité avec une source. Cependant, le Conseil rejette les griefs d’informations inexactes, d’information incomplète et de manque d’équité et acharnement visant Le Journal de l’Est – Le Gaspésien et M. Dauphin à titre de vice-président et directeur général de ce bimensuel.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Jacques Gauthier
Président du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- M. Jacques Gauthier
- M. Luc Grenier
Représentant des journalistes :
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Gilber Paquette