Plaignant
M. Sylvain Boucher
Mis en cause
M. Nicolas Mavrikakis, chroniqueur; M. Simon Jodoin, rédacteur en chef et le bimensuel Voir
Résumé de la plainte
M. Sylvain Boucher dépose une plainte le 5 février 2013 contre M. Nicolas Mavrikakis, chroniqueur au journal Voir, relativement à une série d’articles publiés les 19 et 29 octobre 2012 et début 2013. M. Boucher estime que M. Mavrikakis, qui est journaliste, mais aussi commissaire pour certaines galeries, initiateur d’événements et exposant dans d’autres galeries, se trouve en apparence de conflit d’intérêts lorsqu’il traite de ces expositions dans ses articles et dans son blogue.
Analyse
Grief 1 : apparence de conflit d’intérêts
M. Sylvain Boucher reproche à Nicolas Mavrikakis de travailler comme journaliste pour le Voir tout en étant commissaire pour la galerie SAS et initiateur d’événements à la galerie Division, où il participait à l’exposition hommage à Mathieu Lefèvre, qui a fait l’objet d’un article. De plus, le plaignant souligne que le mis en cause a lui-même exposé à la galerie Joyce Yahouda, une galerie dont il parle également dans le journal. M. Boucher y voit une apparence de conflit d’intérêts, puisqu’il n’y a aucune ligne tracée entre son devoir de neutralité et son implication dans le milieu.
M. Simon Jodoin, rédacteur en chef au Voir dit connaître les diverses occupations de M. Mavrikakis et être au courant de ses projets extérieurs à la publication : « Loin d’être pour nous un conflit d’intérêts, il s’agit bien plutôt des raisons pour lesquelles nous l’embauchons. En effet, M. Mavrikakis est très actif dans le milieu des arts visuels et c’est tant mieux. » M. Jodoin rappelle qu’un des billets du blogue de M. Mavrikakis portait sur l’exposition du peintre Mathieu Lefèvre décédé accidentellement. L’auteur expliquait : « Mes lecteurs ne m’en voudront certainement pas si je me permets de signaler un événement auquel je participe activement ». Ainsi M. Mavrikakis, écrit le rédacteur en chef du Voir, n’a jamais tenté de dissimiler quoi que ce soit. Il ajoute que les blogues sur Voir sont des tribunes libres où les auteurs publient sans passer par le filtre de la rédaction, qu’ils ont le droit de traiter de ce qu’ils veulent et qu’il s’agit pour Voir d’une richesse et non d’un problème.
M. Mavrikakis, pour sa part, confirme qu’il cumule plusieurs fonctions dans le milieu des arts visuels. Il répond qu’il n’a reçu aucun montant d’argent ou de cadeau pour sa participation à l’exposition-hommage à Mathieu Lefèvre, un ami. Il a de plus indiqué clairement à ses lecteurs ce qu’il en était. Quant à l’exposition de photos qu’il a préparée pour la galerie SAS, M. Mavrikakis affirme qu’il n’en a pas parlé dans le journal Voir. Enfin, il dit ne pas avoir à s’excuser d’avoir commis une œuvre à la galerie Joyce Yahouda, une galerie dont il ne couvre pas plus souvent les artistes que d’autres. « J’écris sur qui je veux. Cette liberté je l’ai acquise par des années de travail sérieux. »
Dans son guide de déontologie, le Conseil souligne : « Les entreprises de presse et les journalistes doivent éviter les conflits d’intérêts. Ils doivent, au surplus, éviter toute situation qui risque de les faire paraître en conflit d’intérêts, ou donner l’impression qu’ils ont partie liée avec des intérêts particuliers ou quelque pouvoir politique, financier ou autre […]. Tout laxisme à cet égard met en péril la crédibilité des organes de presse et des journalistes, tout autant que l’information qu’ils transmettent au public. Il est impérieux de préserver la confiance du public quant à l’indépendance et à l’intégrité de l’information qui lui est livrée et envers les médias et les professionnels de l’information qui la collectent, la traitent et la diffusent. Il est essentiel que les principes éthiques en la matière, et que les règles de conduite professionnelle qui en découlent, soient respectés rigoureusement par les entreprises de presse et les journalistes dans l’exercice de leurs fonctions. Même si l’information transmise respecte les critères d’intégrité et d’impartialité, il importe de souligner que l’apparence de conflit d’intérêts s’avère aussi préjudiciable que les conflits d’intérêts réels. » (DERP, pp. 24-25)
Le Conseil partage l’opinion du plaignant voulant que M. Mavrikakis se soit placé en situation d’apparence de conflit d’intérêts et considère qu’une apparence de conflit d’intérêts ne se dissipe pas du simple fait de l’admettre. Autrement dit, si la transparence à cet égard est effectivement une vertu, elle n’est cependant pas une fin en soi, et ni le public ni les journalistes ne devraient s’en satisfaire. Qu’un journaliste soit très honnêtement convaincu qu’il n’est d’aucune manière affecté par un conflit d’intérêts ne saurait clore la question, puisque l’apparence de conflit d’intérêts est tout autant dommageable, aux yeux du public. Dans le cas présent, le Conseil estime que M. Mavrikakis aurait dû s’empêcher de commenter l’événement « hommage à Mathieu Lefèvre », de même que les expositions d’une galerie où il a déjà lui-même exposé ses œuvres, puisqu’il était en situation d’apparence de conflit d’intérêts.
Le Conseil considère également qu’il est de la responsabilité du journal Voir de s’assurer que ses journalistes, collaborateurs et blogueurs ne se retrouvent pas en apparence de conflit d’intérêts ou même en conflit d’intérêts. À cet égard, le Conseil tient ici à rappeler que les médias d’information sont responsables de tout le contenu qu’ils publient, et qu’ils ne sauraient se soustraire aux obligations qui leur incombent sous prétexte que certaines formes de contenu – en l’occurrence, les billets de blogue – échappent aux filtres éditoriaux traditionnels. Les blogues et les chroniques ne sont rien de moins que des textes d’opinion, et doivent en conséquence respecter les règles déontologiques qui s’y appliquent, et l’absence de conflit d’intérêts en fait partie.
Pour toutes ces raisons, le Conseil retient le grief pour apparence de conflit d’intérêts.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Sylvain Boucher contre M. Nicolas Mavrikakis, chroniqueur et Voir pour apparence de conflit d’intérêts.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
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