Plaignant
M. Laurence Tilmant-Rousseau
Mis en cause
M. Éric Samson, rédacteur en chef et le magazine Urbania
Résumé de la plainte
M. Laurence Tilmant-Rousseau dépose une plainte le 14 avril 2015 contre M. Éric Samson, rédacteur en chef du magazine Urbania, au sujet d’un texte d’opinion intitulé : « Gamergate, Urbania et vous ». Le plaignant relève des inexactitudes, une information incomplète et déplore une absence de correctif.
L’éditorial visé porte sur le mouvement #GamerGate et ses aspects misogynes et sexistes, ainsi que sur le rôle joué par les médias dans le débat autour de cette question. Le texte aborde également l’émergence, dans la section réservée aux commentaires sur le site d’Urbania, de propos inappropriés.
À des fins de compréhension, #GamerGate est un hashtag (mot-clic) qui reflète un mouvement en ligne et un débat passionné sur le thème de la place des femmes dans l’univers de la conception de jeux vidéos, depuis son émergence en août 2014. La publication du billet de blogue thezoepost est reconnue comme la bougie d’allumage de ce mouvement. Son auteur, Eron Gjoni, y révèle les dessous de sa liaison avec son ex-copine, Zoe Quinn, conceptrice du jeu Depression Quest, lequel a été durement critiqué par de nombreux membres de la communauté des passionnés de jeux vidéos, appelés gamers. La révélation d’Eron Gjoni à l’effet que Zoe Quinn aurait eu des rapports sexuels avec un journaliste a créé une vague d’indignation, dans cette communauté, face à ce qui est perçu comme un problème d’éthique chez les journalistes vidéoludiques. Dans la foulée de la publication de thezoepost, Mme Quinn a fait l’objet d’intimidation et de menaces de viol et de mort. Des détracteurs du GamerGate ont alors dénoncé l’attitude des gamers qui, selon eux, se drapent dans la vertu d’un débat sur l’éthique journalistique pour masquer leur misogynie et leur culture rétrograde.
Le magazine Urbania a refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : inexactitudes
1.1 Inexactitudes dans le passage : « […] un gars écrit un billet de blogue accusant son ancienne copine, développeure de jeux vidéos indépendants, d’avoir couché avec des journalistes spécialisés en échange de couverture et de critiques positives, allégations qui ont depuis été démontrées fausses ».
M. Laurence Tilmant-Rousseau relève trois inexactitudes dans ce passage.
Dans un premier temps, M. Tilmant-Rousseau estime qu’il serait inexact qu’il ait été fait mention d’un échange de sexe contre une couverture ou une critique positive dans thezoepost. L’auteur, Eron Gjoni, n’a jamais fait une telle affirmation dans son billet de blogue, assure le plaignant.
M. Tilmant-Rousseau souligne également qu’Eron Gjoni précise, dans son blogue, qu’il lui est impossible d’affirmer que le journaliste Nathan Grayson était en conflit d’intérêts avant avril 2014, moment où il aurait commencé à avoir des relations sexuelles avec Zoe Quinn. Le plaignant note également que M. Grayson lui-même admet qu’Eron Gjoni n’a pas affirmé que Zoe Quinn avait eu des relations intimes avec lui dans l’espoir d’obtenir une couverture positive.
Dans son guide de déontologie Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil stipule que : « Les éditorialistes et commentateurs doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des événements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques. » (p. 28)
À la lecture du billet de blogue, le Conseil constate que l’auteur n’écrit pas explicitement que Zoe Quinn a eu des relations sexuelles avec des journalistes en échange de couverture ou de critiques positives.
Cependant, au-delà de la lecture de thezoepost au premier degré, le Conseil constate que l’allégation d’échange de sexe contre une couverture ou une critique positive est bien présente dans le sous-texte.
En marge d’extraits d’échanges Facebook reproduits dans le blogue, M. Gjoni souligne que Mme Quinn lui a menti de nombreuses fois au sujet de ses infidélités. Il ajoute qu’elle a prétendument manipulé Nathan Grayson pour éviter une couverture négative et suggère qu’elle est capable de consentir des faveurs sexuelles pour servir ses intérêts professionnels.
En particulier, M. Gjoni écrit ceci (traduction libre du Conseil) : « elle m’a menti de nombreuses fois, autant sur le plan interpersonnel que pour faire avancer ou protéger sa carrière »; « la vérité est qu’elle ment et manipule à toutes les occasions où ses intérêts sont en jeu, qu’ils soient interpersonnels, sentimentaux, politiques, professionnels, sexuels ou une combinaison de n’importe quels de ces intérêts ».
Il est pertinent ici de rappeler la grande liberté et latitude dont disposent les journalistes d’opinion, pour exprimer leur point de vue. Dans l’exercice de cette liberté et de cette latitude, le Conseil estime que M. Samson est resté fidèle aux faits en reflétant, dans son éditorial, le sous-texte indéniablement présent dans le billet de blogue d’Eron Gjoni.
Pour cette raison, le grief d’inexactitude est rejeté sur cet aspect.
Dans un deuxième temps, M. Tilmant-Rousseau est d’avis qu’il serait inexact d’affirmer que les allégations d’échange de sexe contre une couverture ou une critique positive « ont depuis été démontrées fausses ».
Le plaignant croit qu’« il est totalement faux et inexact de dire que Zoe Quinn n’a eu aucune couverture de la part de Nathan Grayson » et cite deux articles que M. Grayson a publiés le 8 janvier et le 31 mars 2014, respectivement sur les sites Internet spécialisés Rock Paper Shutgun et Kotaku. M. Tilmant-Rousseau souligne que l’article du 31 mars 2014 « a été publié quelques jours avant le début de la brève relation romantique ».
À la lecture de ces deux articles, le Conseil est d’avis que ni l’un ni l’autre ne peuvent être considérés comme une « couverture positive » ou une « critique positive ». L’article du 8 janvier 2014 est une liste de 50 jeux avalisés par le site Steam (comportant une boutique et un forum en ligne consacrés aux jeux vidéos), accompagnée d’un paragraphe où le jeu Depression Quest est mentionné. L’article du 31 mars porte strictement sur un projet avorté d’émission de téléréalité consacré au jeu vidéo indépendant. L’auteur cite Zoe Quinn, ainsi que deux autres participants. Mme Quinn et sa production vidéoludique ne sont pas l’objet de cet article.
Par ailleurs, la chronologie établie par l’auteur de thezoepost lui-même met en doute l’existence d’un conflit d’intérêts lié à la relation entre Nathan Grayson et Zoe Quinn avant le 1er avril 2014.
Dans ce contexte, le Conseil estime que M. Éric Samson est resté fidèle à la réalité en écrivant que les allégations d’échange de sexe contre une couverture ou une critique positive, entre Zoe Quinn et Nathan Grayson, « ont depuis été démontrées fausses ».
Le grief d’inexactitudes est donc rejeté sur cet aspect.
Dans un troisième temps, M. Tilmant-Rousseau relève qu’il serait faux d’affirmer que le blogueur Enron Gjoni a accusé son ex-copine d’avoir eu des relations sexuelles avec « des » journalistes. Le plaignant souligne que sur les cinq amants de Zoe Quinn mentionnés dans thezoepost, trois sont nommés et un seul de ces trois est journaliste.
À la lecture de thezoepost, le Conseil constate que les trois amants nommés sont : 1) Nathan Grayson, journaliste vidéoludique à Kotaku; 2) Robin Arnott, artiste et créateur audio dans le domaine du jeu vidéo; 3) Joshua Boggs, fondateur de Loveshack, un studio de création de jeux indépendants et patron de Zoe Quinn. Rien, dans le blogue, n’est révélé quant aux deux amants anonymes.
Cependant, on doit reconnaître encore une fois que M. Gjoni, tout en déplorant la propension de son ex-copine à mentir au sujet de ses infidélités, suggère dans son blogue que Mme Quinn est capable de consentir des faveurs sexuelles pour servir ses intérêts professionnels, notamment lorsqu’il écrit : « elle m’a menti de nombreuses fois, autant sur le plan interpersonnel que pour faire avancer ou protéger sa carrière »; « la vérité est qu’elle ment et manipule à toutes les occasions où ses intérêts sont en jeu, qu’ils soient interpersonnels, sentimentaux, politiques, professionnels, sexuels ou une combinaison de n’importe quels de ces intérêts ».
Le caractère très général de telles accusations milite en faveur de l’utilisation de la formulation indéterminée « des journalistes », dans l’éditorial de M. Samson. Le Conseil juge que ce faisant, le mis en cause a usé de la grande latitude dont il dispose en tant que journaliste d’opinion, tout en étant fidèle à la réalité.
Le grief d’inexactitude est donc rejeté sur cet aspect.
Le grief relatif aux trois inexactitudes est donc rejeté.
1.2 Inexactitude dans le passage : « Menaces de mort, divulgation d’informations personnelles, publication de photos personnelles (nues et autres), harcèlement de la famille et des amis… bref, y’a rien qu’ils n’ont pas fait. »
M. Tilmant-Rousseau relève qu’il serait inexact d’affirmer que des photos « personnelles » de Zoe Quinn nue ont été publiées sur Internet, dans la foulée du mouvement GamerGate.
Le plaignant affirme qu’« il fut démontré que les photos publiées sur 4chan [forum où les internautes s’expriment anonymement] le 19 août 2014 furent celles où Zoe Quinn posait en tant que mannequin nu pour des sites érotiques et non des clichés osés pris en privé. »
M. Tilmant-Rousseau ajoute que Zoe Quinn, ni dans son blogue ni dans un affidavit signé par elle dans le cadre d’une plainte à l’encontre de son ex-amoureux, n’a qualifié les photos d’elle qui circulaient sur Internet de « personnelles ».
Le Conseil a bien constaté, comme le plaignant, que les photos ayant circulé sur 4chan étaient identifiées, par un logo, à des sites érotiques pour lesquels Mme Quinn a posé dans le passé.
Néanmoins, le Conseil juge qu’il serait obtus de conclure que ces photos ne puissent être considérées comme étant personnelles du simple fait qu’elles aient été réalisées, à l’origine, à des fins de publication sur des sites érotiques. A fortiori dans un contexte où ces photos de Mme Quinn nue ont été détournées de leur esprit d’origine en étant mises en circulation dans le but de l’intimider et la dénigrer.
Selon Le Petit Robert le mot personnel se définit ainsi : « Qui concerne une personne, lui appartient en propre ». Parmi les synonymes proposés figurent : privé, intime.
En s’appuyant sur cette définition et sur ces synonymes, le Conseil juge qu’au-delà de la question d’établir si les photos de Mme Quinn sont privées (non destinées à circuler hors de la sphère privée) ou publique (destinées à circuler dans la sphère publique), ces clichés demeurent du matériel « qui concerne » la personne de Zoe Quinn, qui relèvent de son univers intime et sexuel et qu’en tant que telles, elles lui « appartiennent en propre ».
Dans cet esprit, le Conseil est d’avis que M. Éric Samson, tout en usant de la latitude que lui permet son travail d’éditorialiste, n’a pas déformé la réalité en affirmant que des photos « personnelles » de Mme Quinn ont été publiées.
Le grief d’inexactitude est donc rejeté sur ce point.
1.3 Inexactitude dans le passage : « Certains saisissent l’occasion pour imaginer un grand complot médiatique où tout le monde couche avec tout le monde en échange de visibilité. »
M. Tilmant-Rousseau est d’avis que cette affirmation discrédite le fait qu’il y a bel et bien eu concertation dans le monde de la presse vidéoludique, comme l’a révélé la mise au jour de conversations privées de journalistes du milieu participant à un forum de discussion portant le nom de GameJournoPros. M. Tilmant Rousseau note que le 28 août 2014, « neuf publications de sites en ligne spécialisés dans les jeux vidéo, indépendantes l’une de l’autre, publient la même journée dix articles ayant la même ligne éditoriale. »
Enfin, le plaignant précise que les sympathisants du mouvement GamerGate dénoncent le copinage dans le milieu du jeu vidéo, mais ne clament pas que « tout le monde couche avec tout le monde ».
Le Conseil ne nie pas l’existence des allégations au sujet du GameJournoPros et de la concertation dans le domaine de la presse vidéoludique. Cependant, alors que le plaignant interprète le passage visé, tout comme l’ensemble de l’éditorial de M. Samson, à travers le filtre de sa connaissance poussée du GamerGate et des positions prétendument défendues par ce mouvement, le Conseil estime que le passage visé doit être interprété plus largement, et pour ce qu’il est vraiment.
Avec le pronom indéfini « certains » M. Samson donne une portée très large à son affirmation, qui reflète vraisemblablement l’état d’esprit d’un sous-ensemble d’internautes, adeptes ou non du GamerGate, qui ont interagi en ligne à ce sujet. Pour établir si le journaliste a commis une faute d’inexactitude, il s’agit de se demander s’il est faux de dire que « certains » internautes, dans la foulée du mouvement GamerGate, ont effectivement imaginé qu’il existait un complot prenant la forme d’un troc systématique de sexe contre couverture positive dans le monde du journalisme vidéoludique.
À la lumière des recherches qu’il a effectuées, le Conseil répond par l’affirmative : il est effectivement raisonnable d’affirmer que parmi les hordes de commentaires, blogues ou articles qui ont fusé dans la foulée de thezoepost, de telles généralisations aient été faites.
À titre d’exemple, un internaute particulièrement influent, le « YouTuber » Internet Aristocrat, a sans aucun doute contribué à alimenter de telles généralisations, en déclarant dans une vidéo vue près d’un million de fois avant d’être retirée (traduction libre du Conseil) : « Cela [thezoepost] commence à révéler un modèle de comportement dans le monde du journalisme. […] Ils ont carrément des relations sexuelles illicites qui bénéficient aux deux parties. »
Pour toutes ces raisons, le Conseil est d’avis que M. Éric Samson n’a pas commis d’inexactitude dans le passage visé par le plaignant.
Le grief d’inexactitude est donc rejeté sur ce point.
1.4 Il serait erroné d’attribuer la menace de fusillade à Utah State University (USU) à « #GamerGate ».
M. Tilmant-Rousseau vise le passage suivant : « Ça n’a pas été long que la bande de villageois armés de torches qui s’est donné le nom de #GamerGate lui [la féministe Anita Sarkeesian, qui devait présenter une conférence à l’USU] tombe dessus […] Ça c’est rendu loin : la semaine passée, Sarkeesian devait donner une conférence dans une université au Utah; la conférence a été annulée, parce qu’un maniaque avait annoncé qu’il irait faire un tour avec quelques armes à feu pour faire “a Montreal Massacre-style attack”, faisant référence aux événements de Polytechnique. »
Le plaignant fait valoir qu’il n’existe aucune preuve liant l’auteur de la menace de fusillade au GamerGate et que le courriel de menace envoyé à l’USU ne mentionnait aucunement le mouvement. Selon M. Tilmant-Rousseau, le seul lien évoqué en ce sens est un tweet publié par Feminist Frequency, un organisme dont Anita Sarkeesian est la porte-parole.
Le Conseil constate que le courriel envoyé à l’USU et publié par un quotidien de l’Utah, le Standard Examiner, ne mentionne pas le mouvement GamerGate.
Néanmoins, il importe encore une fois de ne pas tomber dans une analyse étroite qui occulterait le contexte global dans lequel s’est inscrite cette menace à l’endroit de Mme Sarkeesian, cette féministe qui s’exprime sur diverses tribunes publiques depuis quelques années pour critiquer la représentation sexiste des femmes dans les jeux vidéos. Il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir l’incident de l’USU, qui s’est produit alors que le GamerGate était à son comble, comme un excès dramatique du mouvement, quoiqu’en pense le plaignant.
Tout comme l’a fait le Standard Examiner (dans plusieurs articles, notamment « What is GamerGate and why do they hate Anita Sarkeesian? »), qui était aux premières loges lors de l’incident de l’Utah, M. Éric Samson situe la menace de fusillade dans le prolongement du GamerGate, ce qui, aux yeux du Conseil, est conforme à la réalité.
Le grief d’inexactitude est donc rejeté sur ce point.
1.5 Inexactitude dans le passage : « Gamasutra s’est vu résilier un contrat de pub par Intel suite à des plaintes répétées concernant un article pro-Quinn. »
M. Tilmant-Rousseau fait valoir que l’article à l’origine du contrat résilié par Intel n’est pas un article « pro-Quinn ». Le plaignant fait valoir que l’article en question est plutôt un portrait peu flatteur de la communauté des gamers, laquelle est une clientèle cible d’Intel.
L’article auquel fait référence M. Éric Samson dans son texte est intitulé « “Gamers” don’t have to be your audience » et a été publié sur le site Gamasutra par Leigh Alexander, le 28 août 2014, soit à peine deux semaines après la publication de thezoepost.
Dans cet article, Mme Alexander trace un portrait très peu flatteur des gamers, soit, selon l’auteure, une communauté dépassée, formée de jeunes hommes incultes, dépourvus d’habiletés sociales et machistes.
Bien que Mme Quinn ne soit pas nommée dans l’article et n’en soit pas le sujet, il est manifeste que cet article s’inscrit dans la foulée du GamerGate et du harcèlement dont a été victime Zoe Quinn. Certains des hyperliens qu’il contient mènent d’ailleurs à des articles qui se rapportent à cette dernière.
Il faut rappeler que la mise au pilori de Mme Quinn, dans la foulée du GamerGate, a été suivie d’un mouvement de sympathie et de défense de la conceptrice de jeux indépendants. Ce mouvement, jumelé à une critique et une remise en question de la culture misogyne des gamers, justifie, aux yeux du Conseil, que soit qualifié de « pro-Quinn » un article dans la mouvance de cette critique et de cette remise en question. Le fait que cet article ait été publié peu après thezoepost renforce cette interprétation.
Pour ces raisons, le Conseil juge que M. Éric Samson n’a pas commis de faute en écrivant qu’un « article pro-Quinn » est à l’origine du retrait d’un contrat de publicité d’Intel chez Gamasutra.
Le grief d’inexactitude est donc rejeté sur ce point.
Au vu de tout ce qui précède, le grief d’inexactitudes est rejeté.
Grief 2 : information incomplète
M. Tilmant-Rousseau vise le passage suivant : « Bref. Vous pourrez en lire plus sur Wiki (http://en.wikipedia.org/wiki/Gamergate_controversy) ou ailleurs. Les faits sont là. Allons plus loin. »
M. Tilmant-Rousseau estime qu’il était mal avisé de diriger les lecteurs sur Wikipédia dans ce cas, puisque des collaborateurs détracteurs du GamerGate se sont adonnés, dit-il, à du vandalisme et à de la désinformation sur la page Wikipédia « GamerGate Controversy ». Il note qu’en janvier 2015, le Comité d’arbitrage de Wikipédia a publié une déclaration sur la situation et que des contributeurs ont été bannis pour leur comportement contraire aux politiques de Wikipédia.
Selon le plaignant, M. Éric Samson aurait dû vérifier cette source d’information et inclure d’autres sources dans son texte, ce qu’il a omis de faire.
Le Conseil analyse ce grief sous l’angle de l’incomplétude de l’information que M. Éric Samson aurait livrée au public, en omettant de lui faire part des problèmes de fiabilité de l’information sur la page « GamerGate Controversy » et en omettant de lui proposer d’autres sources d’information complémentaires.
Dans son guide, le Conseil stipule que la fonction première des médias et des professionnels de l’information est de « livrer à la population une information exacte, rigoureuse, complète sur toute question d’intérêt public. » (DERP, p. 7)
Le Conseil remarque que la déclaration officielle du Comité d’arbitrage de Wikipédia a été publiée le 27 janvier 2015, soit plus de trois mois après la publication de l’éditorial d’Urbania.
Le Conseil a pris connaissance de certaines publications sur Twitter, en septembre et octobre 2014, remettant en doute la fiabilité de la page Wikipédia dédiée au GamerGate. Ces échanges ne constituaient toutefois pas des indices dignes d’une remise en question sérieuse de la crédibilité de la page Wikipédia, au moment de la publication du texte de M. Éric Samson.
Pour cette raison, le Conseil est d’avis que M. Samson ne pouvait être informé d’un problème de crédibilité de la page Wikipédia, alors que ce problème n’était pas formellement reconnu à l’époque de la publication de son éditorial. L’information qu’il a livrée alors était complète étant donné les faits disponibles.
Quant à l’absence de références additionnelles, critiquée par le plaignant, le Conseil estime que, dans le cas présent, la bonne compréhension du sujet par le public n’exigeait pas l’ajout de références additionnelles.
En l’occurrence, le passage visé n’est ni plus ni moins qu’une invitation faite par M. Samson aux gens qui désirent, en marge de la lecture de son éditorial, se familiariser avec le GamerGate. Les informations disponibles sur Wikipédia « ou ailleurs » sont donc facultatives et non essentielles. Dans ce contexte, on ne peut en aucun cas juger que le journaliste ait livré une information incomplète au public parce qu’il ne lui a pas suggéré d’autres sources d’information complémentaires.
Pour ces raisons, le grief d’information incomplète est rejeté.
Grief 3 : absence de correctif
M. Tilmant-Rousseau déplore qu’Urbania n’ait fait aucun correctif, malgré sa publication d’un commentaire au bas de l’article, soulignant des inexactitudes.
Dans son guide, le conseil mentionne : « Il relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leurs productions journalistiques, que celles-ci relèvent de l’information ou de l’opinion. » (DERP, p. 46)
Comme le Conseil a conclu à l’absence de faute pour tous les griefs précédents, le mis en cause n’avait pas à apporter de correctif.
Le grief d’absence de correctif est donc rejeté.
Refus de collaborer
Le magazine Urbania n’a pas répondu à la présente plainte.
Le Conseil reproche au magazine Urbania son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Laurence Tilmant-Rousseau à l’encontre du rédacteur en chef Éric Samson et du magazine Urbania, pour les griefs d’inexactitudes, d’information incomplète et d’absence de correctif.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le magazine Urbania.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- Mme Audrey Murray
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
- Mme Katerine Belley-Murray
- M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
- M. Gilber Paquette
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C19A Absence/refus de rectification
- C24A Manque de collaboration
Date de l’appel
13 June 2016
Appelant
M. Laurence Tilmant-Rousseau
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance sur trois points :
- Vices de procédure
- 1.1 Absence d’un droit de réplique
- 1.2 Omission du comité de première instance de considérer l’information fournie par le plaignant
- 1.3 Jurisprudence dans d’autres médias
- Grief 1 : informations inexactes
- Grief 3 : absence de correctif (si le Grief 1 est renversé)
L’intimé n’a soumis aucune réplique à cette demande d’appel.
Vices de procédure
De l’avis de l’appelant, plusieurs irrégularités ont entaché le processus de traitement de la plainte en première instance.
1.1 Absence d’un droit de réplique
M. Tilmant-Rousseau considère que le comité de première instance s’est substitué au magazine Urbania pour défendre l’éditorial de M. Samson et que dans ces conditions, le comité aurait dû lui permettre un droit de réplique.
De l’avis des membres de la commission d’appel, les membres de la première instance ont rempli leur rôle en appliquant, comme ils le font toujours, les principes déontologiques pertinents aux faits qui leur étaient soumis.
1.2 Omission du comité de première instance de considérer l’information fournie par le plaignant
L’appelant soutient que le comité des plaintes n’a pas tenu compte de certaines informations qu’il aurait transmises au Conseil de presse pour l’étude de certains points de sa plainte.
Les membres de la commission d’appel constatent que tous les documents présentés par M. Tilmant-Rousseau pour l’étude de son dossier par le comité de première instance ont été transmis au comité.
1.3 Jurisprudence dans d’autres médias
L’appelant considère que le comité des plaintes, dans sa décision, se devait de tenir compte de la décision de l’Ombudsman de Radio-Canada et de certaines rectifications effectuées par d’autres médias qui ont reconnu leurs torts sur des points qu’il avait soumis dans sa plainte initiale.
De l’avis des membres de la commission d’appel, le comité des plaintes n’est pas lié à la jurisprudence d’autres instances, de même qu’il n’a pas à se soucier des rectifications ou corrections que peuvent apporter les médias qui ne sont pas mis en cause dans une plainte sous étude.
Au vu de ce qui précède, la commission d’appel considère que le comité des plaintes a bien appliqué les principes et le processus relatifs au traitement de la plainte qui lui était soumise et rejette de ce fait les allégations de l’appelant voulant qu’il y ait eu vices de procédure lors de l’étude de la plainte.
Grief 1 : informations inexactes
L’appelant conteste le jugement de faits des membres du comité de première instance concernant les points suivants du Grief 1 :
- 1.1 Inexactitudes dans le passage : « […] un gars écrit un billet de blogue accusant son ancienne copine, développeure de jeux vidéos indépendants, d’avoir couché avec des journalistes spécialisés en échange de couverture et de critiques positives, allégations qui ont depuis été démontrées fausses ».
- 1.2 Inexactitude dans le passage : « Menaces de mort, divulgation d’informations personnelles, publication de photos personnelles (nues et autres), harcèlement de la famille et des amis… bref, y’a rien qu’ils n’ont pas fait. »
- 1.3 Inexactitude dans le passage : « Certains saisissent l’occasion pour imaginer un grand complot médiatique où tout le monde couche avec tout le monde en échange de visibilité. »
- 1.4 Il serait erroné d’attribuer la menace de fusillade à Utah State University (USU) à « #GamerGate ».
Les membres du comité de première instance ont appliqué le principe relatif au rôle d’un éditorialiste et à la publication d’une information inexacte : « Les éditorialistes et commentateurs doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des événements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques. » (Droits et Responsabilités de la presse, p. 28) et de « livrer à la population une information exacte, rigoureuse, complète sur toute question d’intérêt public. » (p. 7)
Les membres du comité de première instance rejetaient le grief d’inexactitudes sur tous les points invoqués par M. Tilmant-Rousseau.
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement les principes déontologiques relatifs au rôle d’un éditorialiste et à la publication d’information inexacte.
Grief 3 : absence de correctif
L’appelant allègue que dans le cas où la commission d’appel renverse les points du Grief 1, le Grief 3 se doit de l’être aussi.
Les membres de la commission d’appel ayant rejeté les points du Grief 1 maintiennent donc la décision de première instance sur ce grief.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Hélène Deslauriers
- Pierre Thibault
Représentants des journalistes :
- Claude Beauchamp
- Jean Sawyer
Représentant des entreprises de presse :
- Pierre Sormany