Alors que les parlementaires québécois débattent à savoir si un député peut contrôler un média d’information, une sénatrice française tente de trouver un cadre permettant de protéger l’indépendance des journalistes vis-à-vis les actionnaires de leur média.
Dans le préambule de son projet de loi, la sénatrice Nathalie Goulet analyse le contexte dans lequel les journalistes exercent leur travail. « On a observé une financiarisation du secteur et son “appropriation” par des groupes financiers ou industriels aux objectifs clairs : utiliser les médias, qu’ils possèdent de façon directe ou indirecte, pour servir une cause politique », peut-on lire dans cette proposition résultant d’échanges entre la sénatrice centriste, les Indignés du PAF et le Syndicat national des journalistes (SNJ).
Le projet de loi prévoit la mise en place de conseils de rédaction dans les entreprises de presse. Ceux-ci protégeraient entre autres l’indépendance des journalistes dans l’exercice de leur profession, autant par rapport au pouvoir politique qu’aux pressions des actionnaires. Ils assureraient également que les journalistes ne soient pas en conflit d’intérêts, veillent au respect de la ligne éditoriale et participent à la gestion de l’entreprise.
Dans un appel solennel au président de la République publié en juillet dernier, le SNJ a fait valoir que cette reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles est la « seule capable de rééquilibrer les pouvoirs au sein des entreprises de presse et, ainsi de reconnaître une âme aux rédactions. »
Les Indignés du PAF soulignent qu’avec cette reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle, il sera possible de dénoncer devant la justice toute restriction à l’indépendance des journalistes. Il fait d’ailleurs circuler une pétition exigeant que l’on garantisse l’indépendance des rédactions.
Parmi les motifs invoqués pour cette modification à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse, on cite la couverture des démêlés judiciaires du sénateur Serge Dassault par Le Figaro, quotidien dont il est le propriétaire. En février dernier, Libération avait publié un texte intitulé « Au “Figaro”, pas la liberté de blâmer ». On y relevait le malaise ressenti par les journalistes.
En entrevue à Télérama, Mme Goulet a indiqué que l’objectif de sa proposition de loi n’est pas de remplacer les sociétés de journalistes par des conseils de rédactions quoiqu’elle ajoute que les sociétés de journalistes pourraient « faire évoluer leurs statuts pour disposer de cette arme juridique ». Un article du Metro News rappelle que les avis des sociétés de journalistes ne sont pas contraignants pour les patrons de presse.
Le vote sur le projet de loi devrait avoir lieu à la mi-novembre. Sur son blogue, l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France estime qu’il y a « encore beaucoup d’obstacles politiques pour qu’elle [la proposition] vienne en discussion, et encore plus pour qu’elle soit adoptée […] »
En 2013, lors de l’examen d’un projet de loi sur la transparence de la vie publique, Mme Goulet avait tenté d’interdire qu’un parlementaire détienne une entreprise de presse ou y exerce des fonctions de direction. Le Sénat et le gouvernement avaient alors refusé cet amendement.
Mise à jour le 9 octobre 2014
Deux textes (ici et ici) résument la conférence de presse tenue le 7 octobre et réunissant la sénatrice Nathalie Goulet, la secrétaire générale du SNJ Dominique Pradalié, le porte-parole des Indignés du PAF Philippe Guihéneuf, et le grand reporter de France Télévisions Joseph Tual.
Dans ces comptes rendus on peut lire que « Depuis le début des années 2000, les droits des journalistes sont insuffisants. Cela se fait au détriment des rédactions, étant peu rémunératrices pour les médias : la mission d’information du public a disparu dans l’idéal des propriétaires de médias. […] Le Conseil de Rédaction permettra d’asseoir une protection collective, diminuant fortement l’autocensure, et sera en premier lieu une « instance de dialogue ». »
Consciente que le projet paraîtra probablement incomplet aux yeux du milieu journalistique, Mme Goulet a fait valoir que « ce texte présente une avancée ».