Plaignant
Mme Sabrine Ez Zaky et M. Ahboucha Samir
Mis en cause
M. Richard Martineau, journaliste; M. Dany Doucet, rédacteur en chef et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Mme Sabrine Ez Zaky et M. Ahboucha Samir, ainsi que douze personnes en appui, déposent une plainte le 21 juillet 2013 contre le chroniqueur Richard Martineau, concernant la chronique « Vous avez chaud », publiée le 19 juillet 2013 dans Le Journal de Montréal. Les plaignants dénoncent des propos inexacts et islamophobes. M. Samir estime également qu’il y a un manque d’équilibre dans le texte du chroniqueur.
Le Journal de Montréal a refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : propos inexacts
Dans son texte, M. Martineau affirme que les enfants musulmans sont soumis au jeûne du ramadan, une affirmation démentie par les plaignants. Mme Ez Zaky affirme que les parents interdisent aux enfants de jeûner parce que cela peut nuire à leur croissance. M. Samir précise que ce n’est qu’après la puberté que les musulmans pratiquent le jeûne du ramadan.
Dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil souligne que le journalisme d’opinion permet une grande latitude, mais « Les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. » Et, « S’ils peuvent dénoncer avec vigueur les idées et les actions qu’ils réprouvent, porter des jugements en toute liberté, rien ne les autorise cependant à cacher ou à altérer des faits pour justifier l’interprétation qu’ils en tirent. » (DERP, p. 28)
Aux yeux du Conseil, lorsque le chroniqueur écrit : « Cela dit, je me pose une question : si, au cours des prochaines semaines, j’interdisais à mes enfants de boire de l’eau, la DPJ débarquerait à la maison et m’accuserait de maltraitance, non? », il fait directement référence au jeûne que devraient, selon lui, observer les enfants d’âge mineurs, puisqu’il évoque la Direction de la protection de la jeunesse, un organisme visant à protéger les enfants et les jeunes âgés entre 0 et 18 ans.
Les vérifications du Conseil lui ont permis d’apprendre que les enfants prépubères n’ont pas à faire le ramadan et que c’est la puberté qui marque le début du devoir religieux dans la religion musulmane. Par ailleurs, dans l’ABCdaire de l’Islam, on indique que « Les enfants abordent le jeûne du ramadan graduellement – une demi-journée, une journée, etc. – jusqu’à ce qu’ils soient assez robustes pour l’accomplir dans sa totalité. »[1]
De l’avis du Conseil, la question que soulève le chroniqueur n’est pas inexacte, considérant que les informations recueillies démontrent qu’une partie des mineurs pratiquent le jeûne pendant le ramadan et que ce sujet peut soulever des questions de santé et de protection de la jeunesse.
Le Conseil rejette le grief pour propos inexacts.
Grief 2 : propos islamophobes
Les plaignants estiment que les propos du chroniqueur sont islamophobes. Mme Ez Zaky considère qu’en reliant la DPJ et le ramadan, le chroniqueur accuse les musulmans de manque de responsabilité et de stupidité. Elle estime que le chroniqueur dépasse la liberté d’expression et qu’il atteint l’intégrité des musulmans canadiens et diffuse des propos racistes qui peuvent être dangereux et déclencheurs d’une haine ethnique. Selon M. Samir, le chroniqueur tient des propos islamophobes dans les extraits suivants : « Personnellement, je trouve qu’Allah a bien du temps à perdre pour surveiller si Untel ou Untel boit de l’eau en pleine canicule, mais qu’est-ce que j’en sais, hein? » et « Sinon, Allah va faire la danse du bacon. »
Dans son guide, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil rappelle que : « La chronique, le billet et la critique sont des genres journalistiques qui laissent à leurs auteurs une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. Ils permettent aux journalistes qui le pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire. » (DERP, p. 18)
En analysant la chronique, le Conseil considère que le journaliste a fait valoir ses questionnements et son point de vue sur les prescriptions relatives au ramadan. Bien que son propos soit railleur et cynique, le Conseil ne croit pas que M. Martineau a outrepassé les limites raisonnables de la liberté d’expression que l’on reconnaît aux journalistes d’opinion.
Le Conseil rejette le grief de propos islamophobes.
Grief 3 : manque d’équilibre
M. Samir estime que M. Martineau manque d’équilibre lorsqu’il écrit : « Tout ça, alors que la Santé publique recommande à la population de boire beaucoup, beaucoup d’eau pour résister aux chaleurs extrêmes… » Il considère que le chroniqueur aurait dû présenter les effets bénéfiques du jeûne.
Le Conseil rappelle qu’un chroniqueur présente sa lecture personnelle d’un évènement d’actualité ou d’une question de société. Il choisit d’aborder une question sous un certain angle. Dans le cas présent, le chroniqueur a choisi d’examiner la sévérité des règles entourant le ramadan. Puisqu’il ne s’agit pas d’un texte sur les bienfaits scientifiques du jeûne, il n’avait pas à rappeler les potentiels effets bénéfiques du jeûne.
Le Conseil rejette le grief pour manque d’équilibre.
Refus de collaborer
Le Journal de Montréal a refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche au Journal de Montréal son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte le concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette les plaintes de Mme Sabrine Ez Zaky et M. Ahboucha Samir contre le journaliste M. Richard Martineau et Le Journal de Montréal pour les griefs de propos inexacts, propos islamophobes et manque d’équilibre.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le quotidien Le Journal Montréal.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger, présidente du comité des plaintes
M. Adélard Guillemette
Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
Mme Katerine Belley-Murray
M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
M. Éric Latour
M. Gilber Paquette
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C17C Injure
- C24A Manque de collaboration