Plaignant
Mme Khadija Said
Mis en cause
M. Sylvain Bouchard, animateur
L’émission « Bouchard en parle »
La station FM93
Résumé de la plainte
Mme Khadija Said dépose une plainte le 3 mars 2016 contre l’animateur Sylvain Bouchard et l’émission « Bouchard en parle » diffusée le 2 février 2016. La plaignante dénonce de l’information inexacte et sensationnaliste, une atteinte au droit à la vie privée et un manque d’équité.
L’animateur Sylvain Bouchard et le journaliste Mathieu Boivin discutent d’un courriel envoyé par la plaignante à propos de la la nourriture offerte aux réfugiés syriens reçus au Centre multiethnique de Québec.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes et sensationnalistes
La plaignante reproche deux inexactitudes à M. Sylvain Bouchard.
1.1 Contenu du courriel
Tout d’abord, elle reproche à l’animateur d’avoir erronément affirmé qu’elle aurait mentionné dans son courriel que « les réfugiés se sont plaints de la nourriture ». Elle affirme que c’est inexact et sensationnaliste, et que son courriel ne faisait aucunement mention de plaintes de réfugiés par rapport à la nourriture.
M. Pierre Martineau, directeur général du FM93 considère que sur ce point il n’y a aucune inexactitude. À son avis, l’animateur n’a fait qu’interpréter le courriel qu’il avait sous les yeux.
En matière d’exactitude, le Guide de déontologie journalistique mentionne à l’article 9 a) : Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
De l’avis du Conseil, l’animateur interprète abusivement, à plusieurs reprises, le courriel qu’il avait devant les yeux, malgré les tentatives évidentes du journaliste de le ramener aux faits. Il apparaît donc que M. Bouchard a clairement extrapolé le contenu du courriel, car, à sa lecture, rien ne permettait de conclure qu’il y avait effectivement eu des plaintes exprimées par les réfugiés à l’égard de la nourriture. En effet, dans son courriel Mme Said affirme seulement qu’à son avis « les repas servis ne sont pas toujours aux saveurs du pays des nouveaux arrivants, notamment les enfants. Pour éviter le gâchis et réussir une alimentation équilibrée, une coordination est nécessaire ». On chercherait en vain, dans cet extrait ou ailleurs dans le courriel, un seul indice permettant de conclure que les réfugiés se sont plaints de la nourriture qu’on leur servait.
Le grief est retenu sur ce point.
1.2 Présentation de Mme Said
Ensuite, la plaignante considère qu’il était du devoir de l’animateur, Sylvain Bouchard, de s’assurer que le journaliste Mathieu Boivin, également employé par la station FM93, vérifie ses sources avant de la présenter comme la directrice de l’Association algérienne de Québec alors qu’elle est simple citoyenne d’origine marocaine.
M. Martineau, directeur général du FM93, souligne que c’est le journaliste Mathieu Boivin qui présente Mme Said comme directrice de l’Association algérienne. Dans ces conditions, il considère que ce grief ne peut s’appliquer à M. Bouchard.
En matière de responsabilité des médias, le Guide mentionne, à l’article 4 (Nature et portée du présent Guide): « Les médias d’information sont responsables de tout le contenu journalistique qu’ils publient ou diffusent, sans égard au support utilisé, ce qui comprend les comptes de médias sociaux qu’ils exploitent. »
De l’avis du Conseil, l’inexactitude ne peut être imputée à Sylvain Bouchard, considérant que la faute a été commise par le journaliste Mathieu Boivin, qui s’est par ailleurs amendé à ce sujet. Cependant, considérant que le média est responsable de tout ce qu’il diffuse, le Conseil juge le média coresponsable de la faute commise par Mathieu Boivin, qui a présenté erronément Mme Said.
Le grief est rejeté contre l’animateur Sylvain Bouchard, mais il est retenu contre la station FM93.
Le grief d’informations inexactes et sensationnalistes est retenu contre Sylvain Bouchard et le FM93 sur le point du contenu du courriel. Cependant, le grief d’inexactitude sur le point de la présentation de Mme Said est rejeté contre Sylvain Bouchard, mais retenu contre le FM93.
Grief 2 : atteinte au droit à la vie privée
La plaignante reproche à l’animateur Sylvain Bouchard d’avoir laissé son collaborateur, Mathieu Boivin, mentionner ses nom et prénom en ondes, sans qu’elle n’ait donné son autorisation. L’objectif de son courriel, rappelle-t-elle, était d’inviter les associations à collaborer avec le Centre multiethnique de Québec pour une meilleure gestion, entre autres, des deniers publics.
M. Martineau souligne qu’encore ici, c’est le journaliste Mathieu Boivin qui a donné l’identité de la signataire du courriel qui a été envoyé à plusieurs associations de Québec, de même qu’aux responsables de l’accueil des Syriens.
Le Conseil estime que l’invitation à diffuser largement son courriel faisait en sorte que Mme Said renonçait implicitement à limiter sa diffusion à la sphère privée; elle l’a, d’elle-même, fait entrer dans la sphère publique. De l’avis du Conseil, la publication du nom de la signataire du courriel était d’intérêt public et les mis en cause n’ont donc commis aucune faute en le mentionnant publiquement.
Le grief d’atteinte au droit à la vie privée est rejeté.
Grief 3 : manque d’équité
La plaignante soumet que cette émission a mis la sécurité des réfugiés du Centre multiethnique de Québec en danger. Inquiets, les responsables du Centre ont demandé une surveillance accrue des forces policières. Mme Said souligne que bien qu’il ne soit arrivé aucun événement fâcheux, elle estime qu’une radio responsable et rigoureuse devrait pouvoir prévoir ce genre d’événements.
M. Martineau réfute le fait que le reportage ait mis la sécurité des réfugiés en danger. D’aucune façon, mentionne-t-il l’animateur ou le journaliste se sont montrés menaçant ou ont incité à la violence à l’endroit des réfugiés.
En matière d’équité le Guide mentionne à l’article 17 : « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. »
Aux yeux du Conseil, la plaignante ne fait pas la preuve que les mis en cause ont manqué d’équité envers les réfugiés en ne respectant pas leur droit à la sûreté. Pour le Conseil, rien ne prouve que la sûreté des réfugiés ait pu être objectivement mise en péril en raison des propos tenus par les mis en cause.
En conséquence, le grief de manque d’équité est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Khadija Said et blâme l’animateur Sylvain Bouchard et la station 93,3 FM pour le grief d’informations inexactes et sensationnalistes. Cependant, les griefs d’atteinte au droit à la vie privée et manque d’équité sont rejetés.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Paul Chénard
- M. Marc-André Dowd
- M. Jacques Gauthier
Représentants des journalistes :
- Mme Audrey Gauthier
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif