Plaignant
Mme Line Merrette; M. Robert Moreau et Mme Johanne Galarneau
Mis en cause
Mme Trudie Mason, journaliste; M. Chris Bury, directeur de marque et de l’information et la station CJAD 800 AM
Résumé de la plainte
Les plaignants déposent une plainte le 20 septembre 2012 contre la journaliste, Mme Trudie Mason et la station CJAD concernant la réalisation d’une entrevue, le 19 septembre 2012, avec M. Richard Henry Bain, auteur présumé de l’attentat meurtrier perpétré lors du rassemblement de la victoire péquiste au Métropolis. En premier lieu, Mme Line Merette reproche à la journaliste d’avoir réalisé une entrevue avec M. Bain, ce qui, selon elle, pourrait porter atteinte à la présomption d’innocence de ce dernier, et de plus, avec cette entrevue, M. Bain risquait de s’incriminer lui-même, car il est en attente de procès. En second lieu, toujours selon Mme Merette, la station aurait manqué de respect envers la famille du caméraman tué lors de cette soirée, en revenant sur cet événement. Finalement, elle souligne que le 11 octobre 2012, un journaliste du réseau CTV aurait publié le tweet suivant : « Prosecution obtained the interview Richard Bain gave to CJAD. They plan to use it against him. » Une des plaignantes, Mme Johanne Galarneau reproche à la station d’avoir donné une tribune à un présumé meurtrier.
Enfin, les plaignants reprochent à la station d’avoir diffusé l’entrevue en même temps que l’assermentation des ministres, au provincial.
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à un procès juste et impartial
Mme Merette reproche à la journaliste d’avoir réalisé une entrevue avec M. Bain, ce qui aurait porté atteinte à son droit à la présomption d’innocence en plus de risquer qu’il s’incrimine lui-même.
De l’avis du Conseil, l’entrevue en question risquait moins de porter atteinte au droit de M. Bain à la présomption d’innocence qu’à celui d’avoir un procès juste et impartial. En effet, le respect, par les journalistes et les médias, de la présomption d’innocence consiste essentiellement à ne pas présenter une personne simplement accusée comme étant coupable. Selon le Conseil, ce n’est pas la violation de ce droit que le plaignant reproche au mis en cause, mais plutôt celui d’avoir droit à un procès juste et impartial. Plus précisément, la plaignante dénonce le fait que M. Bain ait pu s’incriminer lui-même en accordant cette entrevue.
M. Chris Bury, directeur de programmation de CJAD répond que la station n’a jamais porté atteinte au droit de présomption d’innocence de M. Bain et qu’aucune information précise entourant les événements survenus au Métropolis le 4 septembre n’a été diffusée.
Le Conseil, dans son guide de déontologie, rappelle que « Le droit à un procès juste et impartial est un principe fondamental de justice. Dans sa couverture des affaires judiciaires, la presse, tout en assurant le droit à l’information sur les aspects d’intérêt public que peut présenter l’actualité en ces matières, doit éviter d’entraver le cours de la justice et de préjuger de l’issue d’une cause. » (DERP, p. 45)
Le Conseil constate que le média a diffusé un court extrait de l’entrevue de M. Bain, et que la journaliste a résumé l’essentiel du reste de l’entrevue et qu’aucune information reliée aux événements du Métropolis, pouvant compromettre M. Bain, n’a été diffusée. Le Conseil juge que tout cela s’est réalisé sans brimer les droits de M. Bain.
Le Conseil rejette le grief pour atteinte au droit à un procès juste et impartial.
Grief 2 : atteinte au principe de la protection du matériel journalistique
Mme Merette reproche également à la station CJAD d’avoir fourni aux autorités judiciaires l’enregistrement de l’entrevue avec M. Bain. Elle titrerait cette information d’un micromessage publié le 11 octobre 2012 sur Twitter par un journaliste du réseau CTV.
Me Stéphanie Hudon, conseillère juridique pour Astral, répond pour sa part qu’il est erroné de prétendre que la station aurait remis une copie de l’entrevue à la poursuite, celle-ci n’ayant été remise à personne, contredisant ainsi l’information publiée sur Twitter par un journaliste de CTV.
En absence de preuve formelle qui viendrait contredire les propos de Me Hudon, le Conseil de presse considère probante la version du mis en cause.
Par ailleurs, il importe de noter que le guide de déontologie n’interdit pas aux médias de transmettre de l’information aux autorités policières ou judiciaires, il reconnaît plutôt aux journalistes et aux médias le droit de se taire : « Le Conseil de presse reconnaît aux journalistes le droit de se taire. Il appartient aux tribunaux d’utiliser la marge de manœuvre qu’ils possèdent dans chaque cas afin de soupeser les intérêts en jeu. Le Conseil estime que les tribunaux devraient s’assurer que l’information recherchée est nécessaire à la solution d’un litige et qu’aucun autre moyen raisonnable de l’obtenir n’est disponible, avant d’obliger les journalistes à collaborer avec l’administration de la justice. » (DERP, p. 11)
L’interdit de transmettre le matériel journalistique aux autorités policières ou judiciaires étant inexistant, il ne pouvait y avoir ici de faute de la part de CJAD, même si la station avait effectivement transmis l’entrevue intégrale aux autorités.
Pour toutes ces raisons, le grief pour atteinte au principe de la protection du matériel journalistique est donc rejeté.
Grief 3 : manque de respect envers les proches de la victime
Selon Mme Merette, la diffusion de cette entrevue était un manque de respect envers la famille du technicien tué lors de cette soirée.
La station CJAD souligne que l’entrevue a respecté en tout temps la vie privée de la famille et qu’elle n’a diffusé que certains extraits de l’entrevue, par souci d’éthique journalistique.
Dans son guide, le Conseil mentionne : « Les drames humains et les faits divers qui relèvent de la vie privée sont des sujets particulièrement délicats à traiter à cause de leur caractère pénible tant pour les victimes que pour leurs proches et, souvent, pour le public. La liberté de la presse et le droit à l’information seraient cependant compromis si les médias n’en informaient pas la population, car ces affaires traduisent des réalités, des problématiques et des enjeux sociaux importants. La règle qui doit guider les médias et les professionnels de l’information dans leur traitement de ces affaires consiste à ne révéler que ce qui est d’intérêt public. » (DERP, p. 42)
Bien que certains événements puissent être bouleversants pour les proches d’une victime, dans le présent cas, le Conseil croit que l’intérêt public justifiait la diffusion d’un extrait de l’entretien que la journaliste a réalisé avec Richard Bain, dans la mesure où il était utile d’obtenir des informations permettant de mieux connaître la personne qui aurait posé des gestes aussi graves le soir du 4 septembre 2013. Le grief pour manque de respect envers les proches de la victime est rejeté.
Grief 4: diffusion à un moment inopportun
Les plaignants reprochent à la station d’avoir diffusé l’entretien de la journaliste en même temps que l’assermentation des ministres au gouvernement provincial.
M. Chris Bury, de la station CJAD souligne qu’il était impossible de diffuser l’entrevue plus tôt, puisqu’il attendait la confirmation de l’identité de M. Bain, par son avocate. Par ailleurs, toujours selon M. Bury, retarder la diffusion de la nouvelle n’aurait pas été d’intérêt public et cela aurait fait preuve d’autocensure.
Le Conseil rappelle qu’il « relève de la discrétion rédactionnelle des médias et des professionnels de l’information de déterminer l’espace et le temps d’antenne qu’ils accordent à la publication ou à la diffusion des informations qu’ils ont retenues et choisies de porter à l’attention du public. Nul ne peut dicter à la presse les décisions en la matière, ni en ce qui concerne le chois du moment de publication ou de diffusion des informations. » (DERP, p. 19)
Selon le Conseil, les médias et les journalistes demeurent libres de diffuser leur production journalistique au moment où ils le jugent opportun. Sans juger de la pertinence du moment choisi pour diffuser cette entrevue et les commentaires s’y rapportant, le Conseil rejette le grief de diffusion à un moment inopportun.
Grief 5 : diffusion de contenu injustifié
Mme Galarneau reproche à la station d’avoir permis à un présumé meurtrier d’avoir accès à une tribune pour passer ses idées sur les ondes.
La station CJAD souligne que M. Bain n’a pas eu libre cours pour s’exprimer en direct sur les ondes. M. Chris Bury précise que l’entrevue téléphonique a été enregistrée, après quoi, la journaliste a confirmé l’identité de M. Bain avec son avocate et a effectué les vérifications qui s’impose dans ce genre de situation.
Le Conseil est d’avis que la station pouvait diffuser des extraits de l’entrevue avec M. Bain, sans que cela contrevienne aux règles déontologiques prônées par le Conseil de presse. En effet, aucun principe déontologique n’interdit la diffusion de commentaires ou propos d’une personne accusée de crime, sous réserve du respect des droits fondamentaux. Le Conseil rejette le grief de diffusion de contenu injustifié.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mmes Line Merrette et Johanne Galarneau et M. Robert Moreau contre Mme Trudie Mason, journaliste et la station CJAD pour atteinte au droit à un procès juste et impartial, atteinte au principe de la protection du matériel journalistique, manque de respect envers les proches de la victime, pour diffusion à un moment inopportun et pour diffusion de contenu injustifié.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C06A Accès à l’information
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C17H Procès par les médias