Plaignant
M. Alexandre Popovic
Mis en cause
M. Richard Martineau, journaliste; M. Serge Labrosse, directeur de l’information et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. Alexandre Popovic porte plainte contre M. Richard Martineau et le Journal de Montréal. Il reproche au journaliste d’avoir, dans une chronique intitulée « Prier pour que ça pète », publiée le 11 août 2009, détourné le sens d’une marche commémorative se tenant dans Montréal-Nord à la mémoire de Fredy Villanueva pour laisser aux lecteurs l’impression stéréotypée que les manifestants à cette marche avaient soif de vengeance.
Griefs du plaignant
Dans cette chronique, M. Richard Martineau aurait sciemment monté en épingle un incident venu perturber la marche commémorative tenue en l’honneur de Fredy Villanueva à Montréal, deux jours auparavant. M. Popovic explique que l’incident en question a consisté en l’arrestation d’un jeune homme qui, d’après des sources policières, transportait des cocktails Molotov à l’intérieur d’un sac à dos. Le plaignant ajoute que cette arrestation a eu lieu en marge de la manifestation.
Le plaignant reconnaît que cette intervention policière a fait monter la tension parmi les manifestants puisque certains d’entre eux ont riposté à l’arrestation du jeune homme. Il ajoute que l’incident a toutefois pris rapidement fin, notamment lorsque les responsables de la marche ont fait savoir qu’il n’était pas souhaitable de s’en prendre aux policiers.
M. Popovic dit avoir été « complètement sidéré » par la façon dont le chroniqueur s’est servi de cet incident, qu’il considère comme isolé, pour discréditer l’ensemble des participants à cette marche. à son avis, M. Martineau aurait ignoré les efforts des organisateurs de la marche visant à apaiser les esprits pour écrire que les manifestants n’en avaient « rien à foutre du calme et de la sécurité » et qu’ils auraient « aimé que ça pète, que ça explose » durant la marche, ce qui leur aurait « donné l’occasion de jouer aux pôvres victimes du méchant pouvoir devant les caméras de télé ». M. Martineau aurait également suggéré que la mort d’un manifestant aurait pu être utile à leur cause.
Pour M. Popovic, les propos du chroniqueur, qu’il qualifie de « franchement délirants et de très mauvais goût », reposeraient sur une vision stéréotypée des individus ayant pris part à la manifestation, doublée d’une lecture biaisée de l’incident. Le plaignant précise que rien ne prouvait que le jeune individu qui fut arrêté ait lui-même pris part à la marche. Rien ne prouverait, non plus, que les individus qui invectivèrent les policiers durant l’arrestation prenaient tous part à la marche.
M. Popovic explique qu’en tant que porte-parole du groupe organisateur de l’événement, soit la Coalition contre la répression et les abus policiers, il ne peut garder le silence face à une telle distorsion des événements. Il mentionne avoir pris contact avec M. Martineau pour lui faire part de son sentiment en insistant sur le fait que tout avait été fait pour inciter à ce que ne soit posé aucun geste de violence.
En conclusion, le plaignant est d’avis que la mauvaise foi de M. Martineau transpire dans son article.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Bernard Pageau, affaires juridiques :
Le représentant du mis-en-cause explique que le Journal de Montréal rapportait, dans son édition du 10 août 2009, le déroulement d’un incident qui s’est produit durant la marche à la mémoire de Fredy Villanueva. Au cours de cet incident, un jeune homme transportant des cocktails Molotov a été arrêté par la police. L’article de M. Martineau rapportait cette information, en plus de l’information selon laquelle un petit groupe de manifestants se serait précipité vers la voiture de police en criant des insultes aux agents en service.
Me Pageau explique que la première partie de la chronique de M. Martineau traite de ces faits sous le titre « à deux doigts de l’explosion ». Le chroniqueur s’interrogeait sur la vision de la justice qui est celle des manifestants et sur ce qui serait arrivé si les policiers n’avaient pas appréhendé le jeune garçon.
Le représentant du mis-en-cause ajoute que la deuxième partie de la chronique, qui portait le titre « Les pôvres victimes », évoque ce qui se serait passé si ce dérapage avait eu lieu. Le chroniqueur y fait état d’un scénario où un des manifestants perd la vie, engendrant un spectacle commémoratif. La conclusion de M. Martineau est à l’effet que, grâce au travail des policiers, ces dérapages n’ont pas eu lieu.
Me Pageau termine en expliquant que le genre journalistique que constitue la chronique est protégé par la liberté d’expression et ajoute que chaque chroniqueur est libre d’imaginer et de pousser sa réflexion de manière à commenter l’actualité. à son avis, M. Martineau a ajouté à la réflexion sociale et ce, dans un style qui lui est propre.
Réplique du plaignant
M. Popovic se demande si la liberté d’expression permettait au chroniqueur de lancer des accusations gratuites et d’exprimer son mépris à l’endroit de certaines personnes. Pour le plaignant, la liberté d’expression doit demeurer encadrée d’un certain nombre de responsabilités, notamment celles qui ont trait à la rigueur.
Selon le plaignant, la responsabilité de M. Martineau était d’autant plus importante que sa chronique rejoint un vaste auditoire. Conscient de cette réalité, ce dernier aurait dû utiliser sa tribune de façon responsable, sans discréditer ni stigmatiser des organismes ainsi que des individus. Il n’aurait, cependant, pas dû présumer, dans cette même chronique, que les manifestants se doutaient de ce que cachait le jeune homme qui a été interpellé. Par ailleurs, en vertu du comportement pacifiste de la foule, il était déraisonnable de la part du mis-en-cause de présumer que les manifestants avaient des intentions violentes.
M. Popovic insiste sur les effets dévastateurs qu’a pu avoir la chronique de M. Martineau sur la paix sociale. En induisant les lecteurs en erreur, il aurait, à son avis, contribué à leur inspirer des sentiments de peur et de suspicion. Il remarque également qu’il n’est pas certain que les manifestants demeureraient aussi pacifiques si pareille situation se reproduisait puisque les médias s’attachent à renvoyer une image prédéfinie de violence.
Pour terminer, le plaignant mentionne que, si le mis-en-cause avait été raisonnable, il aurait pris soin de saluer le calme général de la foule ainsi que son pacifisme.
Analyse
M. Alexandre Popovic porte plainte contre M. Richard Martineau et le Journal de Montréal. Il reproche au journaliste d’avoir, dans une chronique intitulée « Prier pour que ça pète », publiée le 11 août 2009, détourné le sens d’une marche commémorative, à la mémoire de Fredy Villanueva, qui s’était tenue deux jours auparavant dans Montréal-Nord.
Grief 1 : interprétation abusive des faits et information incomplète
Le plaignant déplore la façon dont le chroniqueur s’est servi d’un incident isolé pour discréditer l’ensemble des participants à la marche, ce qui aurait, selon lui, eu pour effet de renforcer les préjugés. Il regrette tout particulièrement le fait que M. Martineau n’ait aucunement fait mention des efforts poursuivis par les organisateurs de la manifestation pour réussir à maintenir le calme.
Le guide des Droits et responsabilités de la presse du Conseil de presse stipule que « les auteurs de chronique doivent prendre soin de rappeler les faits relatifs aux événements qu’ils décident de traiter avant de présenter leurs critiques et lectures personnelles de l’actualité. » (DERP, p. 28) De plus, le guide rappelle que les médias et les professionnels de l’information ne doivent pas avoir recours à « une interprétation abusive des faits et des événements ». (DERP, p. 22)
Le Conseil constate, en premier lieu, que l’interprétation personnelle que fait le chroniqueur des événements pouvait laisser aux lecteurs l’impression que l’ensemble des participants à la marche cautionnaient les gestes violents commis par certains d’entre eux. Il souligne que c’est en faisant référence aux « manifestants » en général et en utilisant des termes comme « votre manifestation », « votre cause », « votre quartier » et « grands militants pacifistes », lorsqu’il présente son point de vue, que le chroniqueur a introduit cette généralisation abusive.
Le Conseil n’écarte toutefois pas la possibilité que M. Martineau, en utilisant ces termes, n’ait souhaité faire référence qu’aux seuls individus responsables des débordements violents lors de cette manifestation. Il remarque cependant que si M. Martineau avait pris soin de rapporter l’information selon laquelle les organisateurs de la manifestation sont intervenus pour que cette dernière rentre dans l’ordre, l’impression de généralisation qui ressort de sa chronique aurait probablement été atténuée.
En ce sens, bien que le guide de déontologie accorde au chroniqueur ou au journaliste l’entière responsabilité du choix des éléments qu’il juge pertinent, en vertu de la liberté éditoriale dont il dispose, l’omission avait pour conséquence, dans ce cas, d’ouvrir la porte à une généralisation abusive. Le grief est retenu.
Décision
Le Conseil de presse retient donc la plainte de M. Alexandre Popovic et blâme M. Richard Martineau ainsi que le Journal de Montréal pour information incomplète, pouvant conduire à une interprétation abusive.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C12B Information incomplète
- C12D Manque de contexte
- C18C Préjugés/stéréotypes
Date de l’appel
21 October 2010
Appelant
Le Journal de Montréal
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.