Plaignant
M. Stephen Lloyd, président et l’Association pour la protection du Bois Angell (APBA – APAW)
Mis en cause
M. Robert Frank, journaliste et l’hebdomadaire The Suburban
Résumé de la plainte
M. Stephen Lloyd dépose une plainte le 10 mars 2016 contre le journaliste Robert Frank et l’hebdomadaire The Suburban concernant l’article « Ash trees to fall in Angell Woods », publié le 17 février 2016. Le plaignant déplore du sensationnalisme et une déformation de l’information dans les illustrations, le titre et les légendes, des informations inexactes ainsi qu’un manque d’équilibre.
Le plaignant déplore également de la partialité. Cependant le Conseil juge que ce grief ne remplit pas les critères de recevabilité définis dans la Politique de recevabilité des plaintes au Conseil de presse du Québec puisque le plaignant réfère à des textes ne respectant pas le délai de prescription.
L’article mis en cause rapporte la décision d’un propriétaire terrien de couper les frênes de sa propriété située dans le Bois Angell afin de lutter contre l’agrile du frêne. Le plaignant est le président de l’association vouée à la protection du Bois Angell (APBA). Certaines des actions de cette association sont remises en question dans l’article.
Analyse
Grief 1 : sensationnalisme et déformation de l’information dans le titre, le sous-titre et les illustrations (photos et légendes)
Le plaignant considère que le sous-titre « Beaconsfield had funded APAW with $1 million » (« Beaconsfield a financé l’APBA pour 1M $ ») laisse croire que l’APBA procédera à la coupe d’arbres dont il est question dans le titre « Ash trees to fall in Angell Woods » (« Les frênes seront abattus dans le Bois Angell »). Cela ne reflète pas la réalité telle que rapportée dans l’article, soit qu’une entreprise propriétaire d’une partie du boisé a planifié la coupe (et non l’APBA), selon M. Lloyd.
En outre, le plaignant déplore que les photos utilisées et les légendes soient sans rapport avec la nouvelle présentée dans l’article et ne reflètent pas la réalité. Les photos représentent les cartes du boisé mises à la disposition du public sur le site. La légende d’une des photos indique que l’APBA encourage les propriétaires de chiens à circuler sans autorisation sur des propriétés privées. Selon le plaignant, les mis en cause exagèrent le rôle joué par l’APBA dans la promotion de l’utilisation du bois comme parc à chiens, dont les interventions « se limitent à la protection du bois Angell et de son écosystème ».
Dans sa réplique, le journaliste admet qu’il n’y a pas de lien entre le titre et le sous-titre. Il estime que les sous-titres permettent d’attirer l’attention des lecteurs sur des aspects secondaires de l’article. Il justifie la photo montrant les cartes des sentiers de l’APBA en rappelant que ces sentiers passent sur des terrains privés, dont les propriétaires ont publiquement fait savoir leur opposition à ces intrusions sur leurs propriétés. Quant à la photo témoignant de la présence d’un distributeur de sacs à excréments canins, le journaliste affirme que plusieurs conseillers municipaux déplorent la stratégie de l’APBA d’encourager le public à utiliser les sentiers avec leur chien. L’article souligne que le boisé que l’Association tente de protéger est détérioré (piétinement et excréments de chien) par les promeneurs et leurs chiens, fait valoir le journaliste.
Le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec rappelle à l’article 14.1 que « [l]es journalistes et les médias d’information respectent l’intégrité et l’exactitude de l’information dans la présentation et l’illustration qu’ils en font. » En ce qui concerne les illustrations, les manchettes, les titres et les légendes, l’article 14.3 du Guide stipule : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. »
Après analyse, le Conseil juge qu’il y a un manque de rigueur dans l’habillage (photos et légendes) de l’article entraînant une exagération de la réalité décrite dans l’article. En ce qui concerne le sous-titre, par exemple, il déforme clairement le sens de la nouvelle à laquelle il est rattaché puisqu’il laisse croire que l’Association pour la protection du Bois Angell est impliquée dans la coupe des frênes, alors que ce n’est pas le cas.
Le grief de sensationnalisme et déformation de l’information dans le titre, le sous-titre et les illustrations (photos et légendes) est retenu.
Grief 2 : informations inexactes
Le plaignant considère que l’article comporte deux informations inexactes.
2.1 Un million de dollars
Selon le plaignant, il est faux d’affirmer que l’APBA a reçu 1 million de dollars de la Ville de Beaconsfield. Il fournit au Conseil une lettre du directeur général de la Ville de Beaconsfield confirmant ses dires. Le plaignant soutient que cette somme provient plutôt d’un don d’un million de dollars fait à l’APBA par un promoteur.
Dans sa réplique, le journaliste reconnaît que l’information publiée est inexacte.
L’article 9, alinéa a) du Guide rappelle le devoir d’exactitude des journalistes et des médias d’information qui « produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
Le Conseil constate, comme le mis en cause reconnaît lui-même, l’inexactitude de l’information publiée.
Le grief d’informations inexactes est retenu sur ce point.
2.2 Terre agricole
Le plaignant considère inexact le passage suivant qui contredit, selon lui, la reconnaissance formelle qu’ont apportée différentes autorités compétentes à la matière : « When The Suburban toured Angell Woods, it seemed to be overgrown farmland mainly populated by relatively young trees, rather than often claimed old growth forest » (« Quand The Suburban a parcouru le Bois Angell, cela ressemblait à une terre agricole envahie par des arbres relativement jeunes, plutôt qu’à la forêt mature souvent décrite »). Le plaignant fait observer que « The Suburban n’a pas de compétence en biologie forestière pour faire une telle déclaration » et occulte ainsi la reconnaissance de la valeur du boisé par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, la Ville de Montréal et la Communauté métropolitaine de Montréal.
Dans sa réplique, le journaliste indique que sa description du Bois Angell repose sur ses propres observations de jeunes arbres semblant avoir le même âge.
Le Conseil juge que le mis en cause ne pouvait s’en prendre aux conclusions factuelles d’experts en la matière en se fondant simplement sur son opinion, laquelle était fondée sur de simples observations.
Le grief d’informations inexactes est retenu sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’informations inexactes est retenu.
Grief 3 : manque d’équilibre
Le plaignant déplore que le journaliste n’ait pas présenté le point de vue de l’APBA. Il souligne que ce manque d’équilibre est récurrent : « The Suburban a cessé complètement de nous contacter afin de compléter leur collecte de renseignements pertinents » et ce, depuis plusieurs années. Afin de documenter ses allégations, le plaignant fournit au Conseil une dizaine d’articles parus dans The Surburban de janvier 2014 à octobre 2015 portant sur le dossier Angell Woods, dans lesquels la position de l’APBA n’est ni sollicitée ni rapportée.
Dans sa réplique, le journaliste note que l’APBA n’est ni une organisation gouvernementale ni un parti politique et que la position défendue par le plaignant est déjà publique. Il fait également valoir que le but du reportage était d’alerter les lecteurs à propos de l’abattage imminent d’arbres dans le Bois Angell et non d’explorer les politiques de l’APBA que l’hebdomadaire a, par ailleurs, déjà fait connaître. Le journaliste constate qu’il n’a reçu aucun courriel ou appel téléphonique de la part du plaignant ou d’un membre de l’APBA avant ou après la publication de l’article mis en cause.
En matière d’équilibre, le Guide, à l’article 9, alinéa d), prévoit : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. »
Dans sa jurisprudence, le Conseil a maintes fois rappelé qu’un traitement équilibré doit être accordé lorsqu’il s’agit de questions controversées.
Le Conseil juge ici que le sujet traité était éminemment controversé et nécessitait en conséquence de rappeler la position de l’Association pour la protection du Bois Angell, puisque celle-ci était directement interpellée dans le sous-titre et les légendes de l’article, qui lui attribuaient indirectement l’état de dégradation allégué de certains secteurs du bois.
Le grief de manque d’équilibre est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Stephen Lloyd et blâme le journaliste Robert Frank et l’hebdomadaire The Suburban pour les griefs de sensationnalisme et déformation de l’information dans le titre, le sous-titre et les illustrations (photos et légendes), d’informations inexactes et de manque d’équilibre.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Audrey Murray
Présidente par intérim du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- Mme Audrey Murray
- Mme Linda Taklit
Représentant des journalistes :
- M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
- M. Éric Latour
- Mme Nicole Tardif
Date de l’appel
19 April 2018
Appelant
Robert Frank, journaliste
L’hebdomadaire The Suburban
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DES APPELANTS
Les appelants invoquent des vices de procédure et contestent la décision de première instance relativement à un grief :
Vices de procédures
- 1.1 De ne pas avoir dirigé le plaignant vers le média
- 1.2 Non-respect du délai de traitement d’une plainte
Grief 1 : informations inexactes
- Un million de dollars
- Terre agricole
Vices de procédures
Des irrégularités ont, selon les appelants, entaché le processus de traitement de la plainte.
1.1 De ne pas avoir dirigé le plaignant vers le média
Selon les appelants, le Conseil de presse a erré en intervenant immédiatement dans le dossier alors qu’il aurait dû diriger le plaignant vers le média pour un droit de réplique, une clarification ou une correction – (« More egregiously, the Quebec press Council erred by intervening when it instead should have directed the complainant to contact the newspaper in the first instance to ask for a right of reply, clarification or correction »).
L’intimé, M. Stephen Lloyd dit reconnaître qu’effectivement dans plusieurs cas, il est plus efficace pour résoudre les problèmes de parler directement à la partie concernée. Il souligne cependant que c’est sur décision du conseil d’administration du Bois Angell qu’il a été décidé de soumettre une plainte au Conseil de presse et que le conseil d’administration a considéré que le Conseil était l’instance la plus appropriée.
Les membres de la commission d’appel soulignent que le Règlement 2, article 3.7 sur l’étude des plaintes du public, correspond à une demande ou une invitation au plaignant à effectuer une telle démarche. Il ne s’agit pas d’une condition pour l’étude d’une plainte par le Conseil de presse.
« Le Conseil demande à tous les plaignants de s’adresser d’abord directement à la partie mise en cause. Une telle démarche peut permettre de corriger ou de compléter une information publiée, ou encore de publier une information ou un point de vue omis et, de ce fait, mettre fin à la procédure de plainte.
Lors de la réception de la plainte, si le Conseil constate que cette étape préalable n’a pas été effectuée, il invite le plaignant à procéder et peut l’assister dans cette démarche. »
Au vu de ce qui précède, les membres rejettent l’interprétation des appelants voulant que le Conseil ait l’obligation de diriger un plaignant vers le média mis en cause.
1.2 Non-respect du délai de traitement d’une plainte
De l’avis des appelants, le Conseil n’a pas respecté « son propre processus » en laissant près d’un an s’écouler avant de communiquer la décision – (« The Quebec Press Council procedurally prejudiced its own process by allowing nearly a year to elapse following our response before communicating its decision »).
L’intimé ne soumet aucune réplique sur ce point.
Les membres soulignent qu’aucune disposition à cet effet n’est énoncée dans le Règlement 2.
En conséquence, les membres estiment que le comité des plaintes disposait de toutes les informations nécessaires pour prendre une décision éclairée et rejettent de ce fait les allégations des appelants voulant qu’elles aient pu constituer des vices de procédure.
Grief 1 : informations inexactes
Les appelants considèrent que le comité des plaintes a mal interprété les faits qui ont été présentés dans leur réponse. De leur avis, le comité a ignoré et déformé les faits et a substitué son propre jugement au lieu de se baser sur des critères objectifs. (« Your decision has completely misconstrued the facts that were presented to you in our response. The decision ignored and distorted the facts and substituted the Council’s own subjective judgments instead basing your decision on objective criteria. »)
L’intimé mentionne être d’accord avec les conclusions du comité sur ce grief.
1.1 Un million de dollars
Les appelants avancent que le comité des plaintes n’a pas tenu compte de leur réplique sur ce point et que le directeur de la Ville de Beaconsfield a confirmé qu’un promoteur immobilier a donné 1 million $ à l’Association. (« The Quebec Press Council erred in ignoring the newspaper’s response with respect to the Beaconsfiled city manager’s confirmation that a property developer donated $1 million to the Association. »)
Les appelants arguent que la décision du Conseil laisse présager que les journalistes ne peuvent plus rapporter ce que des autorités leur disent – (« your decision would indicate that reporters cannot report what they are told by public officials »).
Les membres de la commission d’appel considèrent que les appelants n’apportent pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à l’exactitude.
Les membres rejettent l’appel sur ce point.
1.2 Terre agricole
Les appelants considèrent que « le Conseil de presse a erré en dévaluant les observations du journaliste » qui s’est rendu sur place. « En statuant que les journalistes ne peuvent pas rapporter ce qu’ils voient, le Conseil de presse a conclu qu’ils ne peuvent pas rapporter quoi que ce soit dont ils sont eux-mêmes témoins. Cela contrevient au principe fondamental du droit qui garantit une presse libre, à savoir que les journalistes doivent être libres de transmettre leurs propres observations », affirment les appelants. (« The Quebec Press Council erred when it dismissed a reporter’s own observations based on a physical presence at the location being observed. By ruling that reporters can’t report what they sees, the Quebec Press Council has concluded they can’t report on anything that they themselves witness. This contravenes the fundamental principle of law that guarantees a free press, namely that reporters must be free to convey their own observations. »)
Les membres de la commission d’appel considèrent que les appelants n’apportent pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à l’exactitude.
Les membres rejettent l’appel sur ce point.
En conséquence, les membres rejettent l’appel sur le grief d’informations inexactes.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Pierre Thibault, président de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
- M. Pierre Thibault
Représentante des journalistes :
- Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
- M. Renel Bouchard