Plaignant
Mme Loredana Ionescu Togan et M. Adrian Togan
Mis en cause
Mme Camille Laurin-Desjardins, journaliste, M. Dany Doucet, rédacteur en chef, le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com
Mme Marie-Pier Cloutier, journaliste, les émissions « Le Québec Matin » et « TVA Nouvelles », le site Internet tvanouvelles.ca et le Groupe TVA et M. Serge Fortin, vice-président information
Résumé de la plainte
Mme Loredana Ionescu Togan et M. Adrian Togan déposent une plainte le 10 septembre 2014 contre la journaliste Camille Laurin-Desjardins, le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com concernant les articles « Quand un voisin est un vice caché » et « Pris dans un piège », publiés le 29 juin 2014. Leur plainte vise également la journaliste Marie-Pier Cloutier, les émissions « Le Québec Matin » et « TVA Nouvelles », ainsi que le site Internet tvanouvelles.ca. Ils déplorent des informations inexactes, des propos inappropriés, des commentaires méprisants et racistes, une atteinte à la vie privée, une atteinte au droit à un procès juste et équitable, du sensationnalisme et l’absence d’intérêt public.
De plus, les plaignants estiment que l’article publié dans Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com ainsi que les reportages diffusés durant les émissions « Le Québec Matin » et « TVA Nouvelles » portent atteinte à leur réputation.
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions à ce titre, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
L’article du Journal de Montréal et les reportages diffusés durant les émissions « Le Québec Matin » et « TVA Nouvelles » rapportent qu’un homme a intenté une poursuite contre l’ancienne propriétaire de son condo parce qu’il juge que ses voisins constituent un vice caché.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Les plaignants, qui sont identifiés dans les reportages comme étant les voisins dérangeants, déplorent cinq informations inexactes dans l’article publié dans Le Journal de Montréal et sur les sites Internet du quotidien et de tvanouvelles.ca.=
La première information inexacte concerne la phrase suivante : « Exaspéré par le calvaire que lui a fait subir le couple qui habitait au-dessus de lui, un homme a fini par déménager du condo qu’il venait d’acheter. » Ils soutiennent n’avoir eu aucun contact avec l’homme en question, M. Daniel Charron, et que celui-ci a déménagé pour d’autres raisons.
Deuxièmement, les plaignants estiment que l’utilisation du mot « malentendu » est inexacte, dans la phrase : « À la suite d’un malentendu sur les places de stationnement, à l’arrière des condos […] ». Ils jugent qu’il ne s’agissait pas d’un malentendu, mais plutôt de provocation de la part de M. Charron.
Troisièmement, ils affirment que la journaliste rapporte de fausses accusations en écrivant : « Lorsqu’il a voulu louer le logement, ses voisins auraient fait du tapage chaque fois qu’il y avait une visite ». Ils soutiennent qu’il s’agit d’une histoire inventée par M. Charron.
Quatrièmement, les plaignants soutiennent qu’il était inexact d’écrire : « Il devait souvent passer par la porte du côté passager pour entrer ou sortir de son auto ». Selon les plaignants, M. Charron avait suffisamment d’espace pour garer sa voiture. Ils notent que la journaliste a pu elle-même le constater puisqu’elle a pris des photos du stationnement.
Cinquièmement, les plaignants soutiennent que c’est M. Charron qui a endommagé intentionnellement leur véhicule. Ils considèrent donc fausse l’affirmation suivante : « M. Charron a plutôt vécu d’énormes conflits concernant les places de stationnement, du vacarme à répétition et une affaire de voiture égratignée. »
À la lecture de la requête introductive d’instance déposée par la poursuite, le Conseil constate que les extraits contestés résument fidèlement les faits présentés dans le document judiciaire, et les médias n’avaient pas à se substituer à la Cour pour évaluer la véracité des affirmations de la requête introductive d’instance.
Le grief est rejeté sur ces cinq premiers points.
Les plaignants déplorent deux autres inexactitudes, relatives aux démarches de la journaliste, qui affirme que Le Journal de Montréal a contacté toutes les parties impliquées dans ce dossier, les plaignants affirment qu’elle n’a jamais tenté de les joindre avant la publication. Ils soutiennent, de plus, qu’il est faux d’écrire qu’ils ont « refusé de parler à la journaliste de TVA Nouvelles ». Ils prétendent que l’équipe de télévision n’a jamais essayé d’entrer en contact avec eux afin de leur permettre de donner leur point de vue.
La journaliste, Mme Laurin-Desjardins, a indiqué au Conseil les démarches entreprises pour tenter d’obtenir la version des faits de M. et Mme Togan. Ces derniers n’ont pas donné suite aux messages laissés dans leur boîte aux lettres. Une collègue de Mme Laurin-Desjardins s’est également rendue à leur domicile, mais Mme Togan aurait signifié « qu’elle n’était pas intéressée ».
En regardant le reportage intitulé « Voisin dérangeant : un vice caché ? », le Conseil a constaté que la journaliste affirme à l’animateur Paul Larocque : « On a voulu faire le point avec les occupants visés par la poursuite. Ils n’ont pas voulu nous ouvrir la porte ce matin […] plutôt nous ont fait signaler leur refus de nous accorder une entrevue par le biais des policiers. »
Dans le présent cas, le Conseil estime que la version des mis en cause est plus probante que celle des plaignants, et ne peut donc conclure à une faute à cet égard.
Le grief est rejeté sur ces deux points.
Au vu de ce qui précède, le grief pour informations inexactes est rejeté.
Grief 2 : propos inappropriés
Les plaignants considèrent que la phrase suivante contient des propos inappropriés : « Tout de même, cela n’est-il pas ironique que la personne qui cause les désagréments, dans ce cas-ci, s’en sorte indemne? » Cette phrase fait partie de l’article secondaire intitulé « Pris dans un piège », publié dans Le Journal de Montréal et sur le site Internet du quotidien. Les plaignants estiment qu’il s’agit de provocation et y voit un encouragement à des représailles contre leur famille.
En lisant l’article en question, le Conseil ne constate aucune faute. La phrase pointée par les plaignants est une façon pour la journaliste d’introduire les propos d’un expert. Cette question lui est adressée et cela permet d’explorer une autre facette du dossier. Aux yeux du Conseil, on ne peut non plus y voir là une quelconque forme de provocation ou d’encouragement à exercer des représailles contre les plaignants.
Le grief est rejeté sur ce point.
Grief 3 : commentaires méprisants et racistes
Les plaignants déplorent que des propos méprisants et racistes aient été publiés à la suite de l’article, par des internautes, sur le site du Journal de Montréal. Ils soulignent que le site Internet affirme modérer les commentaires du public. Les plaignants jugent que quatre commentaires constituent des propos méprisants et racistes.
Le guide de déontologie du Conseil de presse du Québec, Droits et responsabilités de la presse (DERP) rappelle que les médias « sont responsables de tout ce qu’ils publient ou diffusent», ce qui inclut les contributions du public. (p. 37) De plus, le DERP stipule que les médias « doivent impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. » (p. 41)
Les trois premiers commentaires relevés sont : « Oui c’est comme s’il y avait une porcherie à côté de la maison et qu’elle était cachée. Je ne comprends pas pourquoi, d’habitude les Roumains sont des gens corrects. Je dois me tromper… », « tu peux payer des gens qui s’occupe de ce genre de probleme » (sic) et « M. Charron, vendez (ou louer) votre condo à un Hells Angel. J’ai l’impression que votre voisin va se calmer rapidement. » (sic)
Le Conseil constate que dans le premier commentaire, la conclusion de la phrase nourrit manifestement des préjugés à l’égard des Roumains. Dans le deuxième commentaire, les internautes incitent le propriétaire du condo à utiliser la violence pour régler les problèmes qu’il aurait avec ses voisins. On suggère implicitement de payer quelqu’un pour qu’il menace ou s’en prenne physiquement aux Togan et dans le dernier commentaire, on fait explicitement référence à un groupe criminalisé.
Le Conseil considère que ces commentaires auraient dû être retirés du site Internet puisqu’ils dérogent au code de déontologie.
Le grief est donc retenu en ce qui concerne ces trois commentaires.
Le quatrième commentaire relevé par le plaignant est : « J’ai déjà eu un de ces crétins comme voisin. La seule façon de s’en débarrasser c’est de les poursuivre en justice et faire étirer les procédures. Quand ça leur fait trop mal dans le portefeuille ils disparaissent sans laisser de traces. »
Aux yeux du Conseil, ce commentaire ne dépasse pas la limite permise de la liberté d’expression.
Le grief est rejeté en ce qui concerne ce commentaire.
Au vu de ce qui précède, le grief pour propos méprisants et racistes est retenu concernant les commentaires suivants : « Oui c’est comme s’il y avait une porcherie à côté de la maison et qu’elle était cachée. Je ne comprends pas pourquoi, d’habitude les Roumains sont des gens corrects. Je dois me tromper… », « tu peux payer des gens qui s’occupe de ce genre de probleme » (sic) et « M. Charron, vendez (ou louer) votre condo à un Hells Angel. J’ai l’impression que votre voisin va se calmer rapidement. » (sic) publiés sur le site journaldemontreal.com.
Grief 4 : atteinte à la vie privée
Les plaignants estiment que l’article « Quand un voisin est un vice caché » publié dans Le Journal de Montréal et sur le site Internet du quotidien, ainsi que les reportages « Le vice caché, c’est le voisin » et « Voisin dérangeant : un vice caché? » diffusés au cours des émissions « Le Québec Matin » et « TVA Nouvelles » ont porté atteinte à leur vie privée.
Dans le cas de l’article du Journal de Montréal, ils déplorent qu’on ait mentionné leurs noms sans leur consentement et que les photos aient montré l’entrée de leur maison ainsi que leur stationnement. Ils estiment que cela les a rendus identifiables.
Dans le cas des reportages télévisés, les plaignants notent que des images de leur voiture ont également été diffusées. Celle-ci aurait par la suite été endommagée, selon eux.
Le guide de déontologie du Conseil indique que « lorsque des faits, des événements et des situations mettent en cause la vie privée de personnes, la presse doit bien soupeser et mettre en équilibre son devoir d’informer et le respect des droits de la personne. » (DERP, p. 42)
Le Conseil considère que les éléments soulevés par les plaignants ne constituent pas une atteinte à leur vie privée. Leurs noms apparaissent dans le document légal obtenu par la journaliste du Journal de Montréal. Le fait de nommer les personnes visées par une procédure judiciaire est une pratique acceptée. En ce qui concerne les informations transmises par le biais des photos du quotidien, le Conseil estime qu’elle ne porte pas atteinte à leur vie privée. Sur l’une des photos, on distingue effectivement leur numéro de porte, mais la journaliste n’indique nulle part le nom de la rue. Elle précise uniquement que l’immeuble est situé à Bois-des-Filion. Dans le cas des images présentées à TVA montrant la voiture des Togan, le Conseil considère qu’il s’agissait d’une information pertinente puisque le véhicule garé dans leur espace de stationnement se trouve très près de la ligne médiane, comme leur reproche M. Charron.
Le grief d’atteinte à la vie privée est rejeté.
Grief 5 : atteinte au droit à un procès juste et équitable
Les plaignants estiment que l’article publié dans Le Journal de Montréal et sur son site Internet ainsi que les reportages diffusés lors des émissions « Le Québec matin » et « TVA Nouvelles » ont porté atteinte à leur droit à un procès juste et équitable.
Les plaignants déplorent qu’on y rapporte les faits présentés par M. Charron dans sa poursuite. Ils craignent que ce battage médiatique influence l’opinion publique et peut-être même les juges et les policiers. Ils rappellent qu’ils ont droit à un procès juste et impartial. Ils estiment avoir été traités comme des criminels, avant même d’avoir été jugés.
Le DERP rappelle que « dans sa couverture des affaires judiciaires, la presse […] doit éviter d’entraver le cours de la justice et de préjuger de l’issue d’une cause.» (p.45)
Après analyse, le Conseil juge qu’il n’y a pas eu atteinte au droit des plaignants à un procès juste et équitable. Le Conseil rappelle que la justice se déroule en public. Il est légitime de rapporter, au cours d’une procédure judiciaire, la position exposée par l’une des parties.
Le grief d’atteinte au droit à un procès juste et équitable est rejeté.
Grief 6 : sensationnalisme et absence d’intérêt public
Les plaignants estiment que les moyens déployés par l’équipe de TVA étaient sensationnalistes. Ils déplorent la présence de « plusieurs caméras et voitures de reportages », ainsi que de policiers devant leur domicile le 30 juin 2014. De plus, ils estiment que l’article publié dans Le Journal de Montréal et sur le site Internet du quotidien n’est pas d’intérêt public. Selon eux, l’article vise à servir les intérêts de M. Charron et de sa conjointe pour se venger d’eux.
Le DERP souligne que les journalistes ne doivent pas déformer l’information recueillie. « Le recours au sensationnalisme et l’“information-spectacle” risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et des événements et, d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises.» (p. 22)
Concernant l’intérêt public, le DERP définit ce concept comme étant « tout ce qui est nécessaire au citoyen pour qu’il participe pleinement à la vie en société.» (p. 7) Le guide de déontologie reconnaît également qu’il relève du jugement rédactionnel de décider de la pertinence d’un sujet.
Le Conseil juge que les moyens déployés par l’équipe de télévision n’ont pas mené à un traitement sensationnaliste qui exagérait la portée de l’événement. Aux yeux du Conseil, la présence d’une équipe de reportage équipée d’une caméra ne constitue pas des moyens démesurés puisqu’il s’agit d’une journaliste effectuant sa cueillette d’informations. De plus, pour le Conseil cette nouvelle était d’intérêt public parce qu’elle soulève un problème réel de nouveaux propriétaires qui s’estimeraient lésés par le fait de ne pas avoir été avisés par le vendeur de l’existence de voisins qu’ils jugent indésirables.
Le grief de sensationnalisme et absence d’intérêt public est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Loredana Ionescu Togan et M. Adrian Togan contre le site Internet journaldemontréal.com concernant le grief de commentaires méprisants et racistes. Cependant, il rejette les griefs d’informations inexactes, de propos inappropriés, d’atteinte à la vie privée, d’atteinte au droit à un procès juste et équitable, de sensationnalisme et d’absence d’intérêt public adressés à la journaliste, Camille Laurin-Desjardins, au Journal de Montréal et aux émissions « Le Québec Matin » et « TVA Nouvelles » et le site Internet tvanouvelles.ca.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
M. Adélard Guillemette
Mme Jackie Tremblay
Représentants des journalistes :
Mme Katerine Belley-Murray
M. Marc-André Sabourin
Représentant des entreprises de presse :
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16C Publication de l’adresse/téléphone
- C17C Injure
- C17H Procès par les médias
- C24A Manque de collaboration