Plaignant
M. Michael Cloutier
Mis en cause
Mme Isabelle Hachey, journaliste
Le quotidien La Presse+
Le site internet lapresse.ca
Résumé de la plainte
M. Michael Cloutier dépose une plainte le 8 février 2016 contre la journaliste Isabelle Hachey, le quotidien La Presse+ et le site internet lapresse.ca concernant l’article « Un séjour d’horreur dans le Grand Nord mis en doute », publié le 4 février 2016. Le plaignant déplore des informations inexactes et une atteinte à son droit à la vie privée.
Le plaignant déplore également une atteinte à sa réputation et l’absence d’excuses. Le Conseil n’a pas traité ces griefs puisque, dans le premier cas, il juge que cette question n’est pas du ressort de la déontologie journalistique, mais relève plutôt de la sphère judiciaire, et dans le deuxième cas, qu’il n’est pas de sa prérogative d’exiger des excuses de la part des médias. Lorsqu’une faute est constatée, il relève de la responsabilité des médias, de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements.
L’article fait état des doutes émis par plusieurs personnes à propos du récit du plaignant, initialement rapporté dans un article paru dans le quotidien Le Soleil, le 1er février 2016. Cet article rapportait son expérience à Puvirnituq, au Nunavik, décrite dans cet article comme un « séjour d’horreur ».
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Le plaignant considère que l’article comporte six informations inexactes.
1.1 Accès à des services hospitaliers sur place
Le plaignant réfute le passage de l’article où l’absence de services hospitaliers le week-end, dans la région de Puvirnituq est mise en doute, notamment la citation de Mme Jane Beaudoin, directrice générale du Centre de santé Innulitsivik : « C’est un mensonge. On offre des services dans les sept municipalités situées sur la côte de la baie d’Hudson 24 heures par jour, sept jours par semaine. » Il affirme qu’au moment où on lui aurait infligé une blessure à l’arme blanche, l’hôpital était fermé, mais qu’une infirmière était de garde. Pour appuyer ses dires, il fournit au Conseil un échange de courriels avec une employée de l’hôpital.
Dans sa réplique, la journaliste constate que l’échange de courriels mis en preuve par le plaignant prouve qu’une infirmière était de garde à l’hôpital au moment des faits. La journaliste souligne que Le Soleil a corrigé son article sur ce point et a reconnu qu’un service hospitalier est offert les fins de semaine.
Dans ses commentaires, le plaignant écrit : « Pour moi, lorsqu’un bâtiment n’est pas accessible, il est fermé même si c’est de garde. » Il soutient que sans les informations fournies par son contact à l’hôpital, il n’aurait pas su qu’il y avait du personnel de garde.
1.2 Refus de M. Cloutier de montrer une blessure
Le plaignant réfute le passage suivant : « Selon nos sources, Michael Cloutier a refusé de montrer sa blessure aux personnes qui l’entouraient – même aux policiers chargés de l’enquête – sous prétexte qu’elle était infectée et que son beau-père lui avait conseillé de ne pas enlever son pansement. » Il affirme que « le corps policier a des preuves de l’événement », qu’il a « montré cette plaie à la direction de l’école Iguarsivik » et que son beau-père, un médecin, ne lui a « jamais conseillé de ne pas la montrer ». Pour appuyer ses dires, le plaignant fournit au Conseil : une série de courriels échangés en avril et mai 2011 avec le directeur de l’école Iguarsivik, une déclaration de son beau-père, médecin retraité, une demande d’autorisation d’information médicale produite par le service de police de Kativik ainsi que deux certificats médicaux.
Dans sa réplique, la journaliste fait valoir que selon « une source très proche du dossier », qu’elle refuse d’identifier, le plaignant avait refusé de montrer sa blessure aux policiers chargés de l’enquête. La journaliste indique que deux autres sources (qu’elles n’identifient pas) lui ont dit que le plaignant « refusait obstinément de montrer sa blessure, sous prétexte que c’était “trop dégueulasse” ». La journaliste ajoute que le plaignant a refusé de lui transmettre la photo de sa blessure qu’on lui a décrite comme une « “grafigne” » et elle note que le rapport médical fait état d’une plaie superficielle.
La journaliste ne se montre pas convaincue par les documents mis en preuve par le plaignant. Elle indique qu’elle n’a pas pu vérifier la version du directeur de l’école puisque celui-ci est décédé, mais elle observe que les courriels ne confirment pas les prétentions du plaignant. Elle rapporte par ailleurs qu’une source lui a indiqué que le plaignant avait invoqué un conseil de son beau-père pour justifier son refus de montrer sa blessure. Finalement, elle fait valoir que les policiers remplissent un rapport dès le dépôt d’une plainte et, que par conséquent, les documents déposés par le plaignant ne constituent pas une preuve de l’événement.
Dans ses commentaires, le plaignant conteste l’information selon laquelle on aurait dû lui « arracher » son bandage. Il soutient l’avoir enlevé de son propre gré et ajoute que la directrice adjointe a eu des réactions de stupéfaction et de dégoût.
1.3 Menace à la pointe d’une carabine
Le plaignant réfute le passage suivant de l’article, au sujet de la menace à la pointe d’une carabine, dont il dit avoir été victime : « Il n’en a parlé à personne dans le village. » Il soutient qu’il a mentionné cet incident à la police, aux membres du personnel enseignant qui en ont par la suite parlé au directeur de l’époque de l’école Iguarsivik. Pour étayer ses dires, il fournit au Conseil des courriels échangés avec le directeur de l’école ainsi qu’un certificat médical.
À la lecture des preuves soumises par le plaignant, la journaliste estime que celles-ci confirment le passage mis en cause puisqu’elles démontrent que le plaignant a rapporté l’incident de la carabine à la police deux mois après l’événement, que le directeur a été mis au courant de l’incident « beaucoup plus tard » et que les policiers n’avaient aucun dossier concernant cet incident en date du 28 avril 2011.
1.4 Appel de la part de M. Jean Charest
Le plaignant réfute le passage de l’article où l’appel qu’il dit avoir reçu de l’ex-premier ministre Jean Charest est remis en doute, notamment la citation de l’adjoint de M. Charest, Grégory Larocque : « On a tout épluché, on a retracé les éléments d’agenda du mois de novembre 2012 et on n’a pas d’indication que cet appel a eu lieu. » Le plaignant maintient avoir reçu un appel de M. Charest et fournit au Conseil un courriel qui lui a été acheminé par l’ex-premier ministre, le 22 mai 2014.
La journaliste considère que le fait que M. Jean Charest ait envoyé un courriel au plaignant le 22 mai 2014 ne prouve pas qu’il l’ait appelé deux ans plus tôt. Elle rappelle que l’article précise que l’adjoint de M. Charest reconnaît que l’appel pourrait avoir eu lieu, même s’il n’a rien trouvé dans l’agenda de son patron.
1.5 Entrevue accordée à Mme Hachey
Le plaignant réfute le passage suivant de l’article : « Après nous avoir accordé une entrevue, Michael Cloutier est revenu sur sa décision. Il ne voulait plus collaborer avec La Presse. » Il affirme qu’il n’a « jamais accepté de demande formelle d’entrevue à [sic] Isabelle Hachey. Mme Hachey m’indiquait seulement qu’elle voulait avoir plus de détails. Sans connaître le but de ses démarches. Alors, je lui ai dit que je ne collaborerais pas à son article ». Pour appuyer ses dires, le plaignant fournit au Conseil des courriels échangés avec Mme Hachey.
Dans sa réplique, la journaliste soutient qu’elle s’est identifiée comme journaliste et qu’il était clair qu’il s’agissait d’une entrevue téléphonique et non d’une conversation privée. L’entrevue, dont la journaliste reproduit les premiers échanges, a débuté par des questions sur le nombre de demandes médias reçues par le plaignant à la suite de la publication de l’article du quotidien Le Soleil. De plus, elle soumet deux courriels envoyés par le plaignant prouvant, selon elle, qu’il a changé d’avis après l’entrevue parce qu’il n’avait pas aimé les questions. Dans le premier courriel, le plaignant lui demande de ne pas publier d’article, de faire « “comme si nous aurions eu aucun contact ce matin” » et dans le deuxième il répond à sa demande de preuve en lui écrivant : « “ne perds pas ton temps, j’ai fait mon choix de médias” ».
1.6 Alimentation en eau par la municipalité de Puvirnituq
Le plaignant réfute le passage de l’article où est mis en doute le fait que la municipalité l’ait sciemment privé d’eau, notamment la citation du maire de Puvirnituq, Levi Amarualik : « Je ne sais pas où il a pris cette idée. » Le plaignant affirme que ses voisins étaient alimentés en eau, alors que lui ne l’était pas, que le problème était récurrent et que « la secrétaire du village raccrochait le téléphone », lorsqu’il appelait pour se plaindre de la situation. Pour appuyer ses dires, M. Cloutier fournit au Conseil des courriels échangés avec le directeur de l’école.
Dans sa réplique, la journaliste fait valoir que l’article se limite à rapporter les propos du maire de Puvirnituq, qui réfute ceux du plaignant. Elle cite un passage d’un courriel envoyé par le directeur d’école témoignant, selon elle, de ses doutes concernant les problèmes d’alimentation en eau du plaignant. Elle note qu’il est impossible d’obtenir la version du directeur puisqu’il est décédé, mais elle rapporte que deux personnes ayant travaillé avec lui ont affirmé qu’à l’époque, il avait de « très sérieux doutes sur les prétentions de M. Cloutier ».
En matière d’exactitude, l’article 9, alinéa a), du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec rappelle : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
Après analyse de chacun des éléments pointés par le plaignant, le Conseil constate que l’article s’appuie sur des sources fiables contredisant la version des faits du plaignant, alors que les preuves soumises au Conseil par ce dernier ne sont pas probantes et ne permettent pas de conclure que des informations inexactes ont été publiées. Considérant que le fardeau de la preuve appartient à la partie plaignante, le Conseil ne peut accueillir les doléances du plaignant.
Le grief pour informations inexactes est rejeté.
Grief 2 : atteinte au droit à la vie privée
Le plaignant fait valoir que les cancers dont il est question dans l’article n’ont « aucun lien avec l’histoire du Nord. […] [C]’est un dossier privé qui ne regarde que ma famille, mon employeur de l’époque et moi-même ».
Dans sa réplique, la journaliste soutient qu’il était pertinent de faire mention des cancers du plaignant parce que ceux-ci ont un lien avec « l’histoire du Nord ». Elle ajoute que l’article paru dans Le Soleil mentionnait qu’une maladie a frappé le plaignant à son retour dans le sud du Québec et l’a obligé à quitter son emploi. La journaliste rapporte que le plaignant a lui-même évoqué ses cancers lors de l’entrevue et a précisé qu’il s’agissait d’un cancer de l’estomac et d’un cancer de la moelle épinière, mais il s’est montré réticent à lui en dire davantage lorsqu’elle a demandé plus de détails.
Aux articles 18 (1) et (2), le Guide précise : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. »
L’article e) du préambule du Guide définit l’intérêt public ainsi : « Attendu que la notion d’intérêt public varie selon chaque société et chaque époque et que le respect de l’intérêt public amène journalistes et médias d’information à privilégier les informations pouvant répondre aux préoccupations politiques, économiques, sociales et culturelles des citoyens afin que ceux-ci puissent participer de manière éclairée à la vie démocratique ».
Considérant que l’information concernant les cancers a été évoquée par le plaignant lui-même lors de l’entrevue qu’il a accordée à la journaliste, le Conseil juge que cette dernière n’a pas commis de manquement déontologique en y référant dans l’article.
Le grief d’atteinte au droit à la vie privée est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Michael Cloutier contre Mme Isabelle Hachey, le quotidien La Presse+ et le site internet lapresse.ca pour les griefs d’informations inexactes et d’atteinte au droit à la vie privée.
Audrey Murray
Présidente par intérim du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- Mme Audrey Murray
- Mme Linda Taklit
Représentant des journalistes :
- M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
- M. Éric Latour
- Mme Nicole Tardif