Plaignant
Mme Séverine Roubaud et M. Louis Savoie
Mis en cause
M. Jean-Pierre Boisvert, journaliste, Mme Lise Tremblay, directrice régionale et l’hebdomadaire L’Express de Drummondville
Résumé de la plainte
Mme Sévérine Roubaud et M. Louis Savoie déposent une plainte le 29 septembre 2015 contre M. Jean-Pierre Boisvert, journaliste, et l’hebdomadaire L’Express de Drummondville, relativement à l’article « Décès d’un poupon âgé d’un mois, la SQ enquête », publié le 31 mars 2015. Les plaignants déplorent une atteinte à leurs droits à la vie privée et à leur présomption d’innocence.
L’article visé est une brève nouvelle portant sur les circonstances de la mort d’un poupon et sur le travail mené par la Sûreté du Québec dans ce dossier.
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à la vie privée
Les plaignants considèrent que la nouvelle, particulièrement la publication du nom de leur rue et d’une photo de leur immeuble, n’était pas d’intérêt public et portait atteinte à leur droit à la vie privée.
Ils plaident de plus que comme leur immeuble était « le seul de ce style à l’époque de la photo », cela permettait, selon eux, d’identifier facilement leur lieu de résidence.
M. Jean-Pierre Boisvert, quant à lui, estime que la nouvelle était d’intérêt public et qu’il n’a pas commis d’atteinte à la vie privée. Il soutient que le photographe a pris soin « de ne pas afficher l’adresse civique ni la voiture qui se trouvait tout près, se limitant aux véhicules de la police. » Ainsi, « seule une mince proportion de la résidence est visible » sur la photo.
M. Boisvert conclut donc qu’il est exagéré d’affirmer que la photo permettait l’identification, par le public, de la résidence des plaignants. Il réfute également l’argument de ces derniers à l’effet que leur immeuble « était le seul de ce type à l’époque ».
Dans son Guide de déontologie journalistique, le Conseil souligne que : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (Guide, art. 18 (1), (2))
D’une part, le Conseil constate que l’adresse civique n’apparaît pas sur la photo et que celle-ci ne montre qu’un angle très limité de l’immeuble.
D’autre part, une consultation des photographies disponibles dans les bases de données de Google Street View ont permis au Conseil de constater que les immeubles en construction ou déjà réalisés antérieurement à la publication de l’article sur la rue des plaignants sont, sans être identiques à l’immeuble des plaignants, d’une apparence similaire.
Finalement, le Conseil note que les plaignants ne sont identifiés nulle part dans l’article.
Dans ce contexte, et grâce aux précautions prises pour protéger la vie privée des plaignants, il apparaît hautement improbable, aux yeux du Conseil, que la photo ait permis au public d’identifier l’immeuble des plaignants et que sa publication ait pu induire une atteinte au droit à la vie privée de ces derniers.
Le grief pour atteinte au droit à la vie privée est donc rejeté.
Grief 2 : atteinte au droit à la présomption d’innocence
Les plaignants déplorent que la mention voulant que « la SQ enquête » dans le titre, couplée à la photo montrant un véhicule de la SQ dans l’entrée suggéraient qu’il était possible qu’un acte criminel ait été commis. Ces éléments, plaident-ils, étaient susceptibles de donner lieu à des soupçons à leur endroit, notamment dans leur voisinage. À preuve, les plaignants citent un commentaire publié par un lecteur à la suite de l’article, sur le site Internet de l’hebdomadaire : « Triste encore une histoire nébuleuse impliquant un bébé ».
M. Boisvert fait remarquer qu’il est souligné, dans son article, que « dans tous les cas de décès d’un nourrisson, une enquête est obligatoire » et que le titre se rapporte ainsi aux faits.
Quant au voisinage, M. Boisvert est d’avis qu’il « a été alerté moins par l’article paru dans le journal que par la présence policière devant leur domicile cette journée-là. »
Dans son Guide, le Conseil mentionne que : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit de toute personne à la présomption d’innocence et à un procès juste et équitable. (2) Les journalistes et les médias d’information font preuve de rigueur et de prudence avant d’identifier publiquement des personnes soupçonnées d’actes illégaux, en l’absence d’accusations formelles. » (Guide, art. 20.1 (1), (2))
À la lumière de l’analyse du grief 1 (atteinte au droit à la vie privée) selon laquelle il était pratiquement impossible d’identifier l’immeuble des parents du bambin décédé, et par extension leur identité, on doit conclure que le public ne disposait d’aucune information lui permettant d’établir un lien entre l’événement relaté dans l’article et les plaignants. Conséquemment, le Conseil conclut que l’article n’a pu porter atteinte à leur droit à la présomption d’innocence.
Le grief pour atteinte à la présomption d’innocence est donc rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Sévérine Roubaud et M. Louis Savoie contre M. Jean-Pierre Boisvert, journaliste et l’hebdomadaire L’Express de Drummondville, pour les griefs d’atteinte au droit à la vie privée et d’atteinte au droit à la présomption d’innocence.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Paul Chénard
- Mme Audrey Murray
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentante des journalistes :
- Mme Katherine Belley-Murray
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Gilber Paquette
Analyse de la décision
- C16D Publication d’informations privées
- C17H Procès par les médias
Date de l’appel
14 December 2016
Appelant
Mme Séverine Roubaud et M. Louis Savoie
Décision en appel
Préambule
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
Grief des appelants
Les appelants contestent la décision de première instance relativement à deux griefs :
- Grief 1 : atteinte au droit à la vie privée
- Grief 2 : atteinte au droit à la présomption d’innocence
Grief 1 : atteinte au droit à la vie privée
Mme Séverine Roubaud et M. Louis Savoie estiment que le comité des plaintes a fait erreur en ne jugeant pas que l’article était une atteinte au droit à leur vie privée.
De l’avis des appelants, le comité des plaintes n’a pas respecté les règles de justice naturelle et qu’il a basé sa décision que sur une seule preuve, soit la photo tirée de google street view qu’ils n’ont pas eu l’occasion de commenter avant la décision du comité.
Les appelants rappellent qu’au moment des événements, il y avait très peu d’immeubles à logement dans cette partie de la rue et que leur immeuble se distinguait facilement des autres, car il était isolé et avait une couleur et des matériaux différents des autres. Par ailleurs, la plupart de ces immeubles étaient habités par des personnes du troisième âge et que des gens ayant un bébé étaient facilement identifiables.
Finalement, les appelants soulignent que de voir sur une photo de journal, deux voitures de police devant cet immeuble et un titre comme celui utilisé attirait l’attention du public. Les appelants estiment que le comité n’a pas su discerner ce qui est d’intérêt public et ce qui ne l’est pas.
Les membres de la commission d’appel jugent que, même en tenant compte des arguments des plaignants, rien dans la photo publiée ne permettait de reconnaître leur identité sauf pour des voisins immédiats dont certains ont pu être témoins des événements.
Les membres de la commission rejettent l’appel sur le grief d’atteinte au droit à la vie privée.
Grief 2 : atteinte au droit à la présomption d’innocence
Les appelants considèrent qu’il y a eu atteinte au droit à la présomption d’innocence. En effet, tous les éléments suivants – le titre de l’article « la SQ enquête » juxtaposé à la photographie montrant leur immeuble ainsi qu’une voiture de police – étaient susceptibles de donner lieu à des soupçons à leur endroit. Ils réfutent donc la décision du comité de première instance.
Ils estiment que ces propos sont non seulement exagérés, mais qu’ils ne reflètent tout simplement pas la réalité lors des événements.
Les membres de la commission d’appel jugent, à l’instar du comité des plaintes, qu’il était pratiquement impossible d’identifier l’immeuble et par extension l’identité des appelants et que le public ne disposait d’aucune information lui permettant d’établir un lien entre l’événement rapporté dans l’article et les appelants.
Les membres de la commission rejettent l’appel sur le grief d’atteinte au droit à la présomption d’innocence.
Réplique des intimés
Les intimés n’ont pas souhaité présenter de réplique à l’appel.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
M. Pierre Thibault
Représentant des journalistes :
M. Claude Beauchamp
Représentant des entreprises de presse :
M. Pierre Sormany