« Tartuffe », « apparatchik » : pour avoir utilisé ces épithètes envers la présidente du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) et avoir affirmé que celle-ci faisait chanter le gouvernement, le chroniqueur et animateur Gilles Proulx s’est vu imposer le paiement de 45 000$ en dommages moraux et punitifs par la Cour supérieure, le 12 avril dernier.
Dans sa décision d’une douzaine de pages, le juge Robert Mongeon a fait valoir que les injures professées par M. Proulx, dans une chronique publiée dans le Journal de Montréal du 5 février 2010, étaient aggravées du fait qu’elles n’apportaient rien de plus pour aider la compréhension du propos de son texte, qui pourfend la syndicalisation dans la fonction publique.
« […] ce qui me frappe le plus dans toute cette affaire, écrit le juge Mongeon, c’est l’inutilité de l’attaque personnelle du défendeur Proulx envers la demanderesse. […] force est de remarquer que la force du message du journaliste était tout à fait claire et précise sans qu’il soit nécessaire qu’il attaque (car c’est de cela dont il s’agit) la présidente du syndicat, sauf s’il tenait à s’en prendre à elle personnellement. L’attaque devient alors intentionnelle et les injures n’en sont que plus fautives ».
Les faits
Dans sa chronique titrée Qui est malade ? Le fonctionnaire ou la fonction publique ? Gilles Proulx réagit à un article d’un collègue de QMI, publié trois jours plus tôt, intitulé « Des milliers de fonctionnaires prennent leur retraite ».
L’article rapportait la rumeur voulant que l’intention du gouvernement d’abolir une partie de la banque de congés de maladie accumulés de ses employés était en voie de provoquer « une ruée vers la sortie ». Les fonctionnaires sur un pied d’alerte s’apprêtaient, selon cet article, à utiliser leurs congés accumulés et tirer ensuite leur révérence, le tout avant la signature de la convention collective.
« Ces jours de paie supplémentaires pour ceux qui ont déjà été payés normalement servent à “encourager l’assiduité”, nous assure effrontément Lucie Martineau, la présidente du Syndicat de la fonction publique. Quelle “Tartuffe”, cette femme! » écrit M. Proulx.
« Que fait Lucie Martineau de ceux qui paient des impôts et des taxes pour elle et les siens sans avoir eux-mêmes de tels privilèges ? Si Robin des Bois revenait sur terre [sic], il décocherait sa première flèche aux apparatchiks comme Lucie Martineau. »
À la fin de son texte, le chroniqueur ajoute : « C’est sans doute Jean Charest qui va gagner les prochaines élections, parce qu’il va céder bientôt au chantage de Lucie Martineau et de sa clique. »
Facteurs aggravants
L’avocate de Mme Martineau juge ces propos graves, offensants et diffamatoires et qu’ils ont été proférés dans le but de nuire à la réputation de Mme Martineau. Elle estime que M. Proulx dépeint cette dernière comme une « effrontée, une hypocrite, une profiteuse et qu’elle fait changer [sic] le premier ministre du Québec ».
Enfin, l’atteinte est d’autant plus grave que la parution de la chronique coïncidait avec une ronde de négociation syndicale-patronale menée par Mme Martineau avec le gouvernement. Un argument que le juge a retenu, considérant également la grande diffusion du texte et le fait que le chroniqueur « n’en est pas à ses premiers démêlés avec la justice en matière de diffamation », dans la détermination du montant de l’indemnité à laquelle la présidente du syndicat avait droit. Lucie Martineau n’a cependant pas obtenu les 125 000 $ qu’elle réclamait.
De leur côté, les procureurs de Québecor Média ont souligné que M. Proulx « a exprimé de bonne foi […] des commentaires sur des questions d’intérêt public et sur une personnalité publique, la demanderesse, dans le but de participer à la réflexion sociale et politique ». Selon eux, le chroniqueur avait droit à la libre expression et les propos visés n’étaient pas diffamatoires.
Le juge a d’ailleurs donné raison aux procureurs de Québecor Média sur ce point : les propos incriminés ne sont pas diffamatoires, mais bien injurieux. Il établit une distinction entre la diffamation, basée sur « une articulation de faits » et l’injure, qui tiendrait davantage à « toute expression outrageante, terme de mépris ou invective » non reliés à des faits. L’injure, comme la diffamation, « constitue une faute en droit », précise-t-il.
Quant à la liberté d’expression du défendeur, le juge exprime que « sa chronique est sienne et sa liberté d’expression doit être protégée… tant qu’il s’en tient à l’intérieur de la limite de ses propres droits et qu’il n’empiète pas sur la liberté des autres. »
« Gilles Proulx n’apprend pas »
Fait à noter, le juge Mongeon s’est inspiré de l’affaire Bertrand c. Proulx, afin de fixer le montant des dommages imposés au chroniqueur. En 2002, Gilles Proulx avait traité l’avocat Guy Bertrand de « menteur », « fanatique », « hystérique », « Méphisto » et « malade mental ». M. Proulx s’était vu imposer des dommages moraux de 50 000 $ et des dommages exemplaires de 10 000 $ dans cette cause.
Si cette fois, le juge a estimé que les qualificatifs utilisés par Gilles Proulx à l’endroit de Mme Martineau sont moins forts, le fait que le chroniqueur récidive en matière de diffamation a contribué à ce qu’il soit astreint à payer des dommages punitifs deux fois plus élevés que ceux qu’il avait dû verser à Me Bertrand.
« Il semble que Gilles Proulx n’apprend pas beaucoup de ses erreurs passées ni des remarques des tribunaux à son égard, écrit le juge Mongeon. Il persiste à dire ce qu’il veut, comme il le veut et quand il le veut. Il se préoccupe plus de sa verve, mordante et cinglante, sans se soucier bien longtemps du dommage qu’elle peut causer chez sa victime. […] la récidive du défendeur est un facteur aggravant, surtout lorsque ce même défendeur est un homme cultivé et érudit. Gilles Proulx connaît mieux que quiconque le sens propre et figuré des mots qu’il utilise. »
Le Magazine du CPQ s’est adressé par courriel aux deux avocats de Québecor Média, afin de savoir si M. Proulx et le Journal de Montréal comptent en appeler de la décision. Une mise à jour de cet article sera faite dans l’éventualité d’une réponse.
À lire : la chronique d’Yves Boivert, dans La Presse du 22 avril.