Plaignant
Mme Josée Couture et M. Nicolas Gagnon
Mis en cause
Mme Karine Gagnon, chroniqueuse; M. Éric Cliche, directeur de l’information et Le quotidien Le Journal de Québec
Résumé de la plainte
Mme Josée Couture et M. Nicolas Gagnon déposent une plainte les 4 et 5 novembre 2013 contre la chroniqueuse Karine Gagnon, concernant la chronique « Le grand complot », publiée le 2 novembre 2013 dans Le Journal de Québec. M. Gagnon estime que la chroniqueuse y fait preuve de partialité. Les deux plaignants dénoncent le dévoilement des antécédents judiciaires du candidat à la mairie David Lemelin, alors qu’il avait obtenu son pardon.
Le Journal de Québec a refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : partialité
M. Nicolas Gagnon estime que la chroniqueuse a un parti pris pour le maire de Québec, Régis Labeaume. Il considère que tous ses articles sont positifs à son endroit et qu’elle transmet ses opinions plutôt que des faits.
Dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil affirme : « La chronique, le billet et la critique sont des genres journalistiques qui laissent à leurs auteurs une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. »On peut également y lire : « Ces genres accordent en général une grande place à la personnalité de leurs auteurs. C’est leur lecture personnelle de l’actualité, des réalités et des questions qu’ils choisissent de traiter qui est surtout mise en perspective. » (DERP, p. 18)
Dans le cadre de sa chronique, il est tout à fait légitime que Mme Gagnon émette ses opinions et prenne position dans les débats qui animent la scène municipale, puisqu’il s’agit précisément du rôle d’un journaliste d’opinion, comme Mme Gagnon.
Le grief de partialité est rejeté.
Grief 2 : dévoilement d’antécédents judiciaires
Les plaignants estiment que Le Journal de Québec a manqué de rigueur et de jugement en dévoilant, à deux jours du scrutin, que le candidat à la mairie, David Lemelin, avait obtenu son pardon concernant une condamnation pour voies de fait sur son ex-conjointe. Ils notent que les faits reprochés remontent à 1993.
Le Journal de Québec a refusé de répondre à la plainte déposée au Conseil de presse. Cependant, le 1er novembre 2013, Sébastien Ménard, rédacteur en chef, signait un texte intitulé « Une question d’intérêt public », où il défendait la publication du texte en question. Il y écrit : « À notre avis, les électeurs de Québec ont le droit de savoir que l’homme qui qualifie Régis Labeaume de « dictateur » « grossier » et « rude » a eu un dossier criminel pour un incident de violence conjugale. Nous estimons que le public et les agents de la paix, qui sont confrontés à cette forme de violence, ont le droit de savoir comment s’est déjà comporté celui qui rêve de voter le budget du service de police de la deuxième ville en importance au Québec. »
Selon le guide de déontologie, « La presse doit s’abstenir de divulguer ou de faire allusion aux antécédents judiciaires d’une personne, à moins qu’il ne soit clairement démontré que cette information est pertinente à la nouvelle et d’un intérêt public certain. » (DERP, p. 45) Le DERP définit l’intérêt public comme étant « tout ce qui est nécessaire au citoyen pour qu’il participe pleinement à la vie en société ». (DERP, p. 7)
Le Conseil rappelle que la suspension du casier judiciaire (autrefois appelé pardon) permet à quelqu’un ayant fini de purger sa peine et démontrant qu’il respecte les lois d’obtenir que les renseignements sur sa condamnation soient conservés dans une base de données non accessible aux médias d’information. Cela n’efface pas le fait que la personne ait été reconnue coupable d’une infraction. Cependant, la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit toute discrimination envers les personnes qui ont obtenu une suspension du casier judiciaire. Au niveau provincial, la Charte des droits et libertés de la personne stipule qu’on ne peut congédier, refuser d’embaucher ou pénaliser une personne coupable d’une infraction pénale si elle a obtenu le pardon.
Ainsi, le fait de divulguer dans les médias les antécédents judiciaires d’une personne ayant obtenu son pardon semble pour certains, contraire à l’esprit de la Loi qui vise à favoriser la réhabilitation de citoyens qui sont maintenant respectueux des lois.
Le Conseil de presse tient tout d’abord à rappeler que l’examen de la plainte soumise à son attention ne vise pas à déterminer si les mis en cause ont commis quelque faute en regard de lois, mais de trancher sur des questions relevant de la déontologie et de l’éthique journalistique.
Le Conseil précise que la décision d’un média de publier des informations judiciaires faisant l’objet de pardon est très délicate et doit être prise au cas par cas à la suite d’un examen bien réfléchi sur la pertinence de publier l’information.
De l’avis du Conseil, dans le présent cas, compte tenu de l’importance des responsabilités auxquelles aspirait M. Lemelin, du fait que les électeurs fondent leur vote notamment sur des questions d’évaluation de la personnalité des candidats en lice et qu’aucun geste de violence contre la personne ne présente un caractère anodin, le Conseil juge que Le Journal de Québec était justifié de rendre public les antécédents judiciaires de M. Lemelin même si celui-ci avait obtenu un pardon. Le Conseil estime qu’il était pertinent que le mis en cause soumette la question à l’examen public des électeurs qui, eux, ont à évaluer si le comportement passé du candidat permettait de lui accorder leur confiance et de lui offrir la charge de maire.
Le grief concernant le dévoilement d’antécédents judiciaires est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Josée Couture et de M. Nicolas Gagnon contre la chroniqueuse Mme Karine Gagnon et Le Journal de Québec pour les griefs de partialité et de dévoilement des antécédents judiciaires.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme Le Journal de Québec.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentant du public :
Mme Micheline Bélanger, présidente du comité des plaintes
Représentant des journalistes :
M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
M. Éric Latour
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C13A Partialité
- C16A Divulgation des antécédents judiciaires
Date de l’appel
17 September 2014
Appelant
Mme Josée Couture
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
Griefs de l’appelante :
L’appelante conteste la décision de première instance relativement à deux griefs :
- Grief 1 : partialité
- Grief 2 : dévoilement d’antécédents judiciaires
Grief 1 : partialité – De l’avis de l’appelante, Mme Josée Couture, les journalistes doivent être impartiaux et conscients des conséquences que peut engendrer la publication de telles nouvelles. En conclusion, Mme Couture demande à ce que le grief de partialité soit retenu à l’encontre de la journaliste.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [5], en regard du journalisme d’opinion, journalisme auquel est associé le travail de Mme Gagnon : « Dans le cadre de sa chronique, il est tout à fait légitime que Mme Gagnon émette ses opinions et prenne position dans les débats qui animent la scène municipale, puisqu’il s’agit précisément du rôle d’un journaliste d’opinion, comme Mme Gagnon. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique du journalisme d’opinion : « Ces genres accordent en général une grande place à la personnalité de leurs auteurs. C’est leur lecture personnelle de l’actualité, des réalités et des questions qu’ils choisissent de traiter qui est surtout mise en perspective. » (DERP, p.18)
Grief 2 : dévoilement d’antécédents judiciaires – Selon l’appelante, le guide de déontologie du Conseil de presse mentionne qu’un journaliste doit être vigilant et prudent dans la diffusion d’information, ce qui n’aurait pas été fait dans le présent cas. Mme Couture se questionne au sujet du facteur temps lors de la publication d’une nouvelle. À partir de quand peut-on publier? Pourquoi cette information a-t-elle été publiée à deux jours du scrutin? L’appelante conclut que le journal a fait une grossière erreur en publiant cette nouvelle après 20 ans. En conclusion, Mme Couture demande à ce que le grief de dévoilement d’antécédents judiciaires soit retenu à l’encontre de la journaliste et du média.
Les membres du comité de première instance concluaient aux paragraphes [13] et [14] : « Le Conseil précise que la décision d’un média de publier des informations judiciaires faisant l’objet de pardon est très délicate et doit être prise au cas par cas à la suite d’un examen bien réfléchi sur la pertinence de l’information. » Et, « De l’avis du Conseil, dans le présent cas, compte tenu de l’importance des responsabilités auxquelles aspirait M. Lemelin, du fait que les électeurs fondent leur vote notamment sur des questions d’évaluation de la personnalité des candidats en lice et qu’aucun geste de violence contre la personne ne présente un caractère anodin, le Conseil juge que Le Journal de Québec était justifié de rendre public les antécédents judiciaires de M. Lemelin même si celui-ci avait obtenu un pardon. Le Conseil estime qu’il était pertinent que le mis en cause soumette la question à l’examen public des électeurs qui, eux, ont à évaluer si le comportement passé du candidat permettait de lui accorder leur confiance et de lui offrir la charge de maire. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique des antécédents judiciaires : « La presse doit s’abstenir de divulguer ou de faire allusion aux antécédents judiciaires d’une personne, à moins qu’il ne soit clairement démontré que cette information est pertinente à la nouvelle et d’un intérêt public certain. » (DERP, p. 45) Et tout en précisant la notion d’intérêt public : « […] tout ce qui est nécessaire au citoyen pour qu’il participe pleinement à la vie en société. » (DERP, p. 7)
RÉPLIQUE DES INTIMÉS
Les intimés n’ont soumis aucune réplique à l’appel.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Hélène Deslauriers
M. Pierre Thibault
Représentant des journalistes :
M. Daniel Renaud
Représentant des entreprises de presse :
M. Pierre Sormany