Plaignant
M. Ken Monteith
Mis en cause
The Gazette
[Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Mark Harrison
(rédacteur en chef, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
Le 14 décembre
1985, The Gazette publie une bande dessinée qui entretient des préjugés à
l’égard des homosexuels en suggérant que ces derniers doivent être mis en
quarantaine. Le journal rejette cavalièrement les préoccupations du plaignant
et refuse de publier sa lettre de protestation. Intitulée «The Wizard of Id»,
cette bande dessinée, signée par MM. Brant Parker et Johnny Hart, paraît
simultanément dans plusieurs journaux amÉricains et canadiens.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Ken Monteith qui reprochait à The
Gazette d’avoir publié, dans son édition du 14 décembre 1985, une bande
dessinée qui, à cause des préjugés qu’elle lui semblait entretenir à l’égard
des homosexuels, n’aurait jamais dû être publiée par ce journal.
Intitulée «The
Wizard of Id», cette bande dessinée de Brant Parker et Johnny Hart, publiée
simultanément dans plusieurs journaux amÉricains et canadiens, mettait en scène
le gardien d’une tour demandant à un groupe qui s’approche de s’identifier. Ce
dernier s’identifiant alors comme «Robbing Hood and his Merry Men», pastiche, à
l’évidence, de la légende de «Robin Hood and his Merry men»: «Robin des bois et
sa troupe de gaillards» – (Harrap’s Standard French and English Dictionary,
1973, part. II, p. 765) -, le gardien répond: «I thought you guys were in
quarantine» («Je croyais que vous étiez en quarantaine»), et le groupe de
commenter pour lui-même: «We’ve got to change the name of this outfit» («Nous
devrions changer le nom de ce groupe, de cette équipe»).
Selon le
plaignant, la seule conclusion à tirer d’une analyse de cette bande dessinée
était à l’effet que le nom donnée au groupe a pour but de suggérer
l’homosexualité de ses membres par l’association étroite qui existe dans le
langage courant entre les mots «merry» et «gay», conclusion renforcée,
indiquait-il, par le commentaire sur la nécessité de changer ce nom pour régler
le malentendu.
D’autre part
soutenait-il, ce dessin impliquait qu’il était acceptable ou qu’il allait de
soit que les homosexuels soient mis en quarantaine; message implicite,
dangereux, qui rejoint la philosophie des groupes de la droite fondamentaliste,
et spécialement ceux des Etats-Unis, qui voudraient que les personnes atteintes
du SIDA et, d’une façon plus générale, l’ensemble de la communauté gaie, soient
mise en quarantaine. Il était aussi difficile de différencier cette attitude de
celle des nazis qui firent périr des milliers d’homosexuels dans les camps de
concentration.
En outre, ce
type de message comportait deux autres dangers. D’abord, les bandes dessinées
sont souvent le premier lien des enfants avec un journal et l’on ne doit pas
leur enseigner à accepter ainsi la haine. En second lieu, la formule de la
bande dessinée exige généralement que l’on en accepte le point de départ pour
qu’elle atteigne son but de divertir; ainsi le lecteur assumerait que le
contenu du message est acceptable et rechercherait la plaisanterie qui y est
rattachée.
D’où, selon monsieur
Monteith, l’importance pour les journaux d’être très vigilants afin que les
bandes dessinées ne contiennent pas de termes ou de situations susceptibles de
susciter ou de renforcer les préjugés et la haine. Et si The Gazette avait
reconnu ce principe dans le passé en s’astreignant à une plus grande vigilance
à la suite des plaintes à cet égard, cela ne l’avait pas empêchée de publier
«The Wizard of Id» ou encore d’utiliser à quelques reprises, dans certaines
bandes dessinées, le terme «gyp» qui serait, selon le plaignant, un dérivé
ethnocentriste du mot «Gypsy» et ayant une connotation de malhonnêteté.
En fin
d’analyse, monsieur Monteith estimait qu’il aurait été plus convenable que The
Gazette se penche avec sérieux sur l’objet des préoccupations dont il lui avait
fait part, plutôt que d’en nier cavalièrement le bien-fondé comme elle l’a fait
ou à tout le moins, si elle la jugeait non valable, de lui proposer une
interprétation autre que la sienne de la bande dessinée en question. Il
exprimait aussi son intérêt à être informé de la politique éditoriale du
journal concernant ses choix en cette matière.
Commentaires du mis en cause
Le rédacteur en
chef du quotidien, monsieur Mark Harrison, se disait déconcerté par ces
accusations. Après avoir attentivement tenté d’en déterminer la signification,
il disait ne pouvoir conclure autrement que monsieur Monteith était «sur une
longueur d’ondes totalement différentes» de celle des responsables du journal.
En regrettant que ce dernier ait pu voir quelque chose de sinistre dans une
simple bande dessinée, il l’assurait que son inquiétude n’était basée sur
aucune réalité. Il ajoutait qu’après avoir considéré la possibilité de publier
une partie de sa lettre, il avait changé d’idée par crainte que les allégations
qui y étaient contenues ne suscitent la risée.
Monsieur
Harrison disait enfin ne rien voir de suggestif dans l’utilisation du mot
«merry», lequel était utilisé dans la littérature anglaise pour désigner les
compagnons de Robin Hood, bien longtemps avant que le terme «gay» ne désigne
les homosexuels.
Analyse
La caricature, la bande dessinée, les textes humoristiques sont des modes particuliers d’expression dont la fonction est d’illustrer ou de présenter de façon satirique, et même polémique, un trait, un personnage, un fait, un événement. Ces genres journalistiques particuliers confèrent à leurs auteurs une grande latitude, latitude qui n’est toutefois pas absolue puisqu’il est inacceptable, dans une société qui se veut large d’esprit et ouverte, qu’elle serve à cultiver des préjugés.
Les jugements d’appréciation en ces matières en plus d’être souvent affaire d’interprétation, sont difficiles et délicats. Les médias doivent faire preuve de largeur d’esprit et favoriser la libre expression et la libre circulation des idées. Ils sont aussi responsables des choix qu’ils font en ces matières qu’ils le sont en matière d’information. Ils doivent donc en surveiller la qualité.
Cette notion de qualité est aussi éminemment subjective et le Conseil n’a pas, en cette matière, à substituer son propre jugement à celui de l’éditeur. Ce qu’il peut faire c’est d’inciter les médias à concilier les exigences de leur devoir de favoriser la libre expression et la libre circulation des idées et celles de leur responsabilité de dissiper les préjugés dans une société qui se veut libre et ouverte.
Dans le présent cas, le Conseil estime que le plaignant a eu raison d’exprimer comme il l’a fait l’objet de ses inquiétudes. Il se peut effectivement que la bande dessinée en question soit porteuse de la discrimination qu’il invoque, laquelle résulte d’une distinction donnant lieu à un traitement défavorable ou qui s’exerce au détriment d’une personne ou d’un groupe.
D’autre part, le Conseil ne décèle aucun dessein de la part de The Gazette, d’entretenir quelque préjugé contre les homosexuels en publiant ladite bande.
Le Conseil incite cependant les médias à redoubler de vigilance et de discernement dans le choix des bandes dessinées qu’ils décident de publier, pour éviter justement que celles-ci ne deviennent des véhicules de préjugés.
Le Conseil estime enfin que The Gazette aurait dû publier la lettre du plaignant. Cela aurait permis au public de prendre connaissance de son point de vue.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C18C Préjugés/stéréotypes
Date de l’appel
25 November 1986
Appelant
The Gazette
[Montréal]
Décision en appel
The Gazette en
appelle de cette décision, le journal considérant avoir été blâmé injustement.
Le Conseil est plutôt d’avis qu’il y a eu un malentendu sur le sens de sa
décision et en révise ainsi le libellé, à la satisfaction des deux parties:
La caricature,
la bande dessinée, les textes humoristiques sont des modes particuliers
d’expression dont la fonction est d’illustrer ou de présenter de façon
satirique, et même polémique, un trait, un personnage, un fait, un événement.
Ces genres journalistiques particuliers confèrent à leurs auteurs une grande
latitude, latitude qui n’est toutefois pas absolue puisqu’il est inacceptable,
dans une société qui se veut large d’esprit et ouverte, qu’elle serve à
cultiver des préjugés.
Les jugements
d’appréciation en ces matières, en plus d’être souvent affaire
d’interprétation, sont difficiles et délicats. Les médias doivent faire preuve
de largeur d’esprit et favoriser la libre expression et la libre circulation
des idées. Ils sont aussi responsables des choix qu’ils font en ces matières qu’ils
le sont en matière d’information. Ils doivent donc en surveiller la qualité.
Cette notion de
qualité est aussi éminemment subjective et le Conseil n’a pas, en cette
matière, à substituer son propre jugement à celui de l’éditeur. Ce qu’il peut
faire c’est d’inciter les médias à concilier les exigences de leur devoir de
favoriser la libre expression et la libre circulation des idées et celles de
leur responsabilité de dissiper les préjugés dans une société qui se veut libre
et ouverte.
Dans le présent
cas, le Conseil comprend que la bande dessinée en question ait pu être perçue
comme porteuse de discrimination, mais il ne décèle aucun dessein de la part de
The Gazette d’entretenir quelque préjugé contre les homosexuels en publiant
ladite bande.
Le Conseil
incite cependant les médias à redoubler de vigilance et de discernement dans le
choix des bandes dessinées qu’ils décident de publier, pour éviter justement
que celles-ci ne deviennent des véhicules de préjugés.
Le Conseil
estime enfin que The Gazette aurait dû publier la lettre du plaignant. Cela
aurait permis au public de prendre connaissance de son point de vue.