Plaignant
M. Pierre Larocque
Mis en cause
M. Patrick Bégin, journaliste; M. François Paradis, animateur; l’émission « TVA en direct »; M. Serge Fortin, vice-président information et le Groupe TVA
Résumé de la plainte
M. Pierre Larocque porte plainte contre M. Patrick Bégin, journaliste, et M. François Paradis, animateur de l’émission « TVA en direct », relativement à une émission diffusée le 30 mars 2011, dans laquelle il estime que l’on a porté atteinte au droit à la vie privée d’une personne interviewée.
Commentaires du mis en cause
Le Groupe TVA inc. n’a pas souhaité répondre à la plainte de M. Pierre Larocque en raison de leur retrait du Conseil de presse depuis décembre 2008.
Analyse
Grief 1 : non-respect de la vie privée, utilisation de procédés inéquitables et sensationnalisme
Le 27 mars 2011, un jeune homme, Alex Mineau-Simoneau, est accusé de conduite dangereuse ayant causé la mort de deux de ses amis. Le jeune Simoneau avait, quelque temps auparavant, publié sur Facebook une vidéo où on le voit boire de l’alcool au volant de sa voiture et montrant un comportement désinvolte en conduisant. Le plaignant dénonce le fait que le journaliste, Patrick Bégin, de « TVA en direct », se soit présenté chez la mère adoptive de l’accusé afin de la confronter, en direct à la télévision, sur le pas de sa porte, à la vidéo de Facebook dont elle ne connaissait pas l’existence jusque-là. Selon M. Larocque, la mère n’a pas eu l’opportunité de se préparer à cette entrevue et il qualifie l’attitude du journaliste de sensationnaliste.
Le Conseil constate que le 30 mars 2011, « TVA en direct » a largement couvert l’événement en diffusant la nouvelle de l’accident qui a coûté la vie à deux jeunes, de même que des entrevues avec les parents d’une des victimes, ainsi qu’avec quelques-uns de ses amis. TVA a aussi diffusé la fameuse vidéo publiée sur Facebook, ce que le réseau était libre de faire puisqu’elle était accessible à tous sur Internet et que le sujet était d’intérêt public.
Dans un entretien que le Conseil a eu avec la mère du jeune Mineau-Simoneau, celle-ci a confirmé que le journaliste s’est présenté chez elle, sans s’identifier, pour lui montrer la vidéo du site Facebook. C’est alors qu’il lui a demandé si elle était au courant de cette vidéo et si elle avait des commentaires. Prise au dépourvu, ne sachant pas si la caméra de TVA filmait et enregistrait, elle lui a signifié qu’elle ne voulait pas commenter. Elle a dit craindre de s’évanouir. Le journaliste, M. Bégin, ne lui a pas demandé la permission de filmer, d’enregistrer ses propos ou de les diffuser par la suite. Lorsqu’il a quitté, la mère dit s’être effondrée en larmes et ne pas voir put aller visiter son fils à l’hôpital, par crainte d’être à nouveau assaillie par des journalistes.
Sur le sujet de la vie privée et des drames humains, le code de déontologie du Conseil précise : « Les drames humains et les faits divers qui relèvent de la vie privée sont des sujets particulièrement délicats à traiter à cause de leur caractère pénible tant pour les victimes que pour leurs proches […]. [Les journalistes] doivent se soucier d’informer réellement le public et doivent faire les distinctions qui s’imposent entre ce qui est d’intérêt public et ce qui relève de la curiosité publique. […] Les médias et les journalistes doivent donc prendre les plus grandes précautions pour ne pas exploiter le malheur d’autrui. » (DERP, pp. 42-43) En outre, le code stipule également que les médias et les journalistes « doivent éviter de glisser dans ce que l’on pourrait appeler du « journalisme d’embuscade » où l’objectif apparaît davantage de piéger les personnes ou les instances mises en cause dans l’enquête que de servir l’intérêt public ». (DERP, p. 27)
L’entrevue réalisée avec la mère du jeune Mineau-Simoneau pose de sérieux problèmes déontologiques. Le Conseil considère que les conditions dans lesquelles le journaliste a interviewé la mère n’étaient pas équitables et ne respectaient pas ses droits à la dignité et à la vie privée. Enregistrer au micro et à la caméra, sans avis préalable et sans autorisation la mère du jeune accusé, l’obliger à regarder la vidéo de son fils et exiger une réaction à vif sans lui accorder un moment de réflexion, tout cela constituait du journalisme d’embuscade, un abus de pouvoir et un comportement inéquitable aucunement justifié par l’intérêt public. Ceci est d’autant moins acceptable que le journaliste constatait clairement que la mère était fortement perturbée et en désarroi suite aux événements qui se bousculaient dans sa vie personnelle.
La diffusion de cette entrevue constitue une faute déontologique encore plus sérieuse compte tenue du fait que les responsables ont eu le temps de constater que cette entrevue n’apportait rien d’utile et de pertinent au public, mais ont néanmoins décidé de la diffuser et d’exploiter ainsi le drame et le malheur dans lesquels était plongé la mère. Cet événement s’inscrit dans une tendance malheureuse de plusieurs médias à mettre davantage l’accent sur l’information-spectacle que sur l’intérêt public.
Le Conseil juge que le journaliste et la direction de TVA ont commis une faute de déontologie et retient donc le grief de non-respect de la vie privée, d’utilisation de procédés inéquitables et de sensationnalisme.
Refus de collaborer
Le Groupe TVA inc. n’a pas souhaité répondre à la plainte de M. Pierre Larocque en raison de leur retrait du Conseil de presse depuis décembre 2008.
Le Conseil reproche au Groupe TVA inc. son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient la plainte de M. Pierre Larocque et blâme le journaliste M. Patrick Bégin, M. François Paradis, animateur de l’émission « TVA en direct » ainsi que le Groupe TVA pour atteinte à la vie privée et utilisation de procédés inéquitables et sensationnalisme.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le Groupe TVA inc.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C23E Enregistrement clandestin
- C24A Manque de collaboration