Plaignant
M. Ever Nolasco
Mis en cause
Vladimir Garmatuk, journaliste et le site Internet www.wemontreal.com
Résumé de la plainte
M. Ever Nolasco dépose plainte le 16 juin 2016 contre M. Vladimir Garmatuk et le site internet www.wemontreal.com, pour une chronique, publiée en russe, intitulée « Qui fait l’éloge de son péché attire sur lui le châtiment » (traduction du russe) et publiée le 13 juin 2016. Il dénonce l’expression de propos homophobes incitant à la violence, ainsi que des informations inexactes.
Analyse
Grief 1 : expression de propos homophobes et incitation à la violence
Dans sa plainte, M. Nolasco suggère que l’article contient des passages homophobes et une incitation à la violence ou à poser des gestes homophobes.
Le plaignant cite un passage du texte où le journaliste écrit : « Il y a la liberté qui amène à faire le bien, et la liberté de répandre le mal du péché. » M. Nolasco en déduit qu’il faut conclure que la communauté homosexuelle répand le mal.
Un autre passage avance que « qui fait l’éloge de son péché attire sur lui le châtiment » et dans le cas présent, « le châtiment pour ce péché a été l’assassinat ».
Puisque le texte débute avec une référence à l’attentat d’Orlando, où 50 personnes ont perdu la vie, le plaignant conclut que l’auteur affirme que les homosexuels méritent de se faire assassiner. Il y voit ainsi une forme d’incitation à la violence envers les homosexuels.
Le mis en cause conteste cette interprétation du plaignant quant au caractère homophobe de l’article et suggère qu’il faut apprécier le texte dans un contexte biblique où « l’homosexualité est considérée comme un péché ». Des références à des livres de la Bible sur les commandements donnés à Moïse et sur celui du prophète Ésaïe sur les châtiments ont été fournies en appui à ces affirmations.
Le mis en cause place aussi en opposition la liberté de vivre son orientation sexuelle et la liberté de religion. Cette dernière permet d’être en profond désaccord avec l’acceptation sociale de l’homosexualité, considérée comme un péché selon une lecture traditionnelle de la Bible. Ces deux visions se heurtent, mais sont liées à deux droits balisés par les Chartes, à savoir la liberté d’expression et la liberté de religion.
En outre, de l’avis du représentant du site wemontreal.com, on ne retrouve pas d’incitation directe à la violence dans ce texte ni même une approbation formelle de l’attentat d’Orlando. Tout au plus, il reconnaît que l’auteur y « trace un parallèle fort douteux, que d’aucuns peuvent trouver de mauvais goût ».
Dans sa réplique, le mis en cause mentionne également que la foi chrétienne, dont se réclament les lecteurs de wemontreal.com, « ne retient pas le meurtre en tant que moyen de choix pour combattre le péché ».
Le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse prévoit, à l’article 19 (1) que « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
Le Conseil reconnaît une grande latitude aux chroniqueurs dans l’exercice de leur liberté éditoriale. Dans le dossier D2013-07-009, le Conseil a rejeté une plainte de propos islamophobes contre Richard Martineau qui s’était montré cinglant au sujet du ramadan en écrivant « je trouve qu’Allah a bien du temps à perdre pour surveiller si Untel ou Untel boit de l’eau en pleine canicule, mais qu’est-ce que j’en sais, hein? ». Le propos a été jugé « railleur et cynique », mais sans outrepasser les limites raisonnables de la liberté d’expression.
Le Conseil a aussi, à l’inverse, blâmé des médias en affirmant qu’ils avaient outrepassé la ligne de l’acceptabilité en matière de libre expression. Par exemple, le caractère homophobe de certains propos tenus à la radio CHOI a fait l’objet d’un blâme dans le dossier D2013-03-092. Une animatrice avait exprimé son dégoût devant deux homosexuels qui s’embrassaient et fait une analogie avec deux chiens qui s’embrassent. Selon le Conseil, cette comparaison portait atteinte au droit à l’égalité des personnes homosexuelles.
Dans une autre décision, le Conseil s’était montré partagé en lien avec l’expression de propos haineux. Dans le dossier D2014-05-117, une partie des membres du comité de plainte avaient reproché à un animateur d’avoir effectué une hiérarchisation de la valeur de la vie humaine, en laissant croire que certaines personnes méritaient moins de vivre que d’autres.
Le cas qui nous concerne rejoint ce dernier exemple. Le Conseil a estimé que le contexte particulier de la tuerie d’Orlando couplé avec le postulat de l’auteur voulant que l’homosexualité est un péché pouvant mériter un châtiment aussi violent que la mort sont des éléments qui amènent à conclure que l’article mis en cause présente un caractère haineux envers les personnes homosexuelles.
Aux yeux du comité, toutefois, ces propos ne vont pas jusqu’à l’incitation à la violence ni à commettre des gestes violents. Une telle conclusion est une interprétation puisqu’on chercherait en vain un passage où l’auteur enjoint nommément ses lecteurs à commettre des gestes violents contre les homosexuels.
Le grief de propos haineux à caractère homophobe est retenu, mais celui pour incitation à la violence est rejeté.
Grief 2 : informations inexactes
M. Nolasco avançait que des inexactitudes ont été rapportées dans cet article, sans cependant préciser à quoi il faisait précisément référence.
Dans les circonstances, le grief ne peut donc être étudié.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Ever Nolasco et blâme M. Vladimir Garmatuk et le site Internet wemontreal.com pour propos haineux à caractère homophobe. Le Conseil rejette par contre le grief d’incitation à la violence.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Linda Taklit
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- Mme Audrey Gauthier
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif
Date de l’appel
19 April 2018
Appelant
Vladimir Garmatuk, journaliste
Le site Internet www.wemontreal.com
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à un grief :
Grief 1 : expression de propos homophobes
Grief 1 : expression de propos homophobes
Par l’entremise de l’avocat Me Mikhail Babenko-Gofman, wemontreal.com interjette appel. De l’avis de l’appelant, le Conseil « se trompe lorsqu’il décrit le postulat de l’auteur comme voulant que : « l’homosexualité est un péché pouvant mériter un châtiment aussi violent que la mort ».
De l’avis de l’appelant, le passage mentionné n’est pas écrit ainsi dans le texte. Bien qu’il reconnaisse « que l’auteur pense que l’attentat est une conséquence du péché et une punition de Dieu. Nous soumettons qu’il a droit de croire à ça, que cette croyance est fondée sur sa religion et que les lecteurs ont droit de ne pas être d’accord. Cependant, nous soumettons avec déférence, que contrairement à la décision du Conseil, le texte de l’article ne qualifie aucunement l’attentat d’une punition “méritée” ».
L’appelant soumet sa propre traduction : « [la société doit s’attendre aux conséquences] (dans le présent cas, la punition pour le péché, le mal de l’assassinat) ». De l’avis de l’appelant, « il appert clairement dans ce passage que l’attentat est qualifié du “mal”. Nous soumettons que l’auteur n’aurait pas qualifié cet assassinat de “mal” si le message véhiculé était qu’il est bien mérité, comme l’interprète le Conseil ».
L’appelant soumet « que le postulat de l’article doit être interprété comme un constat de fait, comme quoi Dieu a puni des pécheurs, non parce qu’ils sont des homosexuels, mais parce qu’ils sont avant tout des pêcheurs. On peut avoir un certain malaise avec cette proposition, mais il ne faut pas oublier, qu’aux termes de la Bible, la sodomie est un vrai péché ».
Finalement, l’appelant conclut que le Conseil « n’ayant pas pu pleinement apprécier le contexte, a d’une part omis un élément important et d’autre part substitué sa propre interprétation, qui ne découle pas directement du texte et qui n’est pas la seule interprétation raisonnable ».
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelant n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à l’expression de propos homophobes.
Les membres rejettent l’appel sur le grief d’expression de propos homophobes.
RÉPLIQUE DE L’INTIMÉ
L’intimé n’a soumis aucune réplique.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Pierre Thibault, président de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
- M. Pierre Thibault
Représentante des journalistes :
- Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
- M. Renel Bouchard