Plaignant
Institut culturel Avataq et M. Robert Fréchette
Mis en cause
Mme Pascale Breton, journaliste; M. Mario Girard, directeur de l’information et Le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
L’Institut culturel Avataq, par l’entremise de M. Robert Fréchette, a déposé une plainte contre la journaliste Pascale Breton du quotidien La Presse le 8 mars 2012, relativement à une série d’articles intitulée « La tragédie Inuite », publiée le 25 février 2012. L’Institut considère que l’information y est incomplète et empreinte de préjugés, qu’un des textes d’introduction ne reflète pas le contenu de l’article et critique le quotidien pour avoir publié une photo inadéquate.
Analyse
Grief 1 : expression de préjugés
Le plaignant dénonce le portrait négatif fait par Mme Breton de la société inuite, particulièrement le meurtre d’une jeune mère par son mari. M. Fréchette déplore qu’aucun aspect positif ne soit présenté ce qui perpétue certains préjugés à l’endroit des Inuits. Selon M. Fréchette, « à aucun endroit dans les articles publiés, on ne trouve quelques raisons pour expliquer les problèmes sociaux mentionnés ».
Me Patrick Bourbeau, du bureau des affaires juridiques de La Presse, rétorque que le dossier de Mme Breton est le fruit d’une démarche journalistique rigoureuse, d’une recherche sérieuse, d’un séjour d’une semaine à Puvirnituq et d’une cinquantaine d’entrevues avec des leaders inuits. Selon Me Bourbeau, le choix du sujet et de l’angle de traitement relève de la prérogative de La Presse et que les « raisons sous-jacentes aux problèmes vécus par les communautés inuites ont déjà fait l’objet d’une ample couverture par les médias par le passé ».
Selon Me Bourbeau, l’article racontant l’histoire de l’assassinat, par son mari, d’une femme Inuite (cette dernière se trouvait à bord du même vol que Mme Breton) a servi à introduire et mettre en contexte le reste du dossier pour faire état des graves problèmes sociaux de la région et leur impact sur les jeunes et l’éducation. Par ailleurs, Me Bourbeau souligne que certains des articles étaient très positifs traitants de solutions prometteuses aux nombreux problèmes évoqués. Il rappelle aussi les reportages vidéo mis en ligne sur le site Internet de La Presse, qui apportent aussi un autre éclairage.
Le Conseil considère que dans l’ensemble, la journaliste Pascale Breton a présenté un dossier fouillé, respectant les principes déontologiques. Le Conseil estime que le dossier était d’intérêt public et que le choix des sujets et des angles de traitement relevait de la liberté éditoriale du journaliste et du média.
De plus, le Conseil est d’avis que le dossier n’est pas entièrement négatif. Certains volets du dossier écrit et des reportages vidéo font référence à des expériences heureuses qui dépeignent ainsi un autre aspect de la communauté inuite. Le Conseil rappelle que : « L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. » (DERP, p. 22) Ainsi, le grief pour expression de préjugés est rejeté.
Grief 2 : information incomplète
L’Institut Avataq déplore que Mme Breton n’ait pas fait mention de la réaction officielle des dirigeants politiques du Nunavik au Plan Nord. Selon le plaignant, Mme Breton décrit ainsi la réaction : « Quand on demande aux Inuits ce qu’ils pensent du Plan Nord, ils haussent les épaules. »
Me Bourbeau affirme que la mise en cause a lu le document « Plan Nunavik » rédigé par la Société Makivik et l’Administration régionale Kativik qui se veut une réponse des Inuits au « Plan Nord ». Mais il rappelle aussi que les médias ont une liberté rédactionnelle dans le choix des sujets qu’ils traitent et dans leur manière de les traiter.
Le Conseil croit que la phrase de Mme Breton : « Quand on demande aux Inuits ce qu’ils pensent du Plan Nord, ils haussent les épaules », n’est pas représentative de l’ensemble de la communauté inuite. Comme la journaliste a décidé d’aborder le sujet de la réaction des Inuits au « Plan Nord », elle se devait de mentionner l’existence du document « Plan Nunavik » (document qu’elle avait consulté elle-même), ceci afin ne pas laisser le lecteur sous l’impression que toute la communauté ne s’intéressait pas à cette question. Ainsi, le grief pour information incomplète est retenu.
Grief 2 : texte d’introduction tendancieux
Le plaignant se dit choqué par la partie du texte d’introduction du dossier faisant référence au photoreportage signé par Édouard Plante-Fréchette, accompagnant le dossier de Mme Breton. On y lit que « plusieurs autochtones choisissent l’exil vers le Sud, un exil qui se résume bien souvent à l’alcool, la drogue et l’itinérance ». Or le plaignant note que le photoreportage ne concerne que deux individus bien précis. Il ajoute que le problème de l’itinérance est réel, mais contrairement à ce qui est suggéré dans l’introduction, il ne constitue qu’une très faible minorité de la population inuite montréalaise.
Me Bourbeau précise que le photoreportage de M. Plante-Fréchette ne se veut pas une généralisation de la vie des Inuits à Montréal, mais plutôt d’un portrait humain de deux hommes d’origine inuite et de leur parcours difficile dans le Sud. Me Bourbeau est d’avis que ce reportage s’apparente plus à une chronique qu’à un texte d’information et M. Plante-Fréchette était donc justifié de traiter de son sujet sous l’angle qu’il a choisi.
Le Conseil est d’accord pour dire que l’angle du photoreportage relève de la décision éditoriale du journaliste et du média. De plus, le texte d’introduction dit : « plusieurs autochtones choisissent l’exil vers le Sud, un exil qui se résume bien souvent à l’alcool […] », une formulation qui ouvre la porte à des nuances et qui n’englobe pas toute la communauté inuite. Le Conseil rejette donc le grief pour texte d’introduction tendancieux.
Grief 3 : photo inadéquate
L’Institut Avataq dénonce vertement le photomontage de la page frontispice du dossier où l’on voit un personnage, mi-homme, mi-chien. Le plaignant souligne que La Presse a reçu plusieurs plaintes à cet égard. L’Institut déclare : « dire qu’il est de mauvais goût est un euphémisme. Son contenu est condescendant, inapproprié, voire calomnieux. »
Me Bourbeau de La Presse répond que le photomontage n’est pas de mauvais goût, mais « sert plutôt à annoncer de manière éloquente d’une part, le sujet du photoreportage de M. Plante-Fréchette et d’une autre, celui du dossier en général par l’utilisation d’un symbole très fort de la communauté inuite, soit les chiens de traîneaux, qui ont été massacrés par milliers au cours des années 50, causant des dommages psychologiques irréparables aux membres de celle-ci ».
Le Conseil estime que le photomontage illustrant un personnage mi-homme, mi-chien est un choix artistique qui n’est ni condescendant ni calomnieux. La décision de publier une photo relève d’une décision éditoriale du journal, même si le montage peut prêter à discussion. Le grief pour photo inadéquate est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de l’Institut Avataq contre Mme Pascale Breton et le quotidien La Presse pour information incomplète. Cependant, il rejette les griefs d’expression de préjugés, texte d’introduction tendancieux et photo inadéquate.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12B Information incomplète
Date de l’appel
4 April 2013
Appelant
Le quotidien La Presse
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEF DE L’APPELANT
L’appelant conteste un grief de la décision de première instance :
- Grief 2 : information incomplète
Grief 2 : information incomplète – Selon Me Bourbeau, représentant les appelants, la citation reprochée dans l’article en cause, « Quand on demande aux Inuits ce qu’ils pensent du Plan Nord, ils haussent les épaules », lue dans son contexte, fait référence à l’opinion des membres de la communauté inuite que la journaliste a rencontrés lors de son séjour à Puvirnituq et non à celle de ses dirigeants. De l’avis de Me Bourbeau, l’article se voulait un témoignage personnel d’une expérience vécue et non un exposé sur le débat entourant le Plan Nord, sur ses mérites ou sur ses conséquences sur les communautés inuites.
Les intimés n’ont soumis aucune réplique à l’appel.
Les membres du comité de première instance ont considéré, au paragraphe [9], que comme la journaliste abordait le sujet de la réaction des Inuits au « Plan Nord », elle se devait de mentionner l’existence du « Plan Nunavik », afin de ne pas laisser le lecteur sous l’impression que toute la communauté ne s’intéressait pas à cette question.
Les membres de la commission d’appel considèrent que le comité des plaintes a mal appliqué le principe d’information incomplète. Selon la commission d’appel, une information incomplète constitue une faute professionnelle lorsqu’un reportage omet une information essentielle à la bonne compréhension du sujet développé, ce qui n’est pas le cas ici. Les membres retiennent donc l’appel.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel infirment la décision rendue en première instance.
Par conséquent et conformément aux règles de procédure, nous fermons le dossier cité en titre.