Plaignant
M. Sébastien St-François
Mis en cause
M. Charles Desmarteau, directeur
L’hebdomadaire La Relève
Résumé de la plainte
M. Sébastien St-François dépose une plainte contre M. Charles Desmarteau, directeur de l’hebdomadaire La Relève, le 9 avril 2016, pour manque d’indépendance à l’égard de l’administration municipale de la Ville de Boucherville.
Le plaignant allègue qu’il existe une proximité manifeste entre l’éditeur et directeur de l’hebdomadaire La Relève et l’administration municipale de la Ville de Boucherville et suggère que cette accointance influence les choix éditoriaux du journal.
Analyse
Grief 1 : manque d’indépendance
Le plaignant reproche à M. Desmarteau de manquer d’indépendance face aux autorités politiques locales en participant à de nombreuses instances de l’administration municipale. Cette implication est perçue comme un manquement au devoir de réserve que lui impose son rôle de directeur.
M. St-François démontre que M. Desmarteau siège à des comités citoyens dont celui des fêtes du 350e anniversaire de Boucherville et celui de la Commission des jumelages. Dans le cadre de ces implications, il a participé à un voyage en France, durant 8 jours, et à un autre à Kingston, en présence du maire.
Dans sa plainte, M. St-François reproche en outre à M. Desmarteau d’avoir fait suivre au maire de Boucherville, M. Jean Martel, ainsi qu’au directeur général de la ville, M. Roger Maisonneuve, une correspondance qu’il avait envoyée au journal. Ce courriel, soutient-il, ne s’adressait nullement à ces deux destinataires, qui étaient en litige avec lui devant la Commission municipale. M. St-François questionne cette retransmission, qui selon lui apparaît symptomatique du manque d’indépendance du directeur du journal La Relève à l’égard des instances de la municipalité.
M. Desmarteau réfute cette thèse d’un manque d’indépendance face aux autorités municipales et soutient avoir toujours protégé l’indépendance rédactionnelle de ses journalistes.
Le directeur de La Relève dit également avoir publié des lettres d’opinion défavorables aux autorités municipales, ce qui prouve selon lui qu’il n’a jamais cherché à protéger les dirigeants la Ville de Boucherville.
En ce qui a trait à sa participation à la Commission des jumelages, M. Desmarteau dit agir comme président bénévole. Il précise que son implication est notamment motivée par des raisons familiales puisque son père, aujourd’hui décédé, a été à l’origine des deux premiers jumelages de la Ville, et en avait aussi assumé la présidence.
Dans son Guide de déontologie journalistique, le Conseil rappelle, à l’article 6 (Indépendance et intégrité), que « les journalistes doivent éviter, autant dans leur vie professionnelle que personnelle, tout comportement, engagement, fonction ou tâche qui pourrait les détourner de leur devoir d’indépendance et d’intégrité ». La jurisprudence du Conseil en pareille matière est claire et limpide. Dans la décision Ian Stone c. Beryl Wajsman (D2013-03-84), il était reproché au rédacteur en chef du journal The Suburban de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en s’associant à un groupe de défense des droits linguistiques. Le Conseil avait jugé que l’implication de M. Wajsman était incompatible avec son rôle de rédacteur de chef.
Dans cette affaire, le Conseil avait déterminé qu’à titre de rédacteur en chef, M. Wajsman avait un devoir de réserve et devait préserver son indépendance face à toutes les questions que le Suburban serait susceptible de traiter.
Selon le Conseil, cette indépendance est aussi importante, sinon plus, pour un hebdomadaire local situé dans une ville où les sources d’information sont peu nombreuses. Aux yeux du public, les médias doivent maintenir et ériger un mur d’intégrité afin d’être gardés à l’écart des situations de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts. Toute dérogation à ce principe met en péril la crédibilité des organes de presse et risque d’atténuer la confiance du public à l’égard de l’information qui y est rapportée.
Dans le présent cas, le Conseil a pu observer que la Commission des jumelages relève du conseil municipal. Le rôle de ce comité est d’abord consultatif et consiste à soumettre des recommandations au conseil municipal en lien avec des efforts pour dynamiser les relations entre la Ville de Boucherville et d’autres villes liées, dont Trois-Rivières, mais aussi Mortagne-au-Perce (en France), Kingston (en Ontario) et Les Abymes (en Guadeloupe). Certains membres, dont M. Desmarteau, siègent également sur des sous-comités de cette même commission. M. Desmarteau avait assumé ses frais de voyages, selon ce qui a été rapporté dans certains médias locaux.
En plus de la Commission des jumelages et du comité des fêtes du 350e, le Conseil a pu constater que M. Desmarteau participe au Comité des citoyens du district électoral no 1 (Marie-Victorin), dont le mandat, également consultatif, consiste à soumettre au conseil municipal des recommandations.
Le Conseil estime qu’à titre de directeur du journal, une plus grande prudence aurait dû guider les actions de M. Desmarteau. Ses multiples collaborations à la vie politique de Boucherville minent son indépendance par rapport au pouvoir politique, le placent en situation de conflit d’intérêts et sont, d’un point de vue déontologique, incompatibles avec sa fonction de directeur du journal, en vertu de laquelle il doit prendre de nombreuses décisions journalistiques.
En ce qui a trait à la décision de faire suivre le message de M. St-François au maire et au directeur général de Boucherville, le Conseil n’a trouvé aucun motif, sous l’angle de l’intérêt public, pour justifier le transfert de cette communication à l’une des parties impliquées, sinon que l’expression manifeste d’un parti pris. Puisque le message était destiné à la rédaction du journal, l’acheminer aux personnes en cause vient remettre en question l’indépendance de M. Desmarteau à l’égard des instances politiques.
Le grief de manque d’indépendance est donc retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Sébastien St-François et blâme sévèrement M. Charles Desmarteau, directeur de l’hebdomadaire La Relève, pour manque d’indépendance et apparence de conflit d’intérêts.
La sévérité de cette sanction s’appuie sur une suite de manquements aux principes déontologiques par M. Desmarteau. Le Conseil cite à cet effet la décision D2015-06-150.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Jacques Gauthier
Président du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- M. Luc Grenier
- M. Jacques Gauthier
Représentants des journalistes :
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau