Plaignant
MM. Jean-F. Proulx et Bruno Lavigne
Mis en cause
M. Alexandre Pratt, directeur de l’information et La Presse+
Résumé de la plainte
MM. Jean-F. Proulx et Bruno Lavigne déposent respectivement une plainte les 1er et 23 décembre 2014 au sujet de textes publiés les 1er, 20 et 21 décembre 2014, dans la section XTRA de La Presse+ (accessible via l’application pour tablette numérique), intitulés « D’où provient notre pétrole? »; « Le raffinage au Québec, un élément essentiel de notre indépendance énergétique »; « Facile et utile le sans-fil » et « Décrochez pour le temps des Fêtes ». Les plaignants reprochent aux mis en cause un manque de distinction entre, d’une part, ces textes publicitaires et, d’autre part, le contenu éditorial publié quotidiennement par La Presse+.
Analyse
Grief 1 : omission de distinguer information et publicité
M. Jean F. Proulx déplore que les textes « D’où provient notre pétrole? » et « Le raffinage au Québec, un élément essentiel de notre indépendance énergétique » aient été publiés sans « mention explicite et facile à décoder qui aurait pu informer le lecteur que le contenu n’était pas de nature journalistique ».
Seule une mention « XTRA Industrie pétrolière » apparaissait au-dessus des textes, dans le coin supérieur gauche de l’écran. M. Proulx estime que cette mention renforce la confusion pour le lecteur, plutôt que la dissiper.
D’une part, de l’avis du plaignant, le fait que le terme XTRA apparaisse au même endroit et ait la même taille que les titres de sections journalistiques risque d’amener les lecteurs à penser que les contenus sont de même nature. Il ajoute que le terme XTRA peut être interprété par le lecteur comme une section de « contenu extra » ou de « contenu supplémentaire » thématique, dédiée à des reportages journalistiques. « Une mention claire “contenu publicitaire” ou “publicité” ou “publireportage” serait la manière traditionnelle et honnête d’identifier le contenu publicitaire », soutient-il.
D’autre part, l’expression « Industrie pétrolière », quant à elle, ne permet pas, selon le plaignant, d’identifier le ou les commanditaires des textes. « L’utilisation des termes “Industrie pétrolière” n’est pas clairement associée à une marque ou une compagnie qui ferait office d’annonceur. Ces termes sont génériques et sont très couramment utilisés dans des contextes journalistiques. »
M. Bruno Lavigne avance des arguments semblables à ceux de M. Proulx, dans sa plainte visant les textes « Facile et utile le sans-fil » et « Décrochez pour le temps des Fêtes ».
Il ajoute que l’omission de faire une distinction claire entre ces textes et le contenu rédactionnel « est d’autant plus problématique en considérant qu’il s’agit de publireportages empruntant clairement les formes de traitement et de présentation de l’information journalistique. […] La présentation visuelle des XTRA et la présence d’images, de photos, de textes sont en tout point similaires à [celle] des articles rédactionnels publiés dans La Presse+ ».
Me Patrick Bourbeau, affaires juridiques, La Presse, fait valoir pour les mis en cause que le guide de déontologie du Conseil de presse du Québec, Droits et responsabilités de la presse (DERP) mentionne qu’« il relève de la prérogative de l’éditeur d’établir la politique d’un organe d’information en matière de publicité ».
Me Bourbeau note que cette politique peut être appelée à évoluer, « afin de s’arrimer […] aux habitudes des consommateurs et aux outils publicitaires pouvant être utilisés dans les médias électroniques et numériques ».
Selon les mis en cause, « de nombreuses études démontrent que les consommateurs sont de plus en plus conscients des codes et mécanismes publicitaires et ne sauraient être considérés comme des néophytes en cette matière ».
Me Bourbeau explique qu’afin d’identifier clairement les textes publicitaires de la section XTRA et de les distinguer de l’information journalistique, les moyens suivants ont été utilisés pour identifier et distinguer les contenus et pour éliminer toute confusion :
- la mention XTRA au haut de l’écran;
- le nom du commanditaire à la suite de la mention XTRA (dans le cas des textes visés par la présente plainte figurent les mentions « XTRA STÉRÉO+ »; « XTRA TELUS »; « XTRA INDUSTRIE PÉTROLIÈRE »);
- l’utilisation de la police « Muséo » pour la mention XTRA;
- l’utilisation de polices distinctes pour le contenu rédactionnel et pour le contenu publicitaire;
- un cadre gris entourant le contenu publicitaire;
- l’absence de couleur pour la section XTRA dans le menu latéral de La Presse+, alors que les noms de sections de contenu rédactionnel sont présentés sur fond coloré;
- l’absence de signature des textes publicitaires.
À leurs remarques au sujet de la mention XTRA, les plaignants ajoutent que la police de caractère, ainsi que le cadre gris ne contribuent nullement à distinguer les contenus publicitaires des contenus rédactionnels. M. Lavigne précise que ces éléments « ne sont aucunement des indices visuels clairs ou manifestes qui permettent de savoir que nous sommes en présence de contenu qui a été payé » et déplore l’absence de logo de l’annonceur dans la présentation des textes de la section XTRA.
À l’affirmation de Me Bourbeau, qui avance que « de nombreuses études démontrent que les consommateurs sont de plus en plus conscients des codes et mécanismes publicitaires », M. Proulx réplique que « prétendre qu’une certaine partie des lecteurs est consciente des codes et mécanismes publicitaires ne soustrait pas La Presse+ de son devoir d’identifier clairement les textes publicitaires ». Cette responsabilité est d’autant plus importante qu’une portion du public, moins informée au sujet de ces codes et mécanismes, risque d’être trompée. Le plaignant ajoute qu’étant donné les méthodes peu efficaces mises en place pour la distinction des contenus, la confusion est possible même chez les lecteurs avisés et assidus de La Presse+.
Dans le même esprit, M. Lavigne réagit à l’argument des mis en cause selon lequel la politique publicitaire doit évoluer « afin de s’arrimer […] aux outils publicitaires pouvant être utilisés dans les médias électroniques et numériques ». Cela « ne doit pas devenir une excuse pour tromper le public », ajoute le plaignant.
Enfin, M. Lavigne soutient que le public n’a pas « à se placer dans une situation d’hyper vigilance de manière à détecter si un journal publie un texte journalistique ou encore une publicité qui prend l’apparence d’un texte journalistique. Qu’il soit papier, web ou encore numérique, un média demeure un média et l’entité qui le publie a une responsabilité et un devoir de transparence envers les gens qui le lisent ».
Dans son guide de déontologie, le Conseil stipule que : « Il relève de la prérogative de l’éditeur d’établir la politique d’un organe d’information en matière de publicité. » Toutefois, le guide précise également que « les médias doivent établir une distinction nette entre l’information et la publicité sur tous les plans : contenu, présentation, illustration. Tout manquement à cet égard est porteur de confusion auprès du public quant à la nature de l’information qu’il croit recevoir. »
Il est également mentionné que : « Non seulement les médias doivent-ils identifier clairement les textes et les émissions publicitaires, mais ils doivent les présenter dans une forme qui les distinguent de façon manifeste, par leur mise en page ou leur mise en ondes, des textes et des émissions qui relèvent de l’information journalistique. Cela est d’autant plus important dans le cas des publireportages dans la mesure où ceux-ci empruntent justement les formes de traitement et de présentation de l’information journalistique. » (DERP, p. 31)
Le Conseil observe d’emblée que la mention XTRA ne se rapporte à aucun mot français désignant une publicité ou un élément promotionnel. Il s’agit d’un terme inventé, suggérant le mot « extra », qui non seulement n’indique pas qu’un annonceur a payé pour la création d’un contenu, mais pourrait bien convenir comme titre d’une section s’ouvrant sur un reportage journalistique, par exemple. Pour le Conseil, ce terme « XTRA » entraîne un degré de confusion qui ne permet pas d’établir une distinction nette entre l’information journalistique et la publicité.
Le Conseil juge également que la différence entre les polices de caractère utilisées dans la section XTRA et dans les sections rédactionnelles n’est pas suffisamment importante pour aider le lecteur à faire la distinction entre les deux types de contenu.
De la même façon, on doit reconnaître que l’encadré gris ne peut être considéré comme une référence acceptée et reconnue par tous en matière de distinction de ce qui relève du publicitaire et de ce qui relève du rédactionnel. Il s’agit plutôt d’un code, créé par La Presse+, et qui n’a pas la portée d’une convention.
De même l’absence de signature ne peut agir, à elle seule, comme un élément distinctif de la publicité.
Ainsi, on doit conclure que ces éléments et les autres moyens cités par les mis en cause, qu’ils soient considérés individuellement ou de façon combinée, ne parviennent pas à identifier clairement les contenus publicitaires visés par la présente plainte et à les distinguer de façon manifeste du contenu journalistique.
Il est à noter qu’aux yeux du Conseil, il est également important que le commanditaire d’un contenu soit identifié clairement. S’il est vrai que dans les cas des textes « Facile et utile le sans-fil » et « Décrochez pour le temps des Fêtes », figurait, aux côtés de la mention XTRA, le nom des annonceurs (Stéréo+ et Telus), reste que le ou les commanditaires des deux autres textes sont passés sous silence. En effet, l’expression « industrie pétrolière » est vague et ne permet pas d’identifier qui paye pour le contenu présenté.
Par ailleurs, dans le cas de Stéréo + et de Telus, le nom de l’annonceur est écrit dans le même caractère d’imprimerie que la mention XTRA. L’utilisation de cette même police pour désigner la section et le commanditaire fait que l’ensemble ressemble plus à un titre identifiant la section ou une série d’articles qu’à une divulgation de l’identité de l’annonceur qui paie pour le contenu qui suit. À cet égard, l’utilisation du logo de l’annonceur avec ses couleurs et sa calligraphie distinctives contribuerait davantage à attirer l’attention du lecteur sur la véritable nature du contenu qui suit.
De façon générale, le Conseil est d’avis que les mesures mises en place afin de distinguer les contenus journalistiques des contenus publicitaires de la section XTRA, dans La Presse+, ne sont pas suffisantes et que le lecteur moyen peut facilement être trompé quant à la nature de l’information qu’il reçoit lorsqu’il parcourt cette section. Autrement dit, la distinction n’est pas du tout « claire » ou « manifeste ». À cet égard, les membres du comité des plaintes soulignent qu’ils ont eux-mêmes eu de la difficulté à faire cette distinction, ce qui témoigne avec éloquence du degré de confusion auquel est exposé le public en général.
Selon le Conseil, un contenu publicitaire doit pouvoir, à sa face même, être identifié comme tel. Le lecteur moyen doit être en mesure de faire cette constatation au premier coup d’oeil, sans que ne soit requise de sa part une recherche ou une action quelconque. Les cas présentés par les plaignants ne satisfont pas à ce critère, et les pratiques qu’ils dévoilent méritent en conséquence d’être revues par La Presse+.
Pour ces raisons, le grief d’omission de distinguer information et publicité est retenu.
Il n’est pas inutile de rappeler ici que les cas portés à l’attention du Conseil, dans la présente plainte, se situent dans la mouvance de ce que l’on désigne aujourd’hui sous l’expression de « publicité indigène ». Dans un souci d’alimenter la réflexion sur ce sujet d’actualité, le Conseil aimerait faire quelques observations à ce sujet.
La publicité indigène est une pratique relativement nouvelle et très populaire, qui consiste à intégrer des contenus commandités au coeur des contenus journalistiques.
Bien qu’il soit de la prérogative des médias de juger des moyens à mettre en place pour distinguer contenus publicitaires et rédactionnels, il demeure qu’ils ont le devoir de faire cette distinction clairement et sans aucune ambiguïté. Ainsi, les nouveaux codes et mécanismes propres à la publicité indigène, qui reflètent des préoccupations commerciales ou propres au marketing, ne doivent pas se soustraire à la norme déontologique en matière de distinction claire de ces contenus, par rapport aux produits journalistiques. Le respect de cette norme, pour toute forme de publicité, est nécessaire à la préservation de l’intégrité, de l’indépendance et de la crédibilité des médias.
Le Conseil constate que de nombreux médias de renom ont créé leur propre équipe de conception de publicité indigène, comme le New York Times, le Washington Post, The Guardian et The Economist, tout en montrant une volonté de satisfaire à ce devoir de clarté. À preuve, ces médias ont opté pour des mentions sans équivoque, apposées en permanence aux côtés de leur publicité indigène, comme « paid for and posted by »; « sponsor-generated content »; « advertisement feature » ou « sponsored by ». Ces mentions, que l’on peut traduire librement par : « payé et publié par »; « contenu produit par un commanditaire »; « reportage publicitaire » ou « commandité par », sont des exemples desquels il est possible de s’inspirer, dans une démarche visant à éliminer toute confusion possible pour le public.
Par ailleurs, le Conseil est d’avis qu’un média a également un devoir d’expliquer clairement à son public comment il entend distinguer le contenu publicitaire et promotionnel de son contenu journalistique. À la connaissance du Conseil, une telle information n’est pas accessible aux lecteurs de La Presse+.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de MM. Jean-F. Proulx et Bruno Lavigne et blâme La Presse+, pour le grief d’omission de distinguer information et publicité.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- Mme Audrey Murray
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
- Mme Caroline Belley
- M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
- M. Sylvain Poisson
- M. Luc Simard
Analyse de la décision
- C21A Publicité déguisée en information