Plaignant
Mme Janyse L. Pichette, secrétaire-trésorière et la MRC de Maskinongé
Mis en cause
Mme Audrey Leblanc, journaliste, Mme Marie-Eve Veillette, chef de nouvelles et l’hebdomadaire L’Écho de Maskinongé
Résumé de la plainte
Au nom de la MRC de Maskinongé, Mme Janyse L. Pichette, secrétaire-trésorière, dépose une plainte le 15 juillet 2014, à l’encontre de la journaliste Audrey Leblanc et l’hebdomadaire L’Écho de Maskinongé, au sujet d’un article intitulé « Un cas de harcèlement dans la MRC de Maskinongé », publié le 25 juin 2014. Il est reproché à la journaliste et à l’hebdomadaire d’avoir manqué d’équilibre et d’avoir fait preuve de partialité dans le traitement de l’information, en plus d’avoir porté atteinte à la réputation des représentants de la MRC de Maskinongé.
L’article visé s’inscrit dans le cadre de la publication d’un dossier regroupant trois articles publiés le 25 juin 2014, portant sur le harcèlement psychologique au travail. Il illustre ce sujet par un cas de plainte de harcèlement vécu sur le territoire de la MRC de Maskinongé, relaté à travers le témoignage d’une source anonyme.
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions à ce titre, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Analyse
Grief 1 : manque d’équilibre
Les motifs de la plainte sont expliqués dans un extrait du procès-verbal d’une séance du conseil de la MRC de Maskinongé, transmis par Mme Pichette au Conseil de presse. Il y est noté que la journaliste « n’a fait aucune vérification des dires de sa source ». La MRC fait ainsi valoir que le point de vue de cette source aurait dû être confronté à sa propre version des faits, puisqu’elle est l’organisme mis en cause dans le dossier de plainte de harcèlement relaté dans l’article.
Par ailleurs, la MRC mentionne avoir fait, dans les jours suivant la publication du texte, de nombreuses demandes de rencontre au directeur régional de l’information de L’Écho de Maskinongé, Bernard Lepage, afin de discuter de l’article et de faire éventuellement valoir son point de vue dans le journal. Mme Janyse L. Pichette a précisé au Conseil que lorsque M. Lepage a fait suite à ces demandes, le 10 juillet, la MRC venait d’adopter une résolution afin de déposer une plainte au Conseil de presse et avait renoncé à rencontrer M. Lepage.
Mme Marie-Ève Veillette, chef de nouvelles de L’Écho de Maskinongé, expose que « le but visé par cet article n’était pas de présenter les détails de l’affaire en cause, mais plutôt de sensibiliser la population à cette problématique [le harcèlement psychologique au travail]. […] Si nous avions voulu publier un reportage sur le coeur du litige, c’est l’évidence même que nous aurions donné l’opportunité à la MRC de faire valoir son point de vue ».
Mme Veillette ajoute qu’avant la diffusion, par la MRC, d’un avis public en réaction à l’article, le public ignorait qu’elle était impliquée dans un dossier de plainte de harcèlement. Elle soutient que le journal a, quant à lui, préservé l’identité des parties dans l’article. « Quiconque le lit ne peut associer directement la MRC au dossier ». Mme Veillette ajoute qu’au surplus, le lecteur ne peut identifier le comité directement touché par la plainte de harcèlement psychologique. Selon Mme Veillette, comme l’article mentionne simplement qu’un « comité oeuvrant dans le domaine de la sécurité, pour la MRC » et non « à la MRC », l’implication de la MRC dans le dossier était suffisamment floue.
Quant aux demandes répétées de la plaignante pour une rencontre avec M. Lepage, ce dernier n’a pas nié les dires de Mme Janyse L. Pichette. Il a expliqué au Conseil que le moment de la publication de l’article coïncidait avec une surcharge de son emploi du temps et qu’il n’a pas été en mesure de faire un suivi sur cette affaire avant le 10 juillet.
Dans son guide de déontologie Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil de presse mentionne que « quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre les parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. » (p. 26)
Le Conseil tient à souligner que bien que le choix de l’angle ou l’orientation d’un reportage soit une prérogative des rédactions, ces dernières ne peuvent se soustraire à l’obligation de livrer au public une information équilibrée.
À la lecture de l’article, le Conseil constate qu’il est presque entièrement construit à partir du témoignage d’une source anonyme. Cette personne est la seule citée lorsqu’il s’agit de relater le déroulement de l’enquête, sur laquelle elle pose un jugement négatif, sans que cette version des faits ne soit confrontée à celle de l’autre partie.
Les précautions prises par la rédaction de l’hebdomadaire afin de préserver l’identité de la MRC sont, de l’avis du Conseil, trop minces pour empêcher le public de l’identifier comme l’une des parties.
La journaliste présentait donc clairement un sujet opposant deux parties en litige dans le contexte particulièrement sensible et polarisé qu’est celui du harcèlement psychologique en milieu de travail. Le Conseil juge qu’il était nécessaire d’offrir un traitement équilibré des deux versions en présence. Ce devoir d’équilibre était d’autant plus important que la source citée par la journaliste est anonyme. En effet, la rigueur devant guider toute démarche journalistique se doit d’être observée avec la plus grande attention dans les cas d’utilisation de sources anonymes, afin de préserver la crédibilité de la presse et la confiance du public dans l’information qui lui est servie.
Le grief de manque d’équilibre est donc retenu.
Grief 2 : partialité
Selon la MRC, la journaliste, Mme Audrey Leblanc, a porté un jugement en rapportant, dans son article, que la plainte en harcèlement a été traitée de façon injuste et non objective.
Mme Marie-Eve Veillette réplique qu’« en aucun moment notre journaliste ne porte de jugement personnel sur l’histoire. […] Elle ne fait que rapporter le témoignage de son intervenant ».
Le guide de déontologie mentionne que, lorsqu’ils produisent un reportage, « les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter». (DERP, p. 26)
Le Conseil constate que dans l’article visé, la journaliste s’en tient à rapporter le témoignage de sa source, par le biais de citations. Toutefois, un passage qui formule une critique sur le processus de traitement de la plainte en harcèlement n’est pas entre guillemets dans le texte : « Toutefois, l’une des personnes impliquées dans le litige entre René et Yvan supervisait l’enquête et se trouvait en conflit d’intérêts ».
Aux yeux du Conseil, la question est donc de savoir si l’affirmation de l’existence d’un conflit d’intérêts doit être considérée comme un jugement de fait ou comme un jugement de valeur. Considérant que la MRC conteste la véracité de cette affirmation, tout à fait centrale dans cette affaire, et considérant que le mis en cause prétend n’avoir jamais voulu enquêter là-dessus, la journaliste ne pouvait la reprendre à son compte sans prendre parti en faveur de sa source anonyme et ainsi commettre une faute de partialité, qui aurait pu être évitée en ayant simplement recours aux guillemets, au conditionnel ou à une formulation telle que « Selon ma source… ».
En conséquence, le grief de partialité est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de la MRC de Maskinongé contre la journaliste Audrey Leblanc et l’hebdomadaire L’Écho de Maskinongé, pour les griefs de manque d’équilibre et de partialité.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
M. Adélard Guillemette
Mme Jackie Tremblay
Représentants des journalistes :
Mme Katerine Belley-Murray
M. Marc-André Sabourin
Représentant des entreprises de presse :
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C15D Manque de vérification
- C17A Diffamation
- C20A Identification/confusion des genres