Représentant du plaignant
M. François Blaney
Mis en cause
M. Pascal Faucher, journaliste et le quotidien La Voix de l’Est
Résumé de la plainte
M. François Blaney dépose plainte, le 28 janvier 2016, contre M. Pascal Faucher, journaliste, M. François Beaudoin, rédacteur en chef, et le quotidien La Voix de l’Est, pour un article intitulé « Mince victoire de “la dame aux chats” », publié le 1er décembre 2015. Le plaignant juge que l’article comporte des informations inexactes et incomplètes, et dénonce en outre un refus de publier un correctif.
L’article relate une décision rendue en Cour supérieure dans une affaire opposant François Blaney et Donna Wilson, qui étaient les demandeurs, contre la Ville de Cowansville et Carl Girard (de la SPA), qui étaient les défendeurs. Ils étaient notamment poursuivis pour avoir euthanasié illégalement une vingtaine de chats appartenant à Mme Wilson et vivant avec elle.
Analyse
Grief 1 : inexactitudes
1.1 Statut de M. Blaney dans la poursuite
M. Blaney relève qu’il était inexact d’affirmer, comme le fait le journaliste, que « dans sa poursuite, la “dame aux chats” était soutenue par François Blaney, de la fondation Dignité, amour et compassion. » Le plaignant précise qu’il était plutôt demandeur, dans la poursuite contre la Ville de Cowansville.
Dans sa réplique, M. Faucher ne répond pas directement au grief du plaignant, se contentant d’affirmer que « L’article ne mentionne aucunement que la fondation de M. Blaney, Dignité, amour et compassion, qui vient en aide aux animaux “errants, abandonnés ou blessés” soutenait la poursuite de ce dernier et de Donna Wilson (ils étaient codemandeurs). »
En matière d’exactitude, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse précise, à l’article 9, alinéa a) (Qualités de l’information, exactitude) que : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ».
Or, il est manifeste que le texte de M. Faucher donnait à comprendre que M. Blaney jouait dans cette poursuite un rôle secondaire, celui de « souteneur » de la demanderesse, ce qui n’était pas le cas, puisqu’il était demandeur, au même titre que Mme Wilson. Dans le cadre de la couverture d’un procès, le Conseil est d’avis que cette nuance était importante.
Le grief d’inexactitude est retenu sur ce point.
1.2 Poursuite personnelle
M. Blaney souligne qu’il a poursuivi la Ville à titre de citoyen et non en tant que directeur de la Fondation Dignité, amour et compassion, qui n’est pas impliquée dans le procès et qui n’aurait donc pas dû être mentionnée dans l’article, selon lui.
À cela, M. Faucher réplique qu’il a « simplement mentionné que M. Blaney est président d’une fondation dont le mandat est intrinsèquement lié au procès en cours, ce qui [lui] apparaissait être une information pertinente ».
Sur ce point, le Conseil donne raison au mis en cause. Dans la mesure où l’article ne laisse pas entendre que la Fondation de M. Blaney était effectivement une partie au litige, il n’y a pas d’inexactitude, et comme le souligne le journaliste, le simple fait de rappeler le lien entre cette fondation et le plaignant n’était pas de nature à tromper le public.
Le grief d’inexactitude est rejeté sur ce point.
1.3 Droit d’évincer
Le plaignant soulève qu’il était inexact d’affirmer que « la Ville et la Société protectrice des animaux (SPA) des Cantons étaient en droit d’évincer Donna Wilson de chez elle ». M. Blaney affirme que la SPA et la Ville n’avaient pas ce pouvoir légal.
M. Faucher relève que dans sa décision, la juge Mireault de la Cour supérieure « indique clairement que l’évacuation de Mme Wilson “était absolument nécessaire, tant pour sa sécurité personnelle que pour celle des autres locataires” (paragraphe 212) ».
Selon le Conseil, la décision laisse peu de place quant au caractère licite de l’évacuation de Mme Donna Wilson :
« [212] Quoi qu’en dise cette femme [Mme Donna Wilson], son évacuation temporaire était absolument nécessaire, tant pour sa sécurité personnelle que pour celle des autres locataires.
[…]
[215] Or, ceci est suffisant pour la soussignée [la juge Mireault], sans se pencher sur la question de la salubrité, pour lui permettre de conclure que l’article 40(3) de la Loi sur la sécurité incendie s’appliquait en l’espèce. M. Ouellette aurait été négligent et téméraire s’il avait laissé D. Wilson dans son appartement.
[216] Il a pris la bonne décision.
[217] Même si une telle décision pouvait constituer une atteinte aux droits fondamentaux de D. Wilson, elle était justifiée en l’espèce.
[…]
[221] La municipalité n’a commis aucune faute engendrant sa responsabilité. »
Le grief d’inexactitude est rejeté sur ce point.
1.4 Évaluation des chats par une vétérinaire
M. Blaney soutient que l’affirmation du maire Arthur Fauteux, citée dans l’article, à l’effet que la Ville a « fait évaluer [l’état des chats] par une vétérinaire qui […] a fortement conseillé de procéder à l’euthanasie en raison de leur état de santé précaire » est inexacte.
Une telle évaluation n’a pas été faite et la Ville a fait euthanasier les chats sans avis d’un vétérinaire, selon lui.
Dans sa réplique, M. Faucher reconnaît l’inexactitude de l’affirmation faite par le maire, mais allègue du même coup que ce n’est que dans une rétractation postérieure à la publication de l’article, soit le 27 janvier 2016, que la Ville a reconnu ce fait. Il précise que cette rétractation « a fait l’objet d’un article supplémentaire paru dans La Voix de l’Est le 28 janvier 2016 ».
Enfin, M. Faucher rappelle qu’au « moment de la rédaction de l’article du 1er décembre 2015, il s’agissait de la position officielle de la Ville, transmise par communiqué de presse et je n’avais ni les connaissances ni l’autorité de la contester ».
Dans un échange de courriel entre M. Faucher et le plaignant entre les 1er et 8 décembre 2015, ce dernier réplique qu’il estime qu’il était de la responsabilité du journaliste de vérifier les affirmations que la Ville faisait par communiqué avant de les publier.
Le Conseil a bien analysé le dossier : la décision rendue en Cour supérieure (27 octobre 2015), les enregistrements des témoignages du maire Arthur Fauteux (6 mai 2014) et Mme Marie-Claude Brochu, la vétérinaire qui a procédé à l’euthanasie des chats (5 mai 2014), de même que l’interrogatoire après défense de M. Carl Girard, directeur de la Société protectrice des animaux des Cantons (6 janvier 2012).
Le témoignage du maire Fauteux n’apporte aucune preuve concluante quant à l’existence d’une évaluation, et ne fait que laisser planer un doute : lorsqu’on lui demande si les chats ont été vus par un vétérinaire, il répond qu’il ne sait pas.
De la même manière, dans son témoignage, la vétérinaire qui a procédé à l’euthanasie des chats, Mme Brochu, confirme qu’elle n’a pas elle-même procédé à une évaluation approfondie de leur état de santé, sans cependant se prononcer sur l’existence d’une telle évaluation.
Après analyse, il appert donc que l’interrogatoire après défense de M. Girard est le seul et unique endroit où il est clairement affirmé que la Ville de Cowansville n’a pas fait faire une évaluation de l’état de santé des chats. Sa réponse est sans équivoque. Or, bien que disponible à quiconque en aurait fait la demande, on doit du même souffle rappeler que ce témoignage datait du 6 janvier 2012, soit près de quatre ans avant le jugement.
Le jugement lui-même ne permettait pas de conclure à l’inexistence d’une évaluation de l’état de santé des chats. On y chercherait en vain une preuve que le communiqué de la Ville était mensonger.
Dans les circonstances, le Conseil estime qu’il serait exagéré de juger qu’en omettant de consulter un témoignage livré quatre ans plus tôt, le journaliste Pascal Faucher n’a pas pris les moyens raisonnables pour offrir au public une information de qualité.
Le grief d’inexactitude est rejeté sur ce point.
Le grief d’inexactitudes est donc retenu sur un seul point, soit celui du statut de M. Blaney dans la poursuite.
Grief 2 : information incomplète
M. Blaney juge que l’information présentée dans l’article est incomplète, estimant que les éléments suivants sont manquants :
- réprimande qu’aurait faite la juge au maire concernant sa présence sur les lieux de l’inspection chez Mme Wilson;
- inaction dont aurait fait preuve M. Carl Girard face à une demande d’intervention d’un pompier;
- invalidation par la juge, pour motif d’inconstitutionnalité, de règlements de la Ville de Cowansville;
- mention par le plaignant que « les animaux auraient pu être sauvés par le MAPAQ si la Ville aurait agit [sic] légalement ».
Dans sa réplique, le journaliste écrit : « Il va de soi qu’un article de journal ne peut contenir autant d’information qu’un jugement de 45 pages. Une sélection doit être faite entre les informations fraîches, les rappels et les réactions. Dans le souci de ne garder que ce qui est jugé important et de respecter la longueur d’article qui m’était impartie, j’ai omis certains détails que je jugeais moins pertinents, comme le font tous les journalistes. »
En matière de complétude, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse précise, à l’article 9, alinéa e) (Qualités de l’information, complétude) que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Sur ce point, le Conseil donne entièrement raison au mis en cause, jugeant que les éléments que le plaignant aurait voulu voir insérés dans l’article n’étaient pas absolument essentiels à la bonne compréhension du sujet traité. Les journalistes et les médias sont libres de choisir l’angle de traitement d’un sujet. Force est de constater que le journaliste ici a choisi de rapporter les grandes lignes d’une décision judiciaire, de même que les réactions de certaines des parties au litige.
Le grief pour information incomplète est donc rejeté.
Grief 3 : refus de faire un correctif
M. Blaney juge que des correctifs auraient dû être apportés, en lien avec les inexactitudes qu’il soulève, mais le journaliste n’a pas accédé à cette demande, malgré des échanges de courriels et une conversation téléphonique avec lui à ce sujet.
M. Faucher juge que, comme il estime qu’il n’a commis aucune faute, « il ne [lui] apparaissait pas pertinent de publier un rectificatif ». Il rappelle cependant « qu’un article supplémentaire a été publié le 28 janvier 2016 concernant la rétractation de la Ville de Cowansville (l’évaluation par un vétérinaire) ».
En matière de correction des erreurs, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse précise, à l’article 27.1 (Correction des erreurs) : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
L’évaluation d’une faute pour omission de corriger une erreur procède nécessairement d’abord en s’attardant à déterminer si une demande a bel et bien été formulée aux personnes responsables. Dans le cas présent, il ne fait aucun doute que la demande a été très clairement exprimée sur un point : le fait que contrairement à ce qu’affirmait la Ville de Cowansville par communiqué, les chats n’avaient pas fait l’objet d’une évaluation par un vétérinaire avant d’être euthanasiés.
Le Conseil a déterminé précédemment qu’on ne pouvait reprocher au journaliste d’avoir manqué à ses obligations en matière d’exactitude en rapportant la version des faits présentés par la Ville, considérant que les preuves du contraire n’étaient pas directement disponibles – ni dans le jugement ni dans les versions des faits des principaux témoins.
Or, il est également vrai que le plaignant, par courriel, a fourni au journaliste tous les éléments prouvant l’inexactitude des faits avancés par le communiqué de la Ville. Ainsi, à partir de ce moment, il avait en main tous les éléments nécessaires pour vérifier les dires de M. Blaney, et il était dès lors très facile de s’apercevoir que ce dernier disait vrai, et que la Ville disait faux. Pour cela, nul besoin d’attendre que la municipalité de Cowansville se rétracte officiellement, près de deux mois plus tard.
Dans les circonstances, le Conseil juge ainsi qu’il était de la responsabilité de M. Faucher de corriger l’information publiée dès qu’il fût informé des inexactitudes contenues dans son texte, car comme le prévoit le Guide, les journalistes et les médias doivent corriger leurs erreurs « pleinement et rapidement ».
Le grief pour refus de faire un correctif est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. François Blaney et blâme M. Pascal Faucher, journaliste, et le quotidien La Voix de l’Est pour les griefs d’informations inexactes et refus de faire un correctif. Il rejette cependant le grief pour information incomplète.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Audrey Murray
Présidente par intérim du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- Mme Audrey Murray
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- Mme Maxime Bertrand
- M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
- M. Éric Latour
- Mme Nicole Tardif
Date de l’appel
19 April 2018
Appelant
Pascal Faucher, journaliste
Le quotidien La Voix de l’Est
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à deux griefs :
Grief 1 : inexactitudes
Grief 2 : refus de publier un correctif
Grief 1 : inexactitudes
L’appelant, le journaliste Pascal Faucher, considère que l’utilisation du verbe « soutenir » n’exclut pas que M. Blaney était codemandeur dans cette poursuite. Il précise que cette information avait été signifiée dans un article précédent, le 8 mai 2014.
Il explique que, pour varier le vocabulaire, il a écrit que M. Blaney « soutenait » l’autre demandeur, Mme Donna Wilson, « au sens où tout en étant codemandeur, il acceptait de témoigner en sa faveur ».
L’intimé, M. François Blaney, affirme qu’il était en cour (1) pour défendre ses intérêts personnels et non ceux de Mme Wilson et (2) comme témoin de Mme Wilson pour « dénoncer » le traitement qu’ont subi les chats de cette dernière lorsqu’ils se sont retrouvés en possession de la Ville.
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelant n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à l’exactitude.
Les membres rejettent l’appel sur le grief d’informations inexactes.
Grief 2 : refus de publier un correctif
L’appelant argue que s’il n’a « pas corrigé l’erreur avant, c’est parce qu’après ma conversation avec M. Blaney, j’ai joint le service des communications de la Ville pour vérifier s’ils maintenaient toujours leur version et on m’a répondu que c’était le cas (je n’ai malheureusement pas de trace de cet appel) ».
Il affirme qu’il « n’avait donc aucun moyen de confirmer que M. Blaney disait vrai et que la Ville mentait – je n’étais bien sûr pas présent lors de l’évaluation des chats saisis avant que Cowansville ne le reconnaisse par communiqué. Ce communiqué a ensuite fait l’objet d’un article supplémentaire publié le 28 janvier 2016 ».
L’intimé, M. Blaney, revient sur le procès de Mme Wilson de 2014. Il affirme que le journaliste « était présent à ce procès » et avance qu’il « savait déjà le 5 mai au soir, avant qu’il n’écrive son article qui a été publié le lendemain, (…) que les chats n’avaient reçu aucune évaluation vétérinaire durant leur séjour à la ville de Cowansville et durant la saisie illégale des chats (…) ».
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelant n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif au refus de publier un correctif.
Les membres rejettent l’appel sur le grief de refus de publier un correctif.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Pierre Thibault, président de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
- M. Pierre Thibault
Représentante des journalistes :
- Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
- M. Renel Bouchard