Plaignant
Mme Francine Beaudouin
Mis en cause
MM. Yanick Poisson, journaliste, Éric Beaupré, photographe et Maurice Cloutier, rédacteur en chef et le quotidien La Tribune et le site Internet de La Tribune
Résumé de la plainte
Mme Francine Beaudouin dépose une plainte le 29 février 2016 contre le journaliste Yanick Poisson, le photographe Éric Beaupré, le quotidien La Tribune et son site Internet concernant l’article « Douze mois dans la collectivité pour avoir fraudé l’aide sociale », publié le 9 février 2016. La plaignante déplore l’utilisation injustifiée d’un procédé clandestin, le non-respect d’une demande d’anonymat et la publication d’information inexacte.
L’article rapporte la peine imposée à une femme reconnue coupable d’avoir fraudé le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. La plaignante a agi comme interprète au cours de l’enquête policière ayant précédé le procès, auquel elle a assisté.
Analyse
Grief 1 : utilisation injustifiée d’un procédé clandestin
La plaignante déplore que le photographe mis en cause ait enregistré, à son insu, la conversation qu’elle a eue avec lui et un groupe de journalistes après le prononcé de la sentence dans un procès qu’elle a suivi.
Dans sa réplique, le journaliste plaide que la plaignante a offert volontairement une entrevue à des journalistes et souligne que l’enregistrement audio comme méthode de prise de note ne constitue pas un procédé clandestin. De son côté, le photographe déclare que la plaignante le confondait avec un journaliste d’un média concurrent lorsqu’elle l’a abordé. Il soutient avoir rapidement corrigé la méprise et proposé de transmettre ses commentaires au journaliste de La Tribune, Yanick Poisson. Le photographe affirme que son téléphone intelligent, qui lui servait de support pour l’enregistrement, était clairement visible durant l’entretien. Les mis en cause déposent en preuve le segment d’enregistrement envoyé au journaliste par le photographe. Un deuxième segment, jugé non pertinent par le photographe, n’a pas été transféré au journaliste et aurait donc été effacé.
Selon le journaliste, la plaignante tient dans ce premier enregistrement essentiellement les mêmes propos que ceux tenus lors d’un entretien téléphonique qu’il a eu avec elle, dans les jours précédant la sentence.
Dans ses commentaires, la plaignante soutient ne pas avoir remarqué le téléphone intelligent du photographe et elle réitère qu’il s’est joint à la conversation sans se présenter.
Le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse, à l’article 25, alinéa 1), stipule que : « Les journalistes peuvent avoir recours à des procédés clandestins lors de la collecte d’information lorsque ces deux conditions sont réunies : a) l’intérêt public l’exige et b) la probabilité existe qu’une approche ouverte pour recueillir l’information échouerait. »
Aux yeux du Conseil, la plaignante n’a pas fait la démonstration d’une atteinte à la déontologie. Le simple fait, pour un représentant des médias, d’enregistrer une conversation aux fins de notes est une pratique normale, reconnue et acceptée. De plus, à l’écoute de l’enregistrement mis en preuve par les mis en cause, le Conseil juge que la plaignante ne peut prétendre qu’elle ne savait pas qu’elle s’adressait à un représentant des médias, puisque le photographe lui demande ses coordonnées afin que le journaliste de La Tribune, qu’il identifie nommément, la rappelle.
Le grief d’utilisation injustifiée d’un procédé clandestin est rejeté.
Grief 2 : non-respect d’une demande d’anonymat
La plaignante dénonce que les mis en cause l’aient identifiée dans l’article alors qu’elle avait exigé l’anonymat. Elle soutient en avoir fait la demande à M. Poisson lors d’une conversation téléphonique qui a eu lieu une semaine avant le prononcé de la sentence. Jugeant que la femme reconnue coupable et son mari sont dangereux, elle affirme avoir fait la même demande au photographe de La Tribune ainsi qu’aux autres journalistes présents au palais de justice, parce qu’elle craignait pour sa sécurité si elle était identifiée.
De son côté, le journaliste souligne que la déontologie l’oblige à respecter une entente de communication avec une source pour laquelle il a donné son accord explicite. Dans le cas présent, si la plaignante souhaitait l’anonymat, il n’en a pas été informé, il n’a donc pas pu donner son accord explicite, fait-il valoir. Le journaliste et le photographe affirment que la plaignante n’a jamais demandé l’anonymat, que ce soit lors de l’entretien téléphonique ou au palais de justice.
Dans ses commentaires, la plaignante émet l’hypothèse que sa demande se trouvait sur le deuxième segment de l’enregistrement réalisé par le photographe et effacé depuis, selon ce dernier.
L’article 13, alinéa 1) du Guide précise que « Les journalistes tentent par tous les moyens à leur disposition de respecter les ententes de communication avec une source (confidentialité, off the record, non-attribution, embargo, etc.) pour lesquelles ils ont donné leur accord explicite, sauf si la source les a volontairement trompés. »
Le Conseil se trouve ici devant deux versions contradictoires et juge que la plaignante ne démontre pas de façon convaincante que les mis en cause avaient effectivement conclu avec elle une entente de confidentialité.
À la majorité, les membres (4/5) rejettent le grief de non-respect d’une demande d’anonymat. Un membre s’abstient.
Grief 3 : information inexacte
La plaignante considère que l’enregistrement sonore réalisé par le photographe a permis au journaliste de rédiger son article en laissant croire qu’il était au palais de justice, alors que dans les faits il en était absent. Elle pointe le fait que le journaliste la cite mot pour mot, ce qui laisse croire qu’elle discutait avec lui, ainsi que l’utilisation de l’expression « au moment d’acquiescer » dans la phrase suivante de l’article : « Au moment d’acquiescer à la suggestion commune des procureurs, la juge Marie-Josée Ménard a indiqué qu’il s’agissait là d’une peine sévère […] ». Elle soutient qu’au cours d’une conversation téléphonique, le rédacteur en chef a reconnu que l’article laissait croire que le journaliste était présent à la Cour, lors du prononcé de la sentence et qu’il ne cautionnait pas ce genre de pratique.
Dans sa réplique, le rédacteur en chef indique avoir rappelé au journaliste mis en cause les directives du journal « pour la couverture des événements se déroulant plus spécifiquement au palais de justice lorsqu’il ne peut y assister en personne. » De son côté, le journaliste reconnaît que son style d’écriture peut laisser croire à sa présence à la cour, mais il soutient que l’information présentée dans l’article est exacte et fidèle à la réalité. L’information concernant la décision de la juge provenait de ses sources. Quant aux citations de la plaignante, elles proviennent essentiellement d’une entrevue réalisée avec elle dans les jours précédant le prononcé de la sentence. Selon le journaliste, la participation du photographe s’est limitée à la prise de photographies et « à la confirmation des dires de la plaignante ».
Dans son Guide, à l’article 9 alinéa a), le Conseil rappelle : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
À la lecture de l’article, le Conseil juge que le public n’est pas amené à croire que le journaliste était sur place. Bien que l’on doive reconnaître que le passage pointé par la plaignante est quelque peu ambigu, le Conseil considère qu’il n’est ni inexact ni trompeur pour les lecteurs.
Le grief d’information inexacte est rejeté.
COMMENTAIRE ÉTHIQUE
Le Conseil tient cependant à rappeler que lorsque les journalistes relatent le déroulement d’un événement, ils doivent faire preuve de prudence en ne présentant pas l’information de façon à laisser croire qu’ils étaient présents, si tel n’était pas le cas.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Francine Beaudouin contre le journaliste Yanick Poisson, le photographe Éric Beaupré, le quotidien La Tribune et son site Internet pour les griefs d’utilisation injustifiée d’un procédé clandestin, le non-respect d’une demande d’anonymat et d’information inexacte.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Éricka Alnéus
- Mme Nicole Mckinnon
Représentant des journalistes :
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Gilber Paquette
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C23E Enregistrement clandestin