Plaignant
M. Alexandre Picard et un plaignant en appui
Mis en cause
Mme Julie Couture, journaliste, M. Robert Plouffe, directeur de l’information et le Groupe TVA-Québec
Résumé de la plainte
M. Alexandre Picard ainsi qu’une personne en appui déposent une plainte le 23 octobre 2015 contre la journaliste Julie Couture et le Groupe TVA-Québec, concernant un article et un reportage diffusés le 21 octobre 2015, sous le titre « Rattrapée par son passé dans le porno ». M. Picard dénonce une atteinte au droit à la vie privée ainsi qu’un manque d’équité.
Le Groupe TVA-Québec a refusé de répondre à la présente plainte.
L’article et le reportage rapportent qu’une employée – une éducatrice au service de garde – travaillant au Collège Jésus-Marie de Sillery aurait oeuvré comme actrice dans des films pornographiques.
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à la vie privée
Le plaignant reproche à la journaliste d’avoir contrevenu au Guide de déontologie en regard du droit à la vie privée. Il fait valoir que les activités pornographiques de l’employée en question se sont produites bien avant qu’elle devienne une employée du Collège Jésus-Marie et se questionne donc sur l’intérêt public à diffuser une telle nouvelle, qui s’apparenterait plutôt, selon lui, à une campagne de salissage.
En matière d’atteinte au droit à la vie privée, le Guide de déontologie journalistique mentionne à l’article 18 : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. »
La majorité des membres (4/6) considère que la participation d’une personne comme acteur ou actrice dans la production de vidéos pornographiques diffusées sur un site Internet ne constitue pas un élément de sa vie privée, et par conséquent la diffusion de cette information ne peut être jugée comme une atteinte à son droit à la vie privée. Les membres du comité ont notamment souligné que le caractère professionnel des vidéos et le fait que celles-ci étaient librement accessibles à n’importe quel individu disposant d’une connexion au réseau Internet faisaient en sorte que l’expectative de vie privée de la personne visée par le reportage devait être à peu près nulle.
Deux membres du comité ont cependant fait valoir une opinion contraire. À leur avis, la diffusion du reportage portait atteinte au droit de l’ex-actrice à une forme de réhabilitation, un droit que reconnaît implicitement le Guide de déontologie journalistique, à l’article 20.3, portant sur le rappel d’antécédents judiciaires, et qui découle directement du droit à la dignité. Cet article stipule en effet que « Les journalistes et les médias d’information ne font pas mention des antécédents judiciaires d’une personne ne faisant pas l’objet de procédures judiciaires, à moins qu’une telle mention ne soit d’intérêt public. » L’ancien guide sur lequel le Conseil a historiquement basé ses décisions, intitulé les Droits et responsabilités de la presse, justifiait cette règle en rappelant le poids que pouvait avoir un tel rappel sur les « chances de se créer une nouvelle existence. » L’enjeu éthique soulevé par le plaignant, aux yeux des membres dissidents, est exactement le même.
Dans les circonstances, il serait ainsi pour le moins incongru de reconnaître aux personnes trouvées coupables de gestes illégaux un droit que l’on refuserait du même souffle à ceux qui n’en n’ont pas commis. Il ne fait donc nul doute que ce droit a donc bel et bien été violé, puisqu’à l’évidence, la personne en question ne semblait d’aucune manière vouloir discuter du sujet en question, en plus de nier avec force l’existence même des faits à propos desquels la journaliste la questionnait.
De plus, toujours aux yeux de ces deux membres dissidents, cette atteinte ne saurait se justifier par un intérêt public prépondérant, car même si l’on doit reconnaître qu’il est fort probable qu’une telle nouvelle ait effectivement intéressé certaines personnes, il incombe aux journalistes de départager ce qui est réellement d’intérêt public de ce qui relève de la simple curiosité, et force est de reconnaître que le fait de rappeler le passé professionnel de cette personne tombait dans cette deuxième catégorie. Les dissidents voient mal, en effet, en quoi une telle information répond « aux préoccupations politiques, économiques, sociales [ou] culturelles des citoyens » (Guide, Préambule, par. e)).
Le grief d’atteinte au droit à la vie privée est rejeté à la majorité. Deux membres expriment leur dissidence.
Grief 2 : manque d’équité
Le plaignant considère que la journaliste a manqué d’équité envers l’institution d’enseignement en ne demandant pas la permission à l’établissement pour réaliser une entrevue avec l’employée.
En matière d’équité, le Guide mentionne, à l’article 17, que : « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. » Par ailleurs, le Guide précise dans son préambule à l’article d) : « Attendu que le droit du public à l’information est le droit légitime du public d’être informé de ce qui est d’intérêt public et que, pour assurer ce droit, le rôle fondamental des journalistes et des médias d’information consiste à rechercher, collecter, vérifier, traiter et commenter et diffuser, en toute indépendance, l’information d’intérêt public. »
De l’avis du Conseil, la journaliste n’avait pas l’obligation déontologique d’obtenir l’autorisation de l’établissement scolaire avant de réaliser une entrevue avec son employée puisqu’aucune disposition du Guide ne limite, dans ce cas, la liberté du journaliste quant au choix de sa méthode de cueillette de l’information.
Le grief de manque d’équité est rejeté.
Refus de collaborer
Le Groupe TVA-Québec a refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil déplore le fait que le Groupe TVA-Québec ait refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette, à la majorité (4/6 membres), la plainte de M. Alexandre Picard contre la journaliste Julie Couture et le Groupe TVA-Québec, pour le grief d’atteinte au droit à la vie privée. De plus, il rejette, à l’unanimité, le grief de manque d’équité.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Adélard Guillemette
Représentants des journalistes :
- M. Philippe Teisceira-Lessard
- M. Jonathan Trudel
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C16D Publication d’informations privées
- C24A Manque de collaboration