Plaignant
Mmes Doris Milmore et Julie-Andrée Rostan
Mis en cause
M. Stéphane Gendron, animateur, l’émission « Le Retour de Radio X », la station CHOI 91,9 Radio X et M. Raynald Brière, président et chef de direction, RNC Média
Résumé de la plainte
Mme Doris Milmore dépose une plainte le 14 juillet 2013 contre Stéphane Gendron, animateur de l’émission « Le Retour de Radio X », diffusée le 9 juillet, sur les ondes de CHOI 91,9 Radio X. Mme Julie-Andrée Rostan dépose à son tour une plainte dans le même dossier le 15 juillet 2013. Les plaignantes reprochent à M. Gendron d’avoir heurté la sensibilité du public en incitant à la cruauté envers les animaux et en valorisant celle-ci. Elles soulignent que poser un geste de cruauté envers les animaux et inciter à commettre un tel geste constituent des infractions au Code criminel. Mme Rostan déplore en outre que l’animateur ait tenu des propos insultants pour les personnes qui ont réagi négativement à son intervention, lorsqu’il s’est excusé en ondes.
La station CHOI 91,9 Radio X n’a pas répondu à la présente plainte
Analyse
Grief 1 : propos heurtant la sensibilité du public
Selon Mme Milmore, les propos de M. Gendron sont cruels envers les animaux et constituent un discours haineux qui n’a pas sa place sur les ondes publiques. Mme Julie-Andrée Rostan fait valoir, quant à elle, que ces propos sont inadmissibles, que les termes choisis sont inhumains et que l’intervention de l’animateur est une incitation à la cruauté envers les animaux, ce qui est une infraction au Code criminel.
Lors de son intervention, l’animateur a raconté comment il agissait avec les chats errants : « Moi, quand je vois un chat dans la rue, j’accélère pour pas le manquer. […] L’autre jour, chu reculé sur un, y venait de venir au monde, chu sûr qu’y a rien senti. […] Le pick-up est passé dessus comme si de rien n’était, j’étais assez content! Yes! Un de moins! […] Pis la dernière portée de merde y sont toute morts de soif. Bon débarras! »
Au sujet d’une intervenante de la Société protectrice des animaux (SPA) venue précédemment parler des chats errants à son émission, M. Gendron a déclaré : « Elle opérait des chambres à gaz, quelle fille brillante! » Dans le cadre de la même intervention en ondes, l’animateur, répondant à ses collaborateurs qui réagissent à ses propos, affirme également : « C’est pas terrible, c’est la réalité. Un chat peut mettre au monde 40 000 chats, dans sa maudite lignée sale. C’est une plaie urbaine, ces maudites affaires-là. »
La cruauté envers les animaux et le fait d’inciter quelqu’un à commettre un acte de cruauté animale constituent des infractions au Code criminel. Le Conseil n’est toutefois pas habileté à juger des actes présumés de M. Gendron afin d’établir s’ils sont de nature criminelle. L’analyse du Conseil porte donc exclusivement sur les aspects du dossier relatifs à la déontologie et l’éthique journalistiques. Il s’agit d’établir si les propos de l’animateur ont heurté la sensibilité du public de façon déraisonnable et de faire ensuite l’arbitrage entre, d’une part, l’atteinte à cette sensibilité et, d’autre part, la liberté de la presse.
A) Incitation à la cruauté animale
Selon le Conseil, inciter un auditoire à être cruel envers les animaux est, d’un point de vue moral, un geste grave, réprouvé par la majorité et de nature à heurter la sensibilité du public. Cependant, le Conseil de presse estime que les propos tenus par Stéphane Gendron ne font qu’illustrer son comportement personnel par rapport aux chats errants. À aucun moment, M. Gendron n’appelle les auditeurs à faire de même ou à s’engager à poser des gestes de cruauté envers les animaux. En somme, son intervention vise à illustrer, à l’aide d’anecdotes provocantes, son opinion au sujet des chats errants. Le Conseil rappelle que « Le journalisme d’opinion accorde aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques, ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire. » (DERP, p. 17) Conséquemment, le grief pour propos heurtant la sensibilité du public est rejeté sur le point de l’incitation à la cruauté envers les animaux.
B) Valorisation de la cruauté animale
La plaignante, Mme Doris Milmore, déplore par ailleurs que Stéphane Gendron « semble fier d’écraser [des chats] avec sa voiture ». Mme Julie-Andrée Rostan ajoute qu’il « prend plaisir à raconter comment il tue des chats sur sa ferme » et qu’il « banalise » ces actes, lorsqu’il mentionne que les animaux « sont des biens meubles en vertu du Code civil du Québec ».
Selon le Conseil, les propos de l’animateur peuvent ainsi être vus comme valorisant la cruauté envers les animaux, ce qui est, une fois de plus, susceptible de heurter la sensibilité du public, ses valeurs et celles de la société en général, compte tenu du consensus large contre la cruauté envers les animaux.
Encore une fois, la question est abordée en soupesant, d’une part, l’atteinte à la sensibilité du public et, d’autre part, la liberté de la presse. Le Conseil estime que les propos de Stéphane Gendron, bien que provocants, extrêmes et de nature à heurter la sensibilité et les valeurs d’une portion importante de son auditoire, illustrent un point de vue d’intérêt public sur un sujet sensible. Le choix des mots et le ton peuvent être interprétés, comme l’a suggéré l’animateur lorsqu’il a présenté ses excuses, comme de l’humour noir, de l’autodérision, de la caricature ou comme une manifestation de l’exaspération extrême de l’animateur vis-à-vis du problème des chats errants. L’intervention de M. Gendron, telle que formulée, n’engage que lui-même et représente une opinion parmi d’autres dans le large spectre des positions face au problème des chats errants. Que cette opinion se situe à la limite du spectre ou fasse l’objet d’un tabou ne doit pas servir de motif à l’autocensure. Au contraire, le fait de l’exprimer contribue à l’exercice de la liberté de presse et au droit du public à une information complète et pluraliste, car si l’on est forcé d’admettre que l’opinion émise par M. Gendron est certainement minoritaire, au sein de la société québécoise, force est de reconnaître du même souffle que la liberté d’expression serait de bien peu d’utilité si elle ne servait pas à protéger des opinions qui, justement, ne font pas l’objet d’un consensus social, moral, politique ou idéologique. En conséquence, le Conseil rejette le grief pour propos heurtant la sensibilité du public, sur le point de la valorisation de la cruauté envers les animaux.
Grief 2 : propos irrespectueux et injurieux
Mme Julie-Andrée Rostan déplore que Stéphane Gendron, en offrant ses excuses quelques jours plus tard à la même émission, ait tenu des propos insultants à l’encontre des personnes qui ont réagi négativement à son intervention, notamment sur les réseaux sociaux. L’extrait visé a été diffusé en direct, quelques jours après l’intervention du 9 juillet. Stéphane Gendron a alors remis ses propos en contexte, précisant avoir fait « une blague de mauvais goût » en disant qu’il accélérait lorsqu’un chat traversait la rue devant son véhicule. Or, par trois fois, déplore Mme Rostan, il qualifie ceux qui se sont insurgés devant ces gestes de « pet lovers » : « Je m’excuse si je vous ai heurté, les « pet lovers« , vous avez le droit d’être choqués, mais vous avez aussi le droit de ne pas m’écouter, en passant. […] Je ne nie pas que j’ai tué des chats, ben oui, parce que je ne fais pas le tour de mes quatre roues avant d’embarquer dans mon pick-up le matin, pis chu pas sûr que les « pet lovers » le font non plus. […] Et j’aimerais souligner, à mon crédit, que je suis la première ville au Québec, sinon au Canada, à imposer la stérilisation des chats aux propriétaires sur le territoire de la ville. Alors les p’tits « pet lovers« , là, quand vous en aurez fait autant, vous pourrez vous faire aller la yeule. Maintenant, je m’excuse. »
Le Conseil rappelle que les animateurs doivent être respectueux des personnes et éviter de tenir des propos injurieux. Si on se fie à la nature des sites les plus populaires référencés par Google en recherchant l’expression anglaise « pet lovers », on s’aperçoit rapidement qu’elle décrit, de façon générale, les personnes éprouvant de l’affection pour les animaux, empressés à leur apporter des soins et sensibles aux activités à caractère militant pour les droits des animaux. Fait à noter, des milliers de personnes « aiment » des pages Facebook dont le titre comporte cette expression, apparemment sans crainte ou honte d’y être associées.
Après écoute du passage en cause, le Conseil est d’avis que l’expression reprochée ne constitue pas une injure et qu’il n’y a donc pas de faute pour propos injurieux. Le Conseil estime que M. Gendron avait le droit d’exprimer son jugement qui respectait les limites de la liberté d’expression dont disposent les journalistes d’opinion. Pour ces raisons, le Conseil ne retient pas le grief pour propos irrespectueux et injurieux.
Refus de collaborer
La station CHOI 91,9 Radio X n’a pas souhaité répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche à CHOI 91,9 Radio X, son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette les plaintes de Mmes Doris Milmore et Julie-Andrée Rostan contre l’animateur Stéphane Gendron et la station CHOI 91,9 Radio X, pour propos heurtant la sensibilité du public et pour propos irrespectueux et injurieux.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme la station CHOI 91,9 Radio X.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au Secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8.2)
Analyse de la décision
- C15I Propos irresponsable
- C15J Abus de la fonction d’animateur
- C24A Manque de collaboration